— Alors, j’irai au Pays d’Au-delà avec mes Amis de la Nuit, dit la princesse Nell, et je retrouverai les douze clefs, et je reviendrai ici un jour pour te délivrer de ce Château noir.
— Je ne vais pas retenir mon souffle, dit Harv, mais merci quand même. »
En bas sur la plage, était amarrée une barque dont se servait jadis le père de Nell pour canoter autour de l’île. Nell y monta avec ses Amis de la Nuit et se mit à ramer.
Nell rama de longues heures, à en avoir le dos et les épaules endoloris. Le soleil se coucha à l’ouest, le ciel s’assombrit, et il devint difficile de repérer le Corbeau sur ce fond toujours plus noir. Puis, au grand soulagement de Nell, ses Amis de la Nuit reprirent vie comme tous les soirs. Il y avait toute la place voulue dans le canot pour la princesse Nell, Pourpre, Peter et Canard, mais Dinosaure était si gros qu’il faillit les submerger ; il dut s’asseoir à la proue pour ramer tandis que les autres se regroupaient à la poupe en tâchant de faire contrepoids.
Ils avançaient bien plus vite grâce à la nage vigoureuse de Dinosaure ; mais, au petit jour, une tempête se leva, et bientôt les vagues leur passaient par-dessus la tête, même celle de Dinosaure, et la pluie tombait si dru que Pourpre et la princesse Nell durent écoper en se servant du casque étincelant de Dinosaure en guise de seau. Dinosaure jeta tout le reste de son armure pour les délester, mais il devint bientôt manifeste que ce n’était pas suffisant.
« Alors, je ferai mon devoir de guerrier, dit Dinosaure. Mon rôle auprès de toi s’achève, princesse Nell ; dorénavant, tu devras écouter les sages conseils de tes autres Amis de la Nuit et te servir de ce que je t’aurai enseigné quand rien d’autre ne marchera. » Et sur ces mots, il plongea dans l’eau et disparut sous les vagues. Le canot remonta en dansant comme un bouchon. Une heure plus tard, la tempête se mit à faiblir, et peu avant l’aube, l’océan était devenu lisse comme un miroir, tandis que tout l’horizon ouest était barré par une terre verdoyante, plus vaste que tout ce que la princesse Nell avait jamais pu imaginer : le Pays d’Au-delà.
La princesse Nell pleurait amèrement la disparition de Dinosaure et elle voulut l’attendre sur la grève, au cas où il se serait accroché à une épave et aurait dérivé jusqu’au rivage.
« Il ne faut pas nous attarder ici, dit Pourpre, ou nous risquons d’être repérés par les sentinelles du Roi des Pies.
— Le Roi des Pies ? s’étonna la princesse Nell.
— L’un des douze Rois et Reines des Fées. Cette grève fait partie de son domaine, expliqua Pourpre. Des vols d’étourneaux sont à son service pour garder ses frontières.
— Trop tard ! s’exclama Peter à l’œil de lynx. Nous sommes découverts ! »
En cet instant, le soleil se leva, et les Amis de la Nuit redevinrent des peluches.
Un oiseau solitaire plongeait vers eux du haut du ciel matinal. Quand il fut plus près, la princesse Nell vit qu’il ne s’agissait aucunement d’un des étourneaux du Roi des Pies ; c’était leur ami le Corbeau. Il se posa sur une branche au-dessus de leur tête et s’écria : « Bonne nouvelle ! Mauvaise nouvelle ! Par quoi dois-je commencer ?
— Par la bonne, dit la princesse Nell.
— La méchante Reine a perdu la bataille. Son pouvoir a été brisé par les douze autres souverains.
— Quelle est la mauvaise ?
— Chacun d’eux s’est emparé d’une des douze clefs en guise de butin et l’a enfermée dans son trésor royal. Jamais tu ne pourras les récupérer toutes.
— Mais j’ai juré de les retrouver, dit la princesse Nell, et Dinosaure m’a montré la nuit dernière qu’un guerrier doit remplir son devoir, même si c’est au prix de sa vie. Montre-moi le chemin du château du Roi des Pies ; nous commencerons par récupérer sa clef. »
Elle s’enfonça dans la forêt et, avant longtemps, elle tomba sur un chemin de terre qui, selon le Corbeau, la conduirait au château du Roi des Pies. Après une pause pour déjeuner, elle se remit en route, en scrutant le ciel d’un œil perçant.
Suivait un bref chapitre assez enlevé, où Nell découvrait sur la route les empreintes de pas d’un autre voyageur, bientôt rejointes par un deuxième, puis par un troisième. Cela continuait ainsi jusqu’à la nuit tombée, quand Pourpre, ayant examiné les empreintes, informa la princesse Nell qu’elle avait passé la journée à tourner en rond.
« Mais j’ai suivi la route avec soin, dit Nell.
— La route est un des pièges du Roi des Pies, dit Pourpre. C’est un chemin circulaire. Pour trouver son château, il nous faut coiffer nos bonnets de réflexion et nous servir de notre cervelle, car, dans ce pays, tout n’est que piège de l’une ou l’autre sorte.
— Mais comment pourra-t-on trouver son château si tous les chemins sont faits pour nous tromper ? demanda Peter Rabbit, le lapin.
— Nell, as-tu ton aiguille à repriser ? demanda Pourpre.
— Oui », dit Nell, qui glissa la main dans sa poche et en sortit sa trousse de couture.
« Peter, as-tu ta pierre magique ? continua Pourpre.
— Oui », dit Peter, en la sortant de sa poche. Elle n’avait pas l’air magique, n’était qu’une simple masse grise, mais elle avait la propriété magique d’attirer les petits bouts de métal.
« Et Canard, peux-tu récupérer le bouchon d’une des bouteilles de limonade ?
— Celle-ci est presque vide, dit Canard.
— Très bien. J’aurai également besoin d’une jatte remplie d’eau », dit Pourpre, et ses trois amis lui fournirent les trois objets.
Nell poursuivit sa lecture, apprenant de la sorte comment Pourpre avait confectionné un compas en magnétisant l’aiguille, puis en la passant au travers du bouchon, avant de la mettre à flotter dans la jatte remplie d’eau. Elle lut le récit des trois jours de leur voyage au pays du Roi des Pies et de tous les pièges qu’il recelait – des animaux qui dérobaient leur nourriture, des sables mouvants, des averses soudaines, des baies appétissantes mais empoisonnées, des collets et des chausse-trappes destinés à piéger les hôtes indésirables. Nell savait qu’à tout moment elle pouvait revenir en arrière, poser par la suite des questions sur tous ces détails et passer de longues heures à relire cette partie de l’aventure. Mais l’essentiel semblait être les discussions avec Peter qui concluaient chaque journée du voyage.
Peter Rabbit était leur guide pour franchir tous ces périls. Il avait l’œil aiguisé, à force de manger des carottes, et ses oreilles géantes lui permettaient d’entendre venir les ennuis à des kilomètres. Son nez frémissant humait le danger, et son esprit était trop acéré pour la majorité des pièges du Roi des Pies. Avant longtemps, ils étaient parvenus dans les faubourgs de sa capitale, qui n’était même pas ceinte d’un mur, tant Le Roi des Pies était convaincu qu’aucun envahisseur ne pourrait jamais franchir tous les pièges et chausse-trappes de la forêt.
La princesse Nell dans la cité du Roi des Pies ; problèmes avec une hyène ; l’histoire de Peter ; Nell se charge d’un étranger
Pour la princesse Nell, la cité du Roi des Pies était plus effrayante qu’une jungle, et elle aurait plus volontiers confié sa vie aux bêtes sauvages de la forêt qu’à bon nombre de ses habitants. Ils voulurent dormir dans une jolie clairière au milieu de la cité, qui rappelait à la princesse Nell les clairières de l’Isle enchantée. Mais avant qu’ils aient eu le loisir de s’installer, une hyène sifflante aux yeux rouges et aux griffes sanguinolentes vint les en chasser.