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« Sacré nom d’une pipe ! Mais c’est une putain de petite Hepburn que nous avons là ! » s’exclama Fred Épiderme qui la regardait sur un autre moniteur à l’écart de la scène.

« C’est une Jodie », répondit-elle, mais elle trébucha sur les mots quand devant elle le champ stellaire se modifia pour suivre le déplacement de la mâchoire et des lèvres. À l’extérieur, Fred Épiderme jonglait avec ses manettes, zoomant en avant et en arrière sur son visage, qui apparaissait aussi dense qu’un noyau galactique. En comparaison, les bras et les jambes étaient des nébuleuses diffuses, quant à la nuque, elle restait presque invisible, avec tout au plus une centaine de zites implantés à la circonférence du cuir chevelu, tels les points d’ancrage d’un dôme géodésique. Les yeux étaient des trous vides, sauf (s’imaginait-elle) quand elle les fermait. Histoire de vérifier, elle fit un clin d’œil au médiatron. Les zites posés sur ses paupières étaient aussi denses que des brins d’herbe sur un putting-green, mais ils se repliaient en accordéon sauf quand la paupière recouvrait l’œil. Fred Épiderme décela le mouvement et zooma si brutalement dessus que Miranda faillit en tomber sur le cul. Elle l’entendit glousser. « Tu t’y feras, ma puce… Là, bouge plus, que je puisse contrôler les zites sur tes lèvres. »

Il panoramiqua vers sa bouche et la cadra sous toutes les coutures tandis qu’elle plissait et pinçait les lèvres. Elle était heureuse d’avoir été complètement dans les vapes pendant qu’on lui implantait les nanosites : il y en avait des milliers.

« Mais c’est qu’on s’est trouvé une véritable artiste, reprit Fred Épiderme. Voyons voir ce que tu donnes dans un des plus beaux défis de notre répertoire. »

Tout d’un coup, une blonde aux yeux bleus se tenait sur le mur-écran, singeant à la perfection la posture de Miranda ; longs cheveux, chandail blanc orné d’un grand F au milieu et minijupe ridiculement courte. Elle tenait dans les mains deux espèces de gros trucs de fourrure colorés. Miranda la reconnut pour l’avoir déjà vue dans de vieux passifs diffusés au médiatron : c’était une adolescente américaine du siècle dernier. « Voici Spirit. Entre nous, un brin démodée, mais populaire chez les diffuseurs de tubes, expliqua Fred Épiderme. ‘Videmment, c’est du gâchis d’appliquer ta trame à un truc pareil, mais, hein, nous, on fourgue aux clients ce qu’y réclament ! – faut répondre à la demande, tu piges… »

Mais Miranda n’écoutait plus vraiment ; pour la première fois de sa vie, elle regardait une autre personne singer exactement tous ses gestes, alors que la scène plaquait la trame de Miranda sur ce corps imaginaire. Miranda pinça les lèvres comme si elle venait de se mettre du rouge et Spirit fit de même. Elle cligna de l’œil, et Spirit cligna de l’œil. Elle toucha son nez, et Spirit se flanqua ses pom-poms sur la figure.

« On va te faire passer une scène », dit Fred Épiderme.

Spirit s’évanouit et fut remplacée par un formulaire électronique avec des réserves blanches pour y inscrire des noms, des chiffres, des dates et autres données. Fred le sauta avant que Miranda ait vraiment eu le temps de le lire ; ils n’avaient pas besoin de contrat pour un bout d’essai.

Puis Spirit réapparut, vue cette fois depuis deux angles de cadrage différents. Le médiatron s’était divisé en plusieurs fenêtres. L’une montrait un plan sur le visage de Spirit, qui singeait toujours les mimiques de Miranda. Une autre présentait deux images de Spirit avec un homme âgé, dans une pièce remplie de grosses machines. Une troisième affichait un gros plan sur le vieux qui, découvrit Miranda, était joué par Fred Épiderme. Le vieux dit : « Parfait. Garde à l’esprit qu’on joue cette scène en général sur un plateau à tête, donc tu n’as pas à t’occuper de contrôler les bras et les jambes de Spirit, juste son visage…

— Comment fais-je pour me déplacer ? » Les lèvres de Spirit bougèrent en synchronisme avec les siennes, tandis que la voix de la star sortait du médiatron – à la fois aiguë et haletante. Le plateau-cabine était programmé pour exploiter les signaux des nanophones placés dans sa gorge et les incruster dans une enveloppe différente.

« Pas besoin. L’ordinateur décide où et quand tu dois bouger. C’est notre vilain petit secret : il ne s’agit pas vraiment d’un ractif, mais d’une simple arborescence narrative – c’est bien suffisant pour notre clientèle, vu que toutes les feuilles de l’arbre – l’extrémité des branches, si tu préfères – sont strictement identiques : en gros, ils en ont pour leur argent, tu piges ? Enfin, tu verras bien… » dit à l’écran le vieillard qui déchiffrait la confusion de Miranda sur les traits de Spirit. Ce qui évoquait un scepticisme méfiant chez Miranda se transformait en innocence évaporée chez Spirit.

« Ta réplique ! Suis les putains de répliques ! T’es pas dans un atelier d’impro ! » s’écria le vieux.

Miranda vérifia sur les autres fenêtres de l’image. Sur l’une, elle reconnut un plan de la pièce, montrant sa position et celle de son partenaire, avec de petites flèches lumineuses pour indiquer la direction du mouvement. L’autre était un prompteur, un défilant sur lequel attendait sa réplique, clignotant en rouge.

« Oh ! bonjour, monsieur Willie ! ânonna-t-elle. Je sais bien que l’école est finie et que vous devez être bien fatigué après une longue journée d’enseignement à l’atelier, avec tous ces méchants garçons, mais je me demandais si je ne pourrais pas vous demander un grand, grand service…

— Mais certainement, mon petit, dites, tout ce que vous voudrez », récita Fred Épiderme, par le truchement du corps et du visage de M. Willie, sans même chercher à y mettre de l’émotion.

« Eh bien, il se trouve qu’il y a un appareil auquel je tiens beaucoup, et j’ai l’impression qu’il est cassé. Et je me demandais si vous sauriez le réparer… je l’ai ici… », dit Miranda. Et sur le médiatron, Spirit répéta la même chose. Mais la main de Spirit s’était déplacée. Elle avait approché un objet de son visage. Un truc allongé en plastique, blanc et luisant. Un vibromasseur.

« Ma foi, dit M. Willie, il est scientifiquement établi que tous les appareils électriques fonctionnent suivant les mêmes principes, donc, en théorie, je devrais être en mesure de vous aider. Mais je dois avouer que je n’ai encore jamais rien vu de tel. Auriez-vous l’obligeance de m’expliquer quel est cet ustensile et de me montrer à quoi il sert ?

— Je serais ravie de vous en faire la démonstr… » commença Miranda mais l’image se figea et Fred Épiderme la coupa en lançant, à travers la porte. « Bon, ça suffit. Je voulais juste vérifier que tu savais lire. »

Il ouvrit la porte du plateau et dit : « T’es engagée. Cabine 238. Ma commission est de quatre-vingts pour cent. Le dortoir est au-dessus – tu te choisis une couchette et tu fais ton lit. T’as pas les moyens de loger ailleurs. »

Harv apporte un cadeau à Nell ; elle essaye le Manuel

Quand il revint à la maison, Harv marchait en faisant porter tout son poids sur un seul pied. Lorsque la lumière vint éclairer les marques sur son visage, Nell aperçut les éraflures rouges mêlées de crasse et de toner. Il avait le souffle court, déglutissait souvent et avec difficulté, comme s’il envisageait sérieusement de vomir. Mais il n’avait pas les mains vides. Il tenait les bras croisés, serrés, devant son ventre. Il tenait des trucs planqués sous sa veste.