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Sur le tableau, Nell vit ses mains roses et nues ramasser de la neige et la glisser, morceau par morceau, par le goulot du récipient. Quand il fut plein, elle remit le bouchon (Nell n’eut pas besoin de spécifier ce détail), puis se mit à contourner le rocher, à la recherche d’un passage pas trop escarpé. Là non plus, Nell n’eut pas besoin de s’expliquer en détail ; dans le ractif, elle explorait le rocher d’une manière assez rationnelle et, au bout de quelques minutes, elle découvrait un escalier taillé dans la roche, qui descendait en sinuant à l’infini à flanc de montagne, jusqu’au moment où il disparaissait à travers la mer de nuages, bien loin en contrebas. La princesse Nell entama la descente, une marche après l’autre.

Au bout d’un moment, Nell tenta une expérience : « La princesse Nell descendit l’escalier durant de longues heures. »

Cela déclencha une succession de fondus enchaînés comme ; dans les vieux passifs : l’image se transforma en un gros plan de ses pieds, en train de descendre péniblement les marches, qui s’enchaîna sur une vue prise de beaucoup plus bas à flanc de montagne, à son tour suivie d’un cadrage serré sur la princesse Nell en train de déboucher sa gourde pour boire de la neige fondue ; une autre vue, toujours plus bas ; Nell assise pour récupérer ; un aigle prenant son essor ; l’approche de la mer de nuages ; de grands arbres ; la traversée de la brume ; enfin, Nell descendant pesamment les dix dernières marches et débouchant dans une clairière au milieu d’une forêt de sombres conifères, tapissée d’aiguilles de pins couleur de rouille. C’était le crépuscule et les loups commençaient à hurler. Nell prit ses dispositions habituelles pour la nuit, alluma un feu et se blottit pour dormir.

Étant parvenue à une halte convenable, Nell s’apprêtait à refermer le livre. Il faudrait qu’elle reprenne cette aventure un peu plus tard.

Elle venait d’entrer dans le pays du plus vieux et du plus puissant des Souverains des Fées. Les nombreux châteaux perchés sur les montagnes appartenaient à tous ses comtes et ducs, et elle subodorait qu’elle allait devoir les visiter tous, avant d’obtenir ce qu’elle était venue chercher. Ce n’était pas une aventure à expédier un petit matin de samedi. Mais alors qu’elle refermait le Manuel, de nouveaux mots apparurent avec une illustration sur la page qu’elle venait de lire, et un détail sur l’image l’amena à rouvrir le livre. Elle montrait un corbeau perché sur une branche au-dessus de la princesse Nell, tenant dans son bec un collier. Il était formé d’onze clefs ouvragées accrochées à une chaîne en or. La princesse Nell l’avait portée à son cou ; apparemment, le prochain événement du récit était que cet oiseau allait la lui dérober pendant son sommeil. Sous l’image, il y avait un poème, dit par le corbeau depuis son perchoir.

Châteaux, jardins, or et joyaux : Satisfaction, pour les idiots Comme la princesse Nell ; mais ceux qui Cultivent leur esprit, Tels que le Roi Coyote et ses corbeaux Compilent leur pouvoir, morceau après morceau, Le cachant en des lieux secrets Que personne ne connaît.

Nell referma le livre. Tout cela était trop déroutant pour qu’elle y réfléchisse immédiatement. Elle avait couru après ces clefs presque toute sa vie. La première, elle l’avait subtilisée au Roi des Pies, juste après être arrivée avec Harv à Dovetail. Les dix autres, elle les avait récupérées une par une au cours des années ultérieures. Elle y était parvenue en se rendant dans les pays des divers Souverains des Fées qui les détenaient et en appliquant les tours appris de ses Amis de la Nuit. Elle avait ainsi récupéré chacune des clefs d’une manière différente.

L’une des plus difficiles à obtenir avait appartenu à une vieille Reine des Fées qui avait su déjouer tous les tours que Nell avait pu imaginer et détourner toutes ses attaques. Finalement, en désespoir de cause, la princesse Nell s’était abandonnée à la merci de cette reine en lui narrant la triste histoire de son frère Harv prisonnier du Château noir. La reine lui avait alors offert un bon bol de consommé de volaille avant de lui tendre sa clef avec un sourire.

Peu de temps après, Canard avait croisé sur son chemin une jeune et fringante cane colvert et il s’était envolé avec elle pour fonder une famille. Pourpre et la princesse Nell avaient alors continué à voyager de concert durant plusieurs années, et souvent, le soir venu, quand elles étaient assises autour d’un feu de bois au clair de lune, Pourpre enseignait à Nell les secrets qu’elle tenait de son livre magique et les savoirs anciens qu’elle gardait en mémoire.

Ces derniers temps, elles avaient parcouru mille milles à dos de chameau à travers un grand désert rempli de djinns, de démons, de sultans et de califes, pour finalement atteindre le palais coiffé d’un grand dôme en oignon qui abritait le souverain local – lui-même un djinn de grand pouvoir – régnant sur tous les déserts. La princesse Nell avait ourdi un plan compliqué pour mettre la main sur le trésor du djinn. Pour le réaliser, Pourpre et elle devaient vivre pendant deux ans dans la cité entourant le palais et effectuer de fréquentes expéditions dans le désert, à la recherche d’anneaux et de lampes magiques, de cavernes secrètes et autres éléments du même genre.

Finalement, Pourpre et la princesse Nell avaient pénétré dans la salle du trésor du roi djinn et trouvé la onzième clef. Mais voilà qu’elles avaient été surprises par le djinn en personne, qui les avait attaquées, déguisé en serpent cracheur de flammes. Pourpre s’était alors transformée en un aigle géant aux ailes métalliques et pourvu de serres résistantes au feu – à la grande surprise de la princesse Nell qui n’avait jamais imaginé que sa compagne eût possédé de tels pouvoirs.

La bataille entre Pourpre et le djinn avait fait rage durant un jour et une nuit, les deux combattants se transformant successivement en toutes sortes de créatures fantastiques et se jetant mutuellement toutes sortes de sorts dévastateurs, jusqu’à ce qu’en définitive l’imposante forteresse ne soit plus que ruines, le désert brûlé et défoncé à plusieurs kilomètres à la ronde, et Pourpre et le roi djinn étendus morts l’un et l’autre, sur le sol de ce qui avait été la salle du trésor.

Nell avait ramassé par terre la onzième clef, l’avait glissée sur sa chaîne, puis elle avait incinéré la dépouille de Pourpre et répandu ses cendres à travers le désert au cours des nombreux jours de marche de sa traversée, jusqu’aux montagnes et à cette terre verdoyante où les onze clefs venaient à présent de lui être dérobées.

Expériences de Nell à l’école ; une confrontation avec Miss Stricken ; les rigueurs du Complément d’études ; philosophie de l’éducation selon Miss Matheson ; trois amies se séparent

AGLAÉ | BRILLANT

EUPHROSYNE | JOIE

THALIE | ÉPANOUISSEMENT

Les noms des trois Grâces, ainsi que les diverses conceptions de ces dames par toutes sortes d’artistes, étaient gravés, peints et sculptés à foison à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Académie de Miss Matheson. Nell ne pouvait tourner son regard sans voir l’une ou l’autre gambader parmi les fleurs des champs, distribuer des couronnes de lauriers aux héros valeureux, brandir de concert une torche vers le ciel, ou déverser des rayons chatoyants sur des pupilles réceptives.