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— Je crois savoir que les ractrices sont souvent victimes des assiduités excessives de certains de leurs admirateurs, dit Finkle-McGraw, c’est pourquoi je pense deviner pourquoi vous avez choisi de jouer les intermédiaires en ce cas précis. Laissez-moi vous assurer que mes motivations sont parfaitement bénignes. »

Carl prit un air blessé. « Votre Grâce ! jamais je n’aurais supposé autre chose. Je me suis arrogé ce rôle, non pour protéger la jeune femme en question d’une supposée malignité de votre part, mais simplement parce que sa situation actuelle rend passablement délicat l’établissement d’un contact avec elle.

— Dans ce cas, dites-moi, je vous prie, ce que vous savez de la jeune femme. »

Carl fournit au Lord actionnaire une brève description de la relation de Miranda avec le Manuel.

Finkle-McGraw se montra vivement intéressé par le temps que la jeune comédienne y consacrait chaque semaine. « Même si vos estimations ne sont qu’approximativement exactes, cette jeune personne doit à elle seule avoir réalisé au moins quatre-vingt-dix pour cent du travail de racteur associé à cet exemplaire du Manuel.

— Cet exemplaire ? Vous voulez dire qu’il y en a d’autres ? »

Finkle-McGraw marcha sans un mot durant quelques instants avant de reprendre, d’une voix plus calme : « Il y a eu trois exemplaires en tout. Le premier est allé à ma petite-fille – vous l’aurez noté : je vous l’avoue en toute confiance. Un deuxième est allé à Fiona, la fille de l’artifex qui l’a créé. Le troisième est tombé entre les mains de Nell, une jeune thète.

« En résumé, les trois jeunes filles ont évolué de manière fort différente. Elizabeth est rebelle et fougueuse, et s’est totalement désintéressée du Manuel depuis plusieurs années. Fiona est brillante mais déprimée, le schéma classique de l’artiste maniaco-dépressive. Tout au contraire, Nell se révèle une jeune femme pleine de promesses.

« J’ai préparé une analyse des habitudes des trois jeunes filles, qui sont largement obscurcies par les procédures de secret inhérentes au système des médias, mais qu’on peut déduire des factures réglées pour la location des racteurs. Il est devenu clair que, dans le cas d’Elizabeth, la raction a été effectuée par des centaines d’artistes différents. Dans le cas de Fiona, les factures étaient notablement moins élevées, parce que l’essentiel du travail de racteur a été effectué par une personne qui ne facturait pas ses services – sans doute son père. Mais il s’agit ici de tout autre chose. Dans le cas de Nell, virtuellement tout le travail de racteur a été l’œuvre d’une seule et même personne.

— À vous entendre, nota Carl, on dirait que mon amie a établi une relation privilégiée avec l’exemplaire de Nell…

— Et, par extension, avec Nell, observa Lord Finkle-McGraw.

— Puis-je vous demander pourquoi vous désirez contacter la ractrice ?

— Parce qu’elle est le pivot de toute cette histoire, répondit le Lord actionnaire, ce que je n’avais absolument pas envisagé. Le plan initial ne prévoyait pas que le racteur pût acquérir une telle importance.

— Elle l’a fait, reprit Carl Hollywood, en sacrifiant sa carrière et une bonne partie de sa vie. Il est important que vous compreniez, Votre Grâce, qu’elle n’était pas simplement la tutrice de Nell. Elle est devenue sa mère. »

Ces mots semblèrent visiblement marquer Lord Finkle-McGraw. Il chancela, puis se mit à arpenter la berge sans un mot, perdu dans ses pensées.

« Vous m’avez laissé entendre, il y a quelques minutes, qu’établir le contact avec la ractrice en question ne serait pas une démarche facile, dit-il enfin, d’une voix plus calme. N’est-elle plus associée à votre troupe ?

— Elle s’est mise en congé, il y a déjà plusieurs années, afin de se consacrer entièrement à Nell et au Manuel.

— Je vois, dit le Lord actionnaire, en insistant légèrement sur les mots pour leur donner un ton d’exclamation. Il commençait à se passionner. Monsieur Hollywood, j’espère que vous ne vous formaliserez pas de mon indélicatesse, mais j’aimerais savoir s’il s’agissait d’un congé sans solde ?

— S’il avait fallu, je l’aurais volontiers garanti moi-même. Le fait est qu’il existe un autre bailleur de fonds.

— Un autre bailleur de fonds », répéta Finkle-McGraw. Il était à l’évidence fasciné, et quelque peu alarmé, par ce recours au jargon financier dans un tel contexte.

« La transaction était relativement simple, comme je suppose que le sont au fond toutes les transactions, expliqua Carl Hollywood. Miranda désirait localiser Nell. La pensée classique édicte que c’est impossible. Il est toutefois des penseurs non conformistes qui vous soutiendront que c’est réalisable par le truchement de processus irrationnels, inconscients. Il existe une tribu appelée les Tambourinaires, qui vivent normalement sous les eaux…

— Je les connais, coupa Lord Finkle-McGraw.

— Miranda a rejoint les Timbourinaires il y a quatre ans, dit Carl. Elle y était entrée dans un partenariat. Les deux autres partenaires étaient un gentleman de ma connaissance, également issu du milieu théâtral, et un bailleur de fonds.

— Qu’espérait y gagner le bailleur ?

— La concession d’un accès à l’inconscient collectif, dit Carl Hollywood. Il s’imaginait qu’il jouerait pour l’industrie du spectacle le rôle de la pierre philosophale pour l’alchimie.

— Et les résultats ?

— Nous avons tous attendu d’avoir des nouvelles de Miranda.

— Vous n’en avez eu aucune ?

— Seulement dans mes rêves », avoua Carl Hollywood.

Passage de Nell dans Pudong ; on la retrouve dans les bureaux de Madame Ping ; entretien avec cette dernière

La ville de Shanghai proprement dite était tout juste visible dans les minces fentes verticales séparant les hautes tours de la Zone économique de Pudong, tandis que Nell continuait de patiner en direction de l’ouest. Le centre de Pudong jaillit de l’étendue des rizières sur la rive est de la rivière Huangpu. Presque tous les gratte-ciel utilisaient des matériaux de construction médiatroniques. Certains s’ornaient de caractères profilés de l’alphabet japonais, peints avec un rendu bariolé, mais la majorité des panneaux étaient rédigés avec les caractères plus denses, à résolution plus élevée, de l’écriture chinoise, et ces derniers étaient généralement inscrits en rouge vif, ou bien en noir sur fond de cette même couleur.

Les Anglo-Américains avaient leur Manhattan, les Japonais avaient Tokyo. Hongkong était de la belle ouvrage, mais de style essentiellement occidental. Quand les Chinois d’outremer étaient revenus au pays pour bâtir leur propre monument à l’entreprise, ils l’avaient réalisé ici, en décidant qu’il serait plus grand, plus beau, et sans conteste plus rouge que ceux de toutes les autres cités. La ruse nanotechnologique permettant de bâtir des structures résistantes quoique plus légères que l’air était arrivée pile au bon moment, alors que les dernières rizières étaient remplacées par d’immenses fondations en béton, et qu’une flopée de constructions neuves avait fleuri au-dessus du sous-bois d’immeubles de soixante-dix ou quatre-vingts étages. Cette architecture nouvelle était naturellement de taille monumentale et de forme ellipsoïdale : le modèle typique était une immense boule ceinturée de néon et fichée sur une pique, si bien que la densité de Pudong était plus élevée à trois cents mètres au-dessus du sol qu’au niveau de la rue.