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— L’avenir est à la coopération, à l’organisation, à l’embrigadement, dit la Reine des Fourmis.

— L’avenir est au cerveau, dit le Roi des Musaraignes.

— L’avenir est à la beauté, à la gloire, aux fulgurantes envolées d’inspiration ! » s’exclama le Roi des Oiseaux.

Cela déclencha une nouvelle dispute stridente entre les trois souverains. Tout le monde s’emporta et il y aurait sans doute eu du grabuge si la mer, en montant, n’avait déposé sur la plage quelques cadavres de baleines et d’élasmosaures. Comme on peut l’imaginer, chacun se précipita sur ses dons du ciel avec entrain, et, tout en me gavant, je réussis à engloutir des quantités phénoménales d’oiseaux, de musaraignes et de fourmis venus partager le festin.

Après que tout le monde se fut empli la panse et calmé quelque peu, les souverains reprirent leur discussion. Finalement, le Roi des Musaraignes, qui semblait avoir été désigné porte-parole des monarques, s’avança de nouveau. « Étant dans l’impossibilité de choisir lequel parmi vous devrait être le Roi des Reptiles, nous avons décidé que chacune de nos nations, Oiseaux, Mammifères et Fourmis, vous fera passer en jugement, et ce n’est que par la suite que nous nous réunirons de nouveau pour voter. Si l’on ne parvient toujours pas à vous départager, nous vous mangerons tous les quatre et mettrons ainsi fin au Royaume des Reptiles. »

On tira au sort, et je fus choisi pour me présenter devant les fourmis pour la première audience du procès. Je suivis donc la Reine au milieu de son armée, avançant avec précaution, jusqu’à ce qu’elle me lance : « Du nerf, poumonard ! Le temps, c’est de la bouffe ! Ne te soucie donc pas de toutes ces fourmis sous tes pieds – tu ne pourras en tuer guère plus de zéro ! » Dès lors, donc, je marchai tout à fait normalement, mais je sentis peu à peu mes griffes devenir gluantes de fourmis écrabouillées.

Nous avons progressé de la sorte en direction du sud pendant un jour ou deux, pour nous arrêter enfin au bord d’un cours d’eau. « Au sud d’ici se trouve le territoire du Roi des Cafards. Ta première tâche est de me rapporter la tête de leur Roi. »

Contemplant la rive opposée, je découvris que toute la campagne était recouverte d’une infinie multitude de cafards, plus que je n’en pourrais piétiner ; et même en imaginant que je les piétine tous, il devait y en avoir d’autres sous terre, car nul doute que c’est là que vivait leur Roi.

Je traversai à gué et parcourus durant trois jours le Royaume des Cafards avant de traverser un autre cours d’eau et de pénétrer au Royaume des Abeilles. Je n’avais pas vu autant de verdure depuis bien longtemps, avec quantité de fleurs sauvages, et des nuées d’abeilles rapportant le nectar vers leurs ruches, qui étaient aussi grandes que des maisons.

Cela me donna une idée. J’abattis plusieurs arbres creux emplis de miel, les traînai jusqu’au Royaume des Cafards, puis, les ayant fendus en longueur, je fis couler le miel et traçai des pistes collantes qui redescendaient vers l’océan. Les cafards les suivirent jusqu’au rivage, où les vagues déferlèrent sur leur tête et les noyèrent. Trois jours durant, je fis le guet, tandis que le nombre des cafards diminuait sans cesse, jusqu’à ce qu’au troisième matin le Roi des Cafards émerge de sa salle du trône pour voir où tout le monde était passé. Je l’attirai sur une feuille et le ramenai sur la rive nord du fleuve, au Royaume des Fourmis, à la grande stupéfaction de la Reine.

Qui me confia aussitôt au Roi des Oiseaux. Entouré de son armée braillarde et jacassante, il me conduisit au sommet des montagnes, au beau milieu des neiges éternelles, où j’étais assuré de périr de froid. Mais alors que nous poursuivions notre ascension, je sentis remonter la température, ce qui me parut incompréhensible jusqu’au moment où je compris que nous approchions de la bouche d’un volcan. Finalement, nous nous arrêtons à la lisière d’une coulée de lave chauffée au rouge, large de huit cents mètres. Au centre de la coulée, un grand rocher noir se dressait, telle une île au milieu d’un fleuve.

Le Roi des Oiseaux ôta de sa queue une plume dorée et la donna à un soldat, qui la prit dans son bec et s’envola au-dessus du lac de lave pour aller la déposer tout au sommet du rocher noir. Le temps de revenir, il était à moitié rôti par la chaleur irradiée par la lave – tu peux imaginer à quel point je salivais ! « Ta tâche, dit le Roi, est de me rapporter cette plume. »

C’était franchement injuste, et je protestai en arguant que les oiseaux cherchaient de toute évidence à favoriser Ptéranodon. Ce genre d’argument aurait pu porter avec des fourmis, voire des musaraignes ; mais le Roi des Oiseaux ne voulait rien entendre. Pour eux, la vertu consistait à se comporter en oiseau, et la notion de justice n’entrait pas en ligne de compte.

Je restai donc planté là, au bord du lac de lave jusqu’à ce que mon cuir se mette à fumer, mais je n’arrivais toujours pas à voir comment je pourrais récupérer cette plume. Je décidai finalement de renoncer. Je m’éloignais, en m’écorchant les pieds sur la roche acérée, quand l’illumination se fit : le roc sur lequel je me tenais depuis le début n’était jamais que de la lave refroidie et solidifiée.

Nous étions haut dans la montagne ; à cette altitude, glaciers et champs de neige s’élevaient au-dessus de moi comme les murailles d’un palais. J’escaladai une pente particulièrement raide et entrepris de fouetter la neige à coups de queue jusqu’à finir par déclencher une avalanche. Des millions de tonnes de glace et de neige se mirent à dévaler vers la coulée de lave, la noyant sous un formidable nuage de vapeur. Durant trois jours et trois nuits, je fus incapable de distinguer mes griffes devant mon nez, tant il y avait de vapeur, mais le troisième jour, elle se dissipa enfin et j’aperçus un pont de lave solidifiée qui s’étendait jusqu’à cette roche noire. Je le franchis en gambadant (pour autant qu’un dinosaure puisse gambader), m’emparai de la plume dorée, fis promptement demi-tour et m’arrêtai dans la neige, le temps de laisser mes pieds refroidir. Puis je revins trouver le Roi des Oiseaux qui, bien entendu, ne manqua pas d’être étonné.

Je fus alors confié aux mammifères, qui étaient presque tous des musaraignes. Ils me conduisirent au pied des collines, à l’entrée d’une vaste caverne. « Ta tâche, dit le Roi des Musaraignes, est d’attendre ici Dojo, et de le vaincre en combat singulier. » Sur quoi, toutes les musaraignes s’en retournèrent, me laissant tout seul.

J’attendis devant la caverne pendant trois jours et trois nuits, ce qui me laissa tout loisir d’examiner les lieux. Au début, je me montrai assez confiant, car ce défi me paraissait le plus simple des trois ; même si je n’avais aucune idée de ce que pouvait être un Dojo, je savais que je n’avais jamais encore rencontré de rival à ma hauteur en combat singulier. Mais le premier jour, alors que j’attendais ce fameux Dojo, assis sur ma queue, je remarquai par terre un semis d’objets brillants et, me penchant pour les examiner, je m’aperçus qu’il s’agissait en fait d’écailles. Pour être précis, d’écailles de dinosaures, que je reconnus comme celles de Ptéranodon, d’Ankylosaure et d’Utahraptor, et qui semblaient avoir été arrachées de leur corps par des impacts puissants.

Le deuxième jour, je rôdai dans le voisinage et notai sur l’écorce des arbres de profondes entailles, sans aucun doute provoquées par Utahraptor lors d’un combat furieux contre Dojo ; d’autres arbres avaient été carrément sectionnés à la base par la massue qui terminait la queue d’Ankylosaure ; et le sol était parcouru de longues griffures, laissées par les serres de Ptéranodon se jetant à corps perdu contre un insaisissable adversaire. Là, l’inquiétude me prit. Il était manifeste que mes trois rivaux avaient combattu Dojo et qu’ils avaient perdu, de sorte que si je perdais également (ce qui était inconcevable), je me retrouverais au même point que l’adversaire ; mais les règles de la confrontation établissaient que, en cas d’égalité, les quatre dinosaures seraient mangés et le Royaume des Reptiles disparaîtrait. Je passai la nuit à me retourner les sangs : qui était Dojo ? Était-il si terrible ?