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— Il y en a pour combien de temps ? hurla-t-il.

Le Danois leva le pouce :

— Une petite heure…

C’est le moment que choisit Krisantem pour commencer à se vider l’estomac. Toujours accroché à l’avant, il était trempé comme une soupe, secoué d’effroyables hoquets. Il tourna des yeux désespérés vers Malko et celui-ci eut honte.

— Il n’y en a pas pour longtemps, cria-t-il au Turc.

Krisantem ne réagissait plus. On aurait pu le prendre et le jeter par-dessus bord, sans qu’il opposât la moindre résistance. D’ailleurs, il souhaitait en cette minute même un naufrage instantané.

Tout, plutôt que ce roulis et ce tangage.

Malko scruta la mer autour d’eux. Pas un bateau. Lorsque le chalutier montait sur la crête d’une vague la visibilité était de plus d’un mille. S’ils arrivaient vivants, ils seraient les premiers.

Le supplice continua, monotone et affreux. Krisantem semblait se tasser sur lui-même… Malko résistait tant bien que mal.

Tout à coup, l’oncle poussa un hurlement guttural et tendit le bras vers l’avant.

Un tout petit point apparaissait à l’horizon entre les vagues grisâtres. Le Danois se pencha hors de la cabine et cria :

— Le voilà !

Profitant d’une accalmie, Malko prit les jumelles et les braqua sur le point lointain. Effectivement, c’était un bateau, assez gros, bas sur l’eau.

Un quart d’heure passa. Le navire inconnu s’était considérablement rapproché. Il semblait énorme. Sa vitesse devait être d’une quinzaine de noeuds. Malko se rapprocha de la cabine.

— Essayez de le contacter par radio !

L’oncle trifouillait déjà une radio branlante qui avait connu des jours meilleurs. Au bout de cinq minutes, il abandonna :

— Je n’arrive pas. Ils ne sont pas à l’écoute ou nous n’avons pas la même longueur d’onde.

C’était gai. À moins de se faire couper en deux, Malko ne voyait pas comment il allait faire stopper ce mastodonte. Ses dimensions étaient impressionnantes à côté de celles du chalutier. Il posa la question au Danois. Celui-ci maintenait fermement la barre vers le minéralier. De la main gauche, il attrapa un mégaphone et le tendit à Malko.

— Quand on sera tout près, vous allez les appeler avec ce truc-là. C’est plus sûr que la radio…

Encore un ennemi du progrès.

Il fallut encore attendre un quart d’heure. Le porte-voix à la main, Malko avait gagné l’avant et s’était installé près des ruines de Krisantem.

Le bateau était gigantesque. Gracieusement, le petit chalutier amorça un virage pour prendre une route parallèle à celle du minéralier. La grosse coque grise grandit démesurément. Plusieurs silhouettes apparurent sur le pont, regardant avec curiosité le minuscule chalutier.

Malko emboucha le porte-voix et cria à se faire péter les poumons :

— Otto Wiegand ! Otto Wiegand ! Avez-vous à bord Otto Wiegand ?

La puissance du mégaphone était énorme. Il y eut un remue-ménage sur le pont du minéralier et un homme portant un chandail à col roulé rouge se pencha à la lisse, entouré de plusieurs marins. Malko n’avait eu entre les mains qu’une photo vieille de vingt-quatre ans et la distance était trop grande, mais il supposa qu’il s’agissait de l’Allemand. Il répéta son appel.

L’homme au chandail rouge agita le bras, en signe de bienvenue, puis fit un geste pour s’éloigner de la lisse. Malko eut une inspiration qui aurait fait bondir David Wise.

— Rinaldo, gronda le porte-voix, Rinaldo, vous m’entendez.

Le nom de code donné vingt-quatre ans plus tôt par Wild Bill Donovan.

Cette fois l’homme se pencha à tomber le long du bastingage et agita les bras frénétiquement.

Il s’agissait bien d’Ossip Werhun, dit Otto Wiegand.

— Vous embarquez avec nous, ordonna le mégaphone.

C’était la meilleure façon d’éviter de fâcheuses rencontres.

Sur le pont du minéralier, l’homme au chandail rouge discutait avec un interminable marin en casquette, probablement le capitaine du Ragona.

Le petit chalutier commençait à s’essouffler. En dépit des promesses de l’oncle, il n’était pas fait pour de telles vitesses. Les tôles du pont vibraient sous les pieds de Malko. Si le Ragona ne stoppait pas, ils allaient être distancés. Sur le pont du minéralier la discussion s’éternisait avec des gestes violents. Malko reprit son mégaphone.

— Stoppez, ordonna-t-il. Nous devons prendre à notre bord Otto Wiegand.

Malko eut l’impression que le minéralier accélérait… Il n’y avait plus qu’une solution, risquée, il est vrai.

S’accrochant aux haubans, il regagna la cabine. L’oncle était accroché à la barre, le visage soucieux.

— Qu’est-ce qu’ils disent ? jura-t-il.

— Coupons-leur la route, suggéra Malko. Vous pouvez aller un peu plus vite ?

— Pas longtemps, sinon, je vais faire sauter le moteur, fit le Danois. Mais, de toute façon, je ne couperai pas la route de ce bateau, c’est illégal.

— Nous n’avons pas le choix, dit Malko. Je peux vous promettre que vous n’aurez aucun ennui de la part des autorités. J’arrangerai cela…

Mais le vieux Danois était têtu, il secoua la tête et se concentra sur sa barre comme si Malko n’existait pas. Celui-ci repartit vers l’avant et tapa sur l’épaule de Krisantem. Le Turc tourna vers Malko un visage décomposé et verdâtre.

— Il faudrait que le Danois accepte de se mettre en travers de la route du Ragona. Il refuse. Il faudrait le convaincre.

Krisantem eut un hoquet désespéré, et se réaffala sur la rambarde.

— Je ne peux pas, murmura-t-il piteusement. Ça ne va pas.

Si les valeurs les plus sûres s’effondraient… Malko repartit pour la dunette, décidé à recourir aux grands moyens. Le temps d’ouvrir l’enveloppe aux dollars et il brandissait cinq billets de cent dollars sous le nez du Danois.

— S’il arrive quoi que ce soit, je vous paie votre bateau, promit-il.

Il faut dire à la décharge du Danois qu’il n’hésita qu’une demi-seconde. Empochant les billets, il donna un violent coup de barre à tribord. Il était temps.

Déjà, dans le lointain, Malko apercevait la tache jaune du bateau pilote près duquel les autres devaient attendre…

Le chalutier commença à se rapprocher du Ragona.

Cette fois, il y eut une réaction. Le capitaine du minéralier brandit un poing furieux dans sa direction.

Une brusque secousse faillit jeter Malko à la mer. Le petit chalutier tanguait comme un bateau-lavoir pris dans une tornade tropicale.

Le grondement du moteur augmenta. Centimètre par centimètre, il commença à remonter le gros minéralier.

Malko regardait, assez inquiet, le chalutier s’approcher dangereusement de la coque énorme… Il s’agissait de stopper le Ragona, pas de se faire écrabouiller…

Il leur fallut près de cinq minutes pour dépasser d’une dizaine de mètres l’avant du minéralier. Alors, lentement, le Danois commença à se rabattre, tout en donnant des petits coups de sirène. C’était quitte ou double. Si le capitaine du minéralier faisait la sourde oreille, il les coupait en deux sans même s’en apercevoir. Derrière eux, la proue du Ragona s’élevait menaçante comme un éperon…

Très lentement, l’oncle commença à réduire sa vitesse. Plusieurs têtes se penchèrent à la lisse, hurlant des injures emportées par le vent. L’étrave n’était plus qu’à quelques mètres du chalutier. Malko en avait des sueurs froides. Le minéralier ne pouvait pas grand-chose contre cette tactique car le chalutier était beaucoup plus maniable que lui. C’était leur meilleur atout.