Выбрать главу

En l’espace d’une semaine, elle avait appris à lire à la petite fille. Elles travaillèrent un certain temps sur les lettres, avant de digresser vers de nouvelles aventures de la princesse Nell, s’arrêter en cours de route pour une brève démonstration pratique de mathématiques élémentaires, revenir à l’histoire et finir par dévier sur une interminable chaîne de « pourquoi ci ? » et « pourquoi ça ? » Miranda avait passé des heures et des heures avec les ractifs pour gosses, que ce soit dans son enfance ou dans son travail de gouvernante, et la supériorité de celui-ci était palpable : au même titre que de soupeser une antique cuillère en argent quand on mangeait depuis vingt ans avec des couverts en plastique, ou de se glisser dans une robe du soir de grand couturier quand on est habitué aux jeans.

Ces associations et d’autres venaient à l’esprit de Miranda dans les rares instants où elle entrait en contact avec quelque chose de qualité avec un grand Q, et si elle ne faisait pas un effort conscient pour interrompre le processus, elle finissait immanquablement par ressasser tout ce qu’elle avait connu au cours des premières années de son existence – la Mercedes qui l’amenait au cours privé, le lustre en cristal qui tintait comme une cloche magique lorsqu’elle montait sur l’immense table en acajou de la salle à manger pour le chatouiller, sa chambre lambrissée avec le lit à baldaquin et la couette en soie garnie de plumes d’oie. Pour des raisons non encore élucidées, maman les avait éloignées de tout ce luxe, pour leur faire connaître ce qui passait aujourd’hui pour de la pauvreté. Miranda se souvenait juste que lorsqu’elle se trouvait physiquement proche de son père, maman les surveillait avec plus de vigilance qu’il n’eût semblé de mise.

Un mois ou deux après le début de sa relation, Miranda venait de décrocher, au bout du rouleau, d’une longue session avec la princesse Nell, pour constater à son grand étonnement qu’elle y avait passé huit heures d’affilée. Elle avait la gorge en feu, elle n’était pas allée aux toilettes de la journée. Elle avait ramassé un paquet de fric. Et il devait être quelque chose comme six heures du matin à New York : il était donc improbable que la petite réside là-bas. Elle devait habiter un fuseau horaire relativement proche du sien et elle devait passer ses journées devant son livre de contes interactif au lieu d’aller à l’école comme n’importe quelle petite fille riche. L’indice était mince, mais Miranda n’avait jamais besoin de trop d’indices pour se conforter dans l’idée que les parents aisés étaient aussi capables que n’importe qui de bousiller l’esprit de leurs gosses.

Nouvelles expériences avec le Manuel ; la princesse Nell et Harv au Château noir

Harv était un garçon futé qui savait s’y prendre avec les trolls, aussi, dès qu’il fut certain qu’ils avaient été enfermés à l’intérieur du Château noir par leur vilaine marâtre, il dit à Nell qu’ils devaient sortir et rassembler tout le bois à brûler qu’ils pourraient trouver. Farfouillant dans la Grande Salle du château, il y découvrit des armoiries décorées d’une hache. « Je vais la prendre pour abattre quelques arbres, dit-il. Et toi, il faut que tu ailles me chercher du petit bois. »

« C’est quoi, du petit bois ? » demanda Nell.

Une illustration montrant le château apparut. Au centre, on voyait un haut édifice flanqué de nombreuses tours qui s’élevaient jusque dans les nuages. Tout autour, il y avait un espace découvert où poussaient arbres et plantes, et autour de celui-ci se dressait la haute muraille qui les gardait prisonniers.

L’illustration zooma sur une étendue herbeuse et devint fort détaillée. Harv et Nell essayaient de faire du feu. Il y avait un tas de bûches humides qu’Harv venait de couper. Harv tenait également une pierre, qu’il frappait contre le manche d’un couteau. Des étincelles jaillirent, bien vite étouffées par le bois humide.

« Tu allumes le feu, Nell », dit-il, la laissant seule.

Puis l’image se figea, et Nell réalisa, au bout de quelques minutes, qu’elle était devenue entièrement ractive.

Elle saisit la pierre et le couteau, et entreprit de les frapper l’un contre l’autre (en fait, elle se contentait de bouger les mains dans le vide, mais les mains de la princesse Nell illustrée imitaient ses gestes). Des étincelles jaillirent, mais il n’y avait toujours pas de feu.

Elle insista encore quelque temps, de plus en plus frustrée, jusqu’à en avoir les larmes aux yeux. Mais voilà qu’une étincelle s’envola pour atterrir sur des herbes sèches. Une mince volute de fumée s’éleva et mourut aussitôt.

Elle fit quelques essais et apprit ainsi que l’herbe jaune et sèche marchait mieux que l’herbe verte. Malgré tout, le feu ne durait jamais plus de quelques secondes.

Une rafale de vent vint chasser quelques feuilles mortes dans sa direction. Elle apprit que le feu pouvait se propager de l’herbe sèche aux feuilles. La tige d’une feuille morte était au fond une petite brindille séchée, ce qui lui donna l’idée d’aller explorer un petit bosquet pour aller y chercher ces fameuses brindilles. Le bosquet était envahi de mauvaises herbes, mais elle trouva son bonheur sous un vieux buisson mort.

« Bien ! dit Harv quand il revint et la trouva qui s’avançait avec une brassée de brindilles sèches. Tu as trouvé du petit bois. Tu es une fille dégourdie et une bonne travailleuse. »

Bientôt, ils avaient préparé une belle flambée. Harv abattit assez d’arbres pour être sûr de pouvoir l’entretenir jusqu’à l’aube, puis tous deux s’endormirent, sachant que les trolls n’oseraient pas approcher du feu. Malgré tout, Nell ne dormit pas très bien, car elle pouvait entendre les trolls grommeler au loin dans l’obscurité, et elle voyait étinceler leurs yeux rouges. Elle crut même percevoir un autre son : comme des voix étouffées qui appelaient à l’aide.

Quand le soleil se leva, Nell explora le Château noir, à la recherche de l’origine des voix, mais il ne trouva rien. Harv passa la journée à couper du bois. La veille, il avait abattu le tiers des arbres et, aujourd’hui, il en abattit un autre tiers.

Cette nuit-là, Nell entendit de nouveau les voix, mais, cette fois, elles semblaient crier : « Regarde dans les arbres ! Regarde dans les arbres ! » Le lendemain, elle se rendit dans ce qui restait du bosquet et l’explora, alors même que son frère achevait de le couper. Une fois encore, elle ne trouva rien.

Aucun ne dormit bien cette nuit-là, car ils savaient qu’ils brûlaient leurs dernières réserves de bois et que, la nuit suivante, ils n’auraient plus aucune protection contre les trolls. Nell entendit de nouveau les voix et, cette fois, elles semblaient crier : « Regarde sous le sol ! Regarde sous le sol ! »

Plus tard, après le lever du soleil, elle repartit en exploration et découvrit une caverne dont l’entrée avait été bouchée par les trolls. Quand elle l’eut dégagée, elle trouva quatre poupées : un dinosaure, un canard, un lapin et une femme aux longs cheveux pourpres. Mais elle ne vit aucun être vivant qui aurait pu émettre ces voix.

Ce soir-là, Nell et Harv retournèrent au Château noir et ils s’enfermèrent dans une salle, tout en haut d’une des tours, et ils poussèrent de lourds meubles contre la porte, en espérant ainsi tenir les trolls à l’écart. La pièce avait une seule fenêtre, minuscule, et Nell s’en approcha pour contempler le coucher du soleil, en se demandant si elle le verrait se lever à nouveau. Juste à l’instant où l’ultime éclat de rouge disparaissait sous l’horizon, elle sentit une bouffée d’air dans son dos et pivota pour découvrir un spectacle étonnant : Les animaux en peluche s’étaient transformés en vraies créatures !