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Il y avait là un grand dinosaure effrayant, un canard, un petit lapin malin, et une femme aux cheveux violets, vêtue d’une robe pourpre. Ils expliquèrent à la princesse Nell que sa vilaine marâtre était une méchante sorcière du Pays d’Au-delà, et que tous quatre s’étaient juré, depuis longtemps, de déjouer ses plans maléfiques. Elle leur avait jeté un sort, qui faisait qu’ils étaient des poupées durant le jour, mais retrouvaient leur personnalité normale chaque nuit. Puis elle les avait emprisonnés dans ce château, où les trolls les avaient bouclés dans une caverne. Ils remerciaient Nell de les avoir libérés.

Alors Nell leur raconta son histoire. Quand elle mentionna comment Harv et elle avaient été trouvés dans l’océan, enveloppés dans une couverture d’or, la femme appelée Pourpre remarqua : « Cela veut dire que tu es une authentique princesse, aussi te jurons-nous fidélité éternelle. » Et tous quatre de mettre un genou en terre et de jurer de défendre la princesse Nell jusqu’à la mort.

Dinosaure, qui de tous était le plus féroce, organisa une campagne pour piétiner les trolls et, en l’affaire de quelques jours, tous avaient été chassés. Par la suite, Nell ne fut plus jamais troublée dans son sommeil, car elle savait que les trolls effrayants, qui naguère encore lui donnaient des cauchemars, avaient été remplacés par ses quatre amis de la nuit.

La chambre de torture du juge Fang ; interrogatoire d’un barbare : sombres événements en Chine intérieure : une mise en garde du Dr X impossible à ignorer

Le juge Fang n’avait pas coutume de torturer les gens. À cela plusieurs raisons. Dans le cadre du nouveau système judiciaire confucéen, il n’était plus nécessaire que chaque criminel signe une confession écrite avant l’exécution de la sentence ; il suffisait que le magistrat le juge coupable sur la foi des preuves. Cela seul délivrait le juge de la corvée de torturer une bonne partie de ceux qui se présentaient devant lui, même s’il était souvent tenté d’arracher de force une confession à ces insolents thètes occidentaux qui refusaient d’assumer la responsabilité de leurs actes. Du reste, les équipements modernes de surveillance permettaient de recueillir de l’information sans avoir à se reposer sur des témoins humains (parfois réticents), comme les magistrats d’antan.

Mais l’homme aux boucles rasta rouges était un témoin sans aucun doute réticent, et malheureusement, l’information barricadée dans son cerveau était unique. Aucun aérostat de ciné-surveillance, aucune sonde-espion microscopique n’avait enregistré les données que recherchait le juge Fang. Raison pour laquelle le magistrat avait décidé de se rabattre sur les méthodes consacrées de ses vénérables prédécesseurs.

Chang ligota le prisonnier (qui refusait de donner d’autre identité que M. PhyrePhox) à un lourd chevalet en X, qui servait d’habitude aux bastonnades. C’était un geste purement humanitaire : cela empêcherait PhyrePhox de se débattre et de courir dans tous les coins de la pièce au risque de se blesser. Chang déculotta également le prisonnier et disposa un seau sous ses orifices excréteurs. Ce faisant, il se trouva exposer la seule et unique atteinte corporelle subie par le prisonnier durant toute la procédure : une petite croûte presque imperceptible à la base du rachis marquant l’endroit où, la veille, le médecin légiste avait foré la prise spinale par laquelle il avait introduit (sous le contrôle de Miss Pao) une série de nanosites. Au cours des douze heures suivantes, ces parasites nanotechnologiques avaient tranquillement migré d’un bout à l’autre de la moelle épinière du prévenu, emportés par le liquide céphalo-rachidien, pour venir se loger sur tous les nerfs afférents rencontrés sur leur passage. Ces nerfs qui étaient utilisés par le corps, entre autres, pour transmettre au cerveau des informations telles qu’une sensation de douleur atroce, avaient une texture et un aspect spécifiques que les zites étaient assez futés pour reconnaître. Il est sans doute superflu de mentionner que tous ces zites avaient une autre caractéristique fondamentale : celle de transmettre de fausses informations sur ces trajets nerveux.

Cette imperceptible croûte, juste au-dessus des fesses, attirait toujours l’attention du juge Fang quand il dirigeait une de ces affaires ce qui, fort heureusement, ne se produisait que de rares fois dans l’année. Étant un vrai roux, PhyrePhox avait le teint d’une pâleur cadavérique.

« Cool ! s’exclama soudain le prisonnier, tournant brutalement la tête dans une envolée de nattes, en cherchant tant bien que mal à regarder le bas de son dos, par-dessus son épaule couverte de taches de rousseur. J’ai comme l’impression d’avoir, chais pas, moi, comme un truc extra-doux, peut-être en fourrure, qui me frotte l’intérieur de la cuisse. Ouah, c’est super bandant ! Encore, encore, mec ! Waouh ! Attends une minute ! Cette fois, ça fait pareil, mais comme si c’était sous la plante du pied droit !

— La fixation des nanosites sur les nerfs est un processus aléatoire – on ne sait jamais à quel endroit va aboutir tel ou tel zite. Les sensations que vous êtes en train d’éprouver sont en définitive le moyen pour nous de faire un inventaire. Bien entendu, rien n’a jamais touché votre cuisse ou votre pied ; tout cela se passe à l’intérieur de votre moelle épinière, et vous le ressentiriez même si l’on vous avait amputé des deux jambes.

— C’est vraiment bizarre, s’exclama PhyrePhox, ses yeux vert pâle agrandis de stupéfaction. Alors comme ça, vous pourriez torturer un homme-tronc… » Son œil et sa joue furent pris d’un tic. « Merde ! j’ai l’impression que quelqu’un me chatouille le visage. Hé ! arrêtez ce truc ! » Un large sourire fendit ses traits. « Oh ! non, j’vous dirai tout ! Mais arrêtez de me chatouiller ! Je vous en prie ! »

D’abord abasourdi, Chang fut bientôt furieux de voir le prisonnier rompre ainsi le décorum, et il fit mine de se diriger vers le râtelier de badines accroché au mur. Mais le juge Fang retint son assistant d’une main ferme sur l’épaule. Chang ravala sa colère, inspira un grand coup, puis s’inclina, confus.

« Vous savez, PhyrePhox, dit le juge, j’apprécie réellement les instants de légèreté, pour ne pas dire d’émerveillement enfantin que vous instillez dans cette procédure. Il est encore si fréquent, lorsque nous ligotons des gens au chevalet de torture, de les voir se montrer désagréablement tendus, et pas franchement conviviaux.

— Hé ! mec, j’suis très branché expériences nouvelles. J’ai dû gagner un tas de points d’expérience, c’coup-ci, hein ?

— Des points d’expérience ?

— C’t une blague. Un truc de ractifs d’aventure. Genre : plus un personnage gagne des points d’expérience, plus il obtient de pouvoir. »

Le juge Fang raidit la main et se la passa brutalement derrière la tête, ce qui produisit un sifflement analogue au passage en rase-mottes d’un avion de chasse. « L’allusion m’avait échappé, expliqua-t-il à l’intention de Chang et de Miss Pao, qui ne reconnurent pas le geste. »

« V’là maintenant que j’ai l’impression d’avoir un truc qui me chatouille le tympan droit, dit le prisonnier, en agitant la tête d’avant en arrière.

— À la bonne heure ! Cela veut dire qu’un nanosite a réussi à se fixer au nerf reliant votre tympan au cerveau. Nous considérons toujours que c’est bon signe lorsque ça se produit, dit le juge Fang, car les impulsions douloureuses introduites dans ce nerf provoquent une impression particulièrement vivace chez le sujet. Je m’en vais maintenant demander à Miss Pao de suspendre le processus durant quelques minutes, afin que je puisse avoir toute votre attention.