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La femme termina sa boisson chaude, serra la main du censeur, puis elle escalada une échelle de polymère fixée à la roche, qui lui permit de retrouver son cheval. Hackworth éperonna Kidnappeur qui se mit en route, le long d’un chemin courant au pied de la falaise sur cinq cents mètres environ, avant d’être rejoint par un autre sentier descendant en biais du sommet. Quelques minutes plus tard, la femme approcha, juchée sur son cheval, un antique modèle biologique.

C’était une femme vigoureuse, au visage ouvert, aux joues rebondies, encore vivifiée par son saut dans l’inconnu, et elle l’accueillit de loin, sans aucunement marquer cette réserve propre aux néo-Victoriens.

Hackworth la salua poliment en soulevant son melon.

La femme eut à peine un regard pour Fiona. Elle tira doucement les rênes de son cheval, sans cesser de dévisager Hackworth. Elle avait un regard éperdu. « Je vous connais, dit-elle. Mais j’ignore votre nom.

— Hackworth, John Percival, pour vous servir. Et voici ma fille, Fiona.

— Je suis sûre de n’avoir jamais entendu ce nom, dit la femme.

— Et moi, je suis bien sûr de n’avoir jamais entendu le vôtre, nota gaiement Hackworth.

— Maggie, dit la femme. Tout ça me rend folle. Où nous sommes-nous rencontrés ?

— Cela pourra vous sembler passablement étrange, dit doucement Hackworth, mais si nous pouvions vous et moi, nous souvenir de tous nos rêves – ce qui est bien sûr impossible – et si nous prenions le temps de comparer nos notes, nous trouverions sans doute que nous avons dû en partager un certain nombre au cours des ans.

— Des tas de gens ont des rêves similaires, observa Maggie.

— Excusez-moi, mais ce n’est pas ce que je voulais dire… Je fais référence à une situation où l’un comme l’autre conserveraient son point de vue personnel. Je vous vois. Vous me voyez. Nous pouvons dès lors partager certaines expériences – vues par chacun de sa propre perspective.

— Comme un ractif ?

— Oui, dit Hackworth. Mais sans avoir à payer. En argent, tout du moins. »

Le climat local incitait à boire chaud. Maggie ne retira même pas son blouson pour se rendre à la cuisine et placer une bouilloire sur le feu. Ils étaient dans une cabane en rondins, plus aérée qu’on n’aurait pu l’imaginer de l’extérieur, et Maggie la partageait apparemment avec plusieurs autres locataires qui n’étaient pas tous là pour l’instant. Fiona, qui n’arrêtait pas d’entrer et sortir de la salle de bains, semblait fascinée par ces preuves de la cohabitation d’hommes et de femmes qui vivaient, dormaient et se baignaient ensemble.

Alors qu’ils s’étaient assis tous les trois pour prendre le thé, Hackworth convainquit Maggie de glisser son doigt dans un appareil grand comme un dé à coudre. Quand il sortit l’objet de sa poche, Fiona ressentit une forte impression de déjà vu. Oui, elle l’avait déjà eu sous les yeux, et il était caractéristique. Elle savait que son père l’avait conçu ; il était absolument typique de son style.

Puis ils continuèrent de deviser tranquillement durant quelques minutes ; Fiona avait tout un tas de questions à poser sur l’organisation de la RDR, auxquelles Maggie, en adepte sincère, était trop heureuse de répondre. Hackworth avait étalé sur la table une feuille de papier vierge et, à mesure que s’écoulaient les minutes, des mots et des images apparurent, défilant vers le haut de la page dès qu’elle était remplie. Le dé, expliqua-t-il, avait injecté dans la circulation sanguine de Maggie un certain nombre de mites de reconnaissance qui avaient recueilli de l’information, puis s’étaient échappées des pores de la peau sitôt remplies leurs sauvegardes à bande, pour venir transférer au papier les données enregistrées.

« Il semble bien que vous et moi nous connaissions mutuellement, Maggie, dit-il au bout de quelques minutes. Nous avons un certain nombre de doublets en commun dans notre circulation sanguine. Or, ils ne peuvent se transmettre que par certaines formes de contact.

— Vous voulez dire, comme par… l’échange de fluides corporels ? » dit Maggie, d’un air déconcerté.

Fiona songea fugitivement aux transfusions sanguines de jadis, et elle n’aurait sans doute pas saisi le sens réel de cette phrase si son père n’avait pas rougi en lui jetant un regard à la dérobée.

« Je crois que nous nous comprenons à demi-mot… oui », dit-il enfin.

Maggie réfléchit un instant et parut contrariée, du moins aussi contrariée que pouvait l’être une personne d’une nature épanouie et généreuse comme la sienne. Elle s’adressa à Hackworth mais elle observait Fiona, comme si elle cherchait à élaborer la phrase suivante. « Malgré ce que vous autres Atlantéens pourriez penser de nous, je ne couche pas… je veux dire… je n’ai pas de relations sex… enfin, je n’ai pas tant de partenaires que ça.

— Je suis désolé de vous avoir donné l’impression erronée que je nourrirais des préjugés fâcheux à l’endroit de vos critères moraux, dit Hackworth. Mais soyez assuré que je ne me considère pas en position de juger les autres à cet égard. Toutefois, si vous voulez bien avoir la franchise de me dire qui, ou avec qui, au cours de l’année écoulée…

— Rien qu’un, dit Maggie. C’était une année tranquille. » Puis elle reposa sa tasse à thé sur la table (Fiona avait été ébahie par l’absence de soucoupes) et se cala contre le dossier de son siège, en fixant Hackworth, l’esprit en alerte. « C’est drôle que vous me racontiez tout cela… vous, un étranger.

— Permettez-moi de vous recommander de vous fier à vos instincts et de ne pas me traiter en étranger.

— J’ai eu une aventure. Il y a des mois et des mois. Rien de plus.

— Où ça ?

— À Londres. L’ombre d’un sourire apparut sur les traits de Maggie. On pourrait croire que, vivant ici, j’aurais plutôt choisi un endroit chaud et ensoleillé. Mais je suis allée à Londres. J’imagine qu’il y a un peu de Victorien en chacun de nous.

— C’était un mec, poursuivit Maggie. J’étais allée à Londres avec deux amies. La première était citoyenne de la RDR et la seconde, Trish, l’a quittée il y a trois ans environ pour devenir cofondatrice d’un point d’accès local à CryptNet. Ils ont installé une petite base à Seattle, non loin du marché.

— Veuillez m’excuser de vous interrompre ainsi, intervint Fiona, mais auriez-vous l’amabilité de m’expliquer la nature de CryptNet ? L’une de mes anciennes amies de classe semble s’y être inscrite.

— C’est un phyle synthétique. Insaisissable à l’extrême, répondit Hackworth.

— Chaque site est indépendant et autogéré, expliqua Maggie. Vous pourriez en trouver un demain si vous le vouliez. Les sites sont définis par contrat. On signe un contrat dans lequel on accepte de fournir certains services, à la demande.

— Quel genre de services ?

— En général, la livraison de données par le truchement de son organisme. On les traite avant de les transmettre à d’autres sites. Cela semblait une chose naturelle pour Trish parce qu’elle était codeuse, tout comme moi, mes compagnes de chambre et la plupart des gens du coin.

— Les sites ont donc des ordinateurs ?

— Ce sont les gens qui en ont, typiquement des systèmes intégrés, dit Maggie, en se massant inconsciemment l’os mastoïde, derrière l’oreille.

— Le site est donc synonyme d’individu ?

— Dans bien des cas, oui, mais, parfois, ce sont plusieurs personnes avec des systèmes intégrés qui se retrouvent liées par le même contrat de confiance.