Выбрать главу

« La brique et le sang bâtirent Astapor, murmura Barbe-Blanche, et la brique et le sang sa population.

— D’où le tenez-vous ? demanda-t-elle par curiosité.

— D’une vieille chanson qu’un mestre m’enseigna lorsque j’étais gosse. Je ne me doutais pas à quel point c’était vrai. Les briques d’Astapor doivent leur pourpre au sang des esclaves qui les fabriquèrent.

— Je n’ai pas grand mal à le croire, avoua-t-elle.

— Alors, quittez ces lieux avant que votre cœur ne se change à son tour en brique. Appareillez dès cette nuit à la marée montante. »

Que ne le puis-je ! se dit-elle. « Quand je quitterai Astapor, il faut que ce soit à la tête d’une armée, d’après ser Jorah.

— Ser Jorah aussi fut un négrier, Votre Grâce, lui remémora le vieillard. Il vous est possible d’engager quantité de mercenaires à Pentos, à Myr, à Tyrosh. Ils ont beau n’avoir point d’honneur, puisqu’ils tuent pour de l’argent, du moins ne sont-ils pas esclaves. Procurez-vous là votre armée, je vous en supplie.

— Mon frère avait visité Pentos, Myr, Braavos…, à peu près toutes les cités libres. Archontes et patrices le saoulèrent du vin des promesses, mais ce vin n’altéra que plus mortellement son âme. Nul homme ne saurait demeurer un homme en mendiant sa vie durant son écuellée de soupe. J’y ai goûté à Qarth, et cela m’a suffi. Jamais je ne regagnerai Pentos l’écuelle à la main.

— Mieux vaut le faire en mendigot qu’en négrier, s’obstina-t-il.

— C’est parler en homme qui ne fut ni l’un ni l’autre. » Ses narines se dilatèrent. « Savez-vous quel effet cela fait d’être vendu, sieur écuyer ? Moi, oui. Mon frère me vendit à Khal Drogo contre la promesse d’une couronne d’or. Et Drogo le couronna d’or, effectivement, sinon de la manière où il l’entendait, et moi…, le soleil étoilé de ma vie me fit bel et bien reine, mais tout autrement que s’il eût été un autre homme. Pensez-vous que j’aie oublié la saveur de la peur ? »

Barbe-Blanche courba la tête. « Je n’entendais pas offenser Votre Grâce.

— Seuls m’offensent les mensonges, jamais les avis sincères. » Elle tapota sa main tavelée pour le rassurer. « J’ai des susceptibilités de dragon, voilà tout. Ne vous en inquiétez pas outre mesure.

— Je tâcherai de m’en souvenir », sourit-il.

Il a une bonne tête, songea-t-elle, et il respire une formidable énergie. Elle ne parvenait pas à s’expliquer l’invincible aversion de Mormont. Par jalousie que j’aie découvert un autre interlocuteur ? Malgré qu’elle en eût, le souvenir l’assaillit de la nuit où le chevalier exilé l’avait embrassée, dans sa cabine du Balérion. Il n’aurait jamais dû faire cela. Il a trois fois mon âge, il est de trop basse extrace pour prétendre à moi, et il s’est absolument dispensé de mon autorisation. Jamais un chevalier authentique ne se permettrait d’embrasser une reine à son corps défendant. A bord, elle avait pris grand soin de ne plus se trouver un instant tête à tête avec lui depuis, de s’entourer toujours de ses camérières et parfois de ses sang-coureurs. Il n’aspire qu’à récidiver. Je le lis dans ses yeux.

Ce qu’elle voulait elle-même, elle n’en savait pas le premier mot, mais le baiser de Jorah n’en avait pas moins réveillé quelque chose en elle, quelque chose d’assoupi depuis la mort de Khal Drogo. Il lui arrivait, étendue sur sa couchette étroite, de se surprendre à se demander quelle impression cela lui ferait d’avoir un homme blotti contre elle à la place de sa soubrette, et cette pensée l’échauffait plus que de raison. Parfois, elle fermait les eux pour rêver de lui, mais ce n’était jamais sous les traits de Jorah Mormont qu’il lui apparaissait alors, mais sous ceux, aussi indistincts d’ailleurs qu’une ombre mouvante, sous ceux d’un amant bien plus jeune et plus attrayant.

Une fois, trop tourmentée pour trouver le sommeil, elle avait glissé une main entre ses cuisses et s’était avec stupeur découverte en nage. Osant à peine respirer, elle fit aller et venir ses doigts tout au bord des lèvres, lentement, afin de ne point réveiller sa compagne, Irri, puis elle trouva l’angle exquis et s’y attarda sans brutalité, d’abord timidement, puis de plus en plus vite. Or, le soulagement qu’elle en escomptait semblait incessamment se dérober quand ses dragons s’émurent, allant l’un d’eux jusqu’à piailler, tant et si bien qu’Irri, finissant par s’éveiller, comprit ce qu’était en train de faire sa maîtresse.

Daenerys eut conscience de s’empourprer mais, à la faveur des ténèbres, Irri ne s’en douta sûrement point, qui, sans souffler mot, se contenta de lui poser la main sur la poitrine puis s’inclina pour prendre un téton dans sa bouche, tandis que lui effleurant l’orbe délicat du ventre, son autre main se faufilait dans les or et argent soyeux du pubis et entreprenait sa tâche la plus occulte. Il ne fallut que peu d’instants à Daenerys pour que ses jambes se tordent et ruent, que ses seins soient pris dans la houle et que des frissons lui courent par tout le corps. Alors elle se mit à crier. Mais peut-être fut-ce Drogon. Après quoi, toujours muette et comme si de rien n’était, Irri se pelotonna comme auparavant et se rendormit instantanément.

Au matin, tout cela semblait n’avoir été qu’un rêve. Et en quoi cela regardait-il Mormont, hein ? C’est de Drogo, le soleil étoilé de ma vie, que j’ai faim, se chapitra-t-elle. Pas d’Irri ni de ser Jorah, de Drogo et de Drogo seul. Seulement, Drogo n’était plus. Elle s’était figuré que ces sensations-là étaient mortes avec lui dans le désert rouge, mais il avait suffi d’un baiser volé en traître pour les ramener à la vie. Il n’aurait jamais dû m’embrasser. Il a fait pis qu’abuser de moi, et je l’ai laissé faire. Cela ne doit plus se produire, jamais, plus jamais. Sa bouche fit une grimace résolue que sa tête appuya d’un hochement, déclenchant le tintement ténu de la clochette attachée à sa tresse.

Aux abords de la baie, la ville offrait un visage plus riant. Sur les vastes terrasses des gigantesques pyramides qui, le long du rivage, atteignaient quatre cents pieds de haut, croissaient toutes sortes d’arbres émaillés de treilles et de fleurs, et les vents qui s’y jouaient embaumaient la verdure et mille parfums capiteux. La porte était surmontée d’une harpie non moins colossale que la précédente mais en céramique rouge et si délitée que sa queue de scorpion n’était plus guère qu’un moignon. De fer était la chaîne qu’agrippaient ses serres, mais de fer rongé par la rouille et la vétusté. La proximité de l’eau vous procurait un rien de fraîcheur, en tout cas. Et le clapotis des vagues contre les appontements délabrés avait quelque chose d’apaisant.

Avec l’aide d’Aggo, Daenerys s’extirpa de sa litière. Belwas le Fort s’était assis sur un pilier massif pour déguster une énorme gigue brune rôtie. « Du chien! lança-t-il joyeusement. Bon, le chien d’Astapor, petite reine. Vous dit ? » Il lui tendit la chose avec un sourire graisseux.