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— Attrape une de ces couvertures, dit Nell. J’ai une idée. »

Ils avaient abandonné les leurs en partant. Une couverture de survie abandonnée dépassait d’une poubelle au pied de la digue, et Harv la saisit au vol et la tassa en boule.

Nell reconduisit Harv vers le petit carré d’arbres. Ils retrouvèrent la petite cavité où ils s’étaient arrêtés un peu plus tôt. Cette fois, Nell étala la couverture au-dessus de leur tête, puis ils la bordèrent tout autour d’eux pour former une bulle. Ils attendirent sans bouger une minute, cinq, dix. De temps à autre, ils entendaient le faible sifflement d’une gousse passant à proximité, mais elles poursuivaient toujours leur route et, avant qu’ils s’en rendent compte, ils étaient endormis.

Mystérieux souvenir du Dr X ; arrivée d’Hackworth à Vancouver ; visite du quartier atlantéen de cette cité ; il acquiert un nouveau moyen de transport

Le Dr X avait dépêché un émissaire à l’Aérodrome de Shanghai avec pour instruction de rechercher Hackworth. Le messager s’était glissé près de lui alors qu’il dialoguait avec une vespasienne, l’avait salué avec effusion, puis avait pissé à son tour. Les deux hommes avaient alors échangé leurs cartes de visite, les acceptant à deux mains avec un discret signe de tête.

La carte d’Hackworth était aussi peu tapageuse que son propriétaire : blanche, elle était gravée en lettres capitales passablement sévères. Comme la plupart des cartes, elle était en intelli-papier et disposait d’une réserve d’espace-mémoire suffisante pour y stocker de l’information numérique. Cet exemplaire particulier contenait un programme matri-compilateur dérivé de celui qui avait créé l’original du Manuel illustré d’éducation pour Jeunes Filles. Cette version utilisait des algorithmes de synthèse vocale automatiques au lieu de s’appuyer sur des racteurs professionnels, et il contenait toutes les bases nécessaires aux codeurs du Dr X pour en traduire le texte en chinois.

La carte du docteur était plus pittoresque. Elle exhibait plusieurs caractères hanzi griffonnés en travers, ainsi que le sceau du Dr X. Avec l’introduction du papier intelligent, les sceaux étaient devenus dynamiques. Le timbre transférait au papier un programme générateur de petits graphismes qui s’affichaient en boucle perpétuelle. Le sceau du Dr X présentait un contremaître crasseux, le chapeau chinois accroché dans le dos, qui était accroupi sur un rocher au bord d’une rivière, une canne en bambou dans les mains, et qui tirait de l’eau un poisson – non, minute, ce n’était pas un poisson, c’était un dragon qui se tortillait au bout de sa ligne, et, le temps de vous en apercevoir, le contremaître se retournait et vous adressait un sourire insolent. Ce tableau un peu kitsch se figeait alors pour se transformer, par un habile morphing, en idéogrammes représentant le nom du Dr X. Puis il reprenait en boucle au début. Au dos de la carte, quelques médiaglyphes révélaient qu’il s’agissait en fait d’un minip : en fait, un programme de pilotage universel pour matri-compilateur, assorti du crédit d’ucus suffisant pour le faire fonctionner. Les médiaglyphes indiquaient qu’il ne pouvait tourner que sur un compilateur de matière d’un volume de huit mètres cubes ou plus, ce qui était énorme : Hackworth ne pourrait l’utiliser qu’après son arrivée en Amérique.

Il débarqua du Hanjin Takhoma à Vancouver, cité qui en dehors de posséder l’amarrage pour aéronefs le plus spectaculaire de la planète se vantait d’avoir un phyle atlantéen de taille respectable. Le Dr X ne lui avait donné aucun renseignement précis sur sa destination – juste le minip et un numéro de vol – et donc il ne voyait pas l’intérêt de rester à bord jusqu’au terminus de la ligne. D’ici, il pouvait toujours descendre la côte en TGV si nécessaire.

La cité proprement dite était un bazar de claves aux dimensions tentaculaires. En conséquence, elle était généreusement pourvue en agoras, possédées et gérées par le Protocole, qui offraient aux citoyens et sujets des divers phyles un terrain neutre où se retrouver pour commercer, négocier, forniquer ou autre. Certaines agoras n’étaient que de simples esplanades ouvertes, dans la tradition classique, d’autres tenaient plutôt du palais des congrès ou de l’immeuble de bureau. L’essentiel des quartiers les plus cotés et les mieux situés du vieux Vancouver avaient été acquis par l’Association de bienfaisance mutualiste d’Hongkong ou par les Nippons ; quant aux Confucéens, ils possédaient les plus grandes tours de bureaux du centre urbain. À l’est, dans le delta fertile de la Fraser, on disait que Slaves et Germains s’étaient réservé de vastes étendues de Lebensraum, quadrillées par un réseau de sécurité autrement plus sérieux que les gousses traditionnelles. L’Hindoustan avait un semis de claves minuscules réparties dans toute la zone métropolitaine.

La clave d’Atlantis jaillissait de l’eau à huit cents mètres à l’ouest de l’université, à laquelle la reliait une chaussée. L’Imperial Tectonics lui avait donné l’aspect d’une île parmi les autres, comme si elle avait été là depuis un million d’années. Lorsque, juché sur son vélocipède de location, Hackworth aborda la chaussée et qu’il sentit enfin la fraîcheur de l’air marin fouetter ses joues mal rasées, il commença à se relaxer, se retrouvant en terre de connaissance. Sur un stade vert émeraude installé au-dessus des brise-lames, on voyait des adolescents en short jouer au football ; ils étaient en pleine mêlée.

Du côté opposé de la route, on voyait se dresser l’établissement pour jeunes filles, avec son propre stade, de dimensions identiques, mais entouré d’une haie dense haute de quatre mètres pour permettre aux jeunes filles de courir en petite tenue ou en collant sans soulever de problèmes d’étiquette. Hackworth avait mal dormi dans sa micro-couchette, et il serait volontiers descendu directement à la pension d’hôtes faire une petite sieste, mais il n’était qu’onze heures du matin, et il ne supportait pas l’éventualité de perdre sa journée. Aussi gagna-t-il le centre en vélocipède ; il s’arrêta devant le premier pub pour y déjeuner. Le barman lui indiqua comment se rendre à la Poste centrale, qui n’était qu’à quelques rues.

C’était une poste importante qui exhibait un large assortiment de compilateurs de matière, y compris un modèle de dix mètres cubes, attenant au quai de chargement. Hackworth inséra dans le lecteur la carte du Dr X, puis il retint son souffle. Mais il ne se passa rien de spectaculaire : l’écran du panneau de commande indiqua simplement que la tâche allait prendre environ deux heures.

Hackworth tua le plus clair de ce temps à déambuler dans la clave. Le centre urbain était assez réduit et laissait rapidement place à des faubourgs verdoyants, parsemés de demeures de style roi George, victorien ou romantique, avec quelques manoirs Tudor perchés sur une crête ou nichés dans un creux de verdure. Au-delà de ces résidences s’étirait une ceinture de fermes transformées en gentilhommières, entrecoupées de parcours de golf et de parcs. Il s’assit sur un banc dans un jardin public fleuri et déplia la feuille de papier médiatronique qui suivait à la trace les mouvements de son exemplaire originel du Manuel illustré d’éducation pour Jeunes Filles.

Le livre semblait avoir passé un certain temps dans une ceinture verte avant de remonter la colline dans la direction approximative de la clave de la Nouvelle-Atlantis.

Hackworth sortit son stylo-plume et rédigea une brève lettre adressée à Lord Finkle-McGraw.

Votre Grâce,

Depuis que j’ai accepté la charge que vous avez bien voulu me confier, je me suis toujours efforcé d’être parfaitement franc et de vous communiquer de manière transparente toute information ayant trait à la mission en cours. Dans cet esprit, je dois vous informer qu’il y a deux ans, dans ma quête désespérée de l’exemplaire disparu du Manuel, j’ai pris l’initiative d’une fouille des Territoires concédés… (&c., &c.)