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Otto ne pouvait détacher le regard de sa femme. Assise face à lui, elle exhibait une poitrine superbe à peine dissimulée par la dentelle et son parfum couvrait même l’odeur du poisson. Et chaque fois qu’elle rencontrait les yeux dorés de Malko, elle souriait.

— On dirait que vous lui plaisez, remarqua acerbement Otto Wiegand, transformé en un bloc de haine.

Malko soupira. Cousu de fil blanc. On faisait d’une pierre deux coups. Stéphanie affolait Otto et semait la zizanie dans le camp adverse. Comme pour confirmer ce que pensait Malko, elle croisa et décroisa les jambes tout en le regardant, avec une telle invite dans ses yeux qu’il crut que l’Allemand allait lui sauter à la gorge.

— Vous n’êtes plus un enfant, dit-il rudement à Otto. Elle vous fait marcher.

Otto Wiegand plongea le nez dans son assiette. Sans répondre. Quand il prit sa fourchette, Malko vit que sa main tremblait. Il finissait par avoir pitié de lui. Pour se changer un peu les idées, il regarda la salle à manger autour de lui. La jeune femme brune l’intriguait. Elle occupait la même place qu’au déjeuner. Ses yeux se posaient souvent sur Otto, mais détournait le regard dès qu’elle se sentait observée par Malko.

Ce dernier était sûr que ce n’était pas une touriste ordinaire. D’ailleurs, il n’y avait pas de touristes à Skagen. Peut-être une « observatrice », d’un service concurrent.

— Combien de temps avez-vous l’intention de vous torturer ? demanda Malko à Otto. Si vous descendez dans l’arène, vous allez vous faire dévorer.

L’Allemand secoua la tête et fit amèrement :

— Pour le moment, je n’ai pas le choix, il me semble. Par votre faute. Et je ne sais pas ce que je ferai sans elle…

Malko cherchait une phrase bien sentie pour répondre à cette platitude, lorsqu’un grand jeune homme blond, tiré à quatre épingles dans un complet bleu croisé, l’air un peu benêt, fit son apparition. Il était si visiblement Danois que Malko n’y prêta d’abord aucune attention. C’est une exclamation à voix basse d’Otto qui lui fit relever la tête.

Le nouveau venu s’était arrêté devant Stéphanie qui l’invitait à s’asseoir en face d’elle, roucoulante comme la colombe de la paix. Ravi et émerveillé qu’une telle créature put s’intéresser à lui, il la mangeait des yeux, littéralement. Malko se pencha sur Otto Wiegand.

— Pas de bêtise, c’est de la provocation.

Voilà pourquoi Boris et Stéphanie avaient été se promener sur le port. Cela n’avait pas dû être difficile de pêcher le jeune Danois. Le malheureux ignorait certainement dans quel puzzle délicat et tragique il s’insérait… Résigné, Malko se prépara à passer des heures difficiles.

Transformé en statue de sel, Otto Wiegand ne quittait pas Stéphanie des yeux. Tout se passa bien jusqu’au moment où elle abandonna une de ses mains au Danois, qui se mit à la pétrir.

Otto feula comme un léopard en colère. Il était vert. Encore un geste du Danois et il était bon pour l’infarctus ou le massacre. Heureusement, il n’alla pas plus loin dans ses privautés.

Un peu plus tard, Stéphanie et son cavalier se levèrent et traversèrent la salle à manger, sous l’oeil bovin des deux Lodens, à mille lieues de se douter de ce qui se passait sous leur nez. Ils avaient des excuses : les barbouzes s’occupent rarement de courrier du coeur.

En passant devant Malko, Stéphanie lui décocha une oeillade à mettre le feu aux boiseries. Otto ne quittait pas des yeux le Danois, prêt à tuer. Après leur départ, l’Allemand resta silencieux, quelques minutes, puis abandonna sa pâtisserie, verdâtre, et fila vers la sortie. Malko poussa du coude Krisantem.

— Suis-le. Je ne veux pas de bagarre avec le Danois. S’il devient méchant, tu l’assommes et tu le ramènes dans sa chambre.

Le Turc obéit, plutôt boudeur. Il n’aimait pas jouer les nounous…

* * *

Otto Wiegand marchait à grands pas dans l’obscurité, la tête en feu. L’hôtel Scandia se trouvait complètement à l’extrémité de la rue principale de Skagen. Il avait perdu de vue le couple qui avait deux ou trois minutes d’avance sur lui. Ils pouvaient être entrés dans un des deux cinémas, ou être installés au bar de l’hôtel Kaltrup.

Ou peut-être marchaient-ils sur la plage, enlacés… Son estomac se tordit de rage impuissante. À l’idée qu’elle se trouvait peut-être à quelques centaines de mètres de lui, son corps merveilleux pressé contre celui de ce jeune crétin, il éprouva une furieuse envie de tuer.

Otto Wiegand marcha encore dix minutes, presque à l’autre bout de la rue. Il s’arrêta pour souffler tout près d’un couple qui s’embrassait dans la pénombre.

Spectacle à le rendre malade. Il passa sa main dans ses derniers cheveux. Comment allait-il sortir de cette situation sans issue ? À lui-même, il s’avouait qu’il ne pouvait se passer de Stéphanie. Mais il savait aussi qu’elle représentait pour lui un piège mortel.

Soudain, il les aperçut à la lueur d’une vitrine et son coeur fit un bond dans sa poitrine. Ils marchaient la main dans la main, venant vers lui, sur l’autre trottoir.

Il se renfonça vivement dans l’ombre. Qu’à aucun prix elle ne le voie. Elle serait trop heureuse. Il prit une profonde inspiration. Après tout, il avait été le numéro deux de l’espionnage est-allemand. Il devait se reprendre. Ne pas se conduire comme un gamin.

Courageusement, il tourna le dos aux deux amoureux et repartit vers l’hôtel Scandia sans jeter un regard en arrière. Effort surhumain.

Pendant quelques minutes, tout fier de son courage, il se sentit presque en paix. Il fit même des projets d’avenir. Sans Stéphanie. Il était tellement remonté qu’il faillit aller trouver le Père Melnik pour lui annoncer qu’ils partiraient à Vaduz dès que les Danois lui donneraient le feu vert.

Ses bonnes résolutions durèrent jusqu’à sa chambre. Devant le papier à fleurs sinistre, le lit vide, il s’effondra. La tête dans ses mains, il pleura sur lui-même. Il mourait d’envie de repartir chercher Stéphanie, de la supplier de ne pas faire l’amour avec cet homme, de revenir avec lui…

C’est alors seulement qu’il remarqua la petite enveloppe blanche posée sur son lit.

L’écriture de Stéphanie.

Il resta bien une minute sans l’ouvrir, à la tourner et la retourner entre ses doigts. L’angoisse au ventre. Enfin il la déchira et lut les quelques lignes.

Je t’attendrai ce soir vers minuit dans ma chambre à l’annexe. La quatrième en partant de la façade, au rez-de-chaussée. Viens par l’extérieur et ne dis rien à personne, surtout pas à Boris.

Et c’était signé : Ta Stéphanie.

Otto Wiegand eut envie de se frapper la poitrine comme Tarzan. Il relut dix fois les trois lignes, tourna la carte dans tous les sens.

Ainsi Stéphanie ne l’avait pas trahi ! Pris dans l’engrenage du machiavélique Boris, elle avait fait au mieux pour se rapprocher de lui. Ils allaient vivre en Floride, au soleil.

Il avait envie de crier, de chanter.

Sa montre indiquait neuf heures et demie. Deux heures et demie à attendre. Infernal.

Pour user quelques minutes, il se précipita sous la douche et commença à se frotter avec rage pour tenter d’ôter l’odeur de poisson qui collait à sa peau. S’il prenait Stéphanie dans ses bras ce soir, il voulait au moins faire une bonne impression… Ensuite, il se rasa avec le soin maniaque que met un diamantaire à tailler une pierre qu’il aime.

Lorsqu’il eut terminé ses préparatifs, il était aussi propre qu’un foetus. Mais quarante minutes seulement s’étaient écoulées. Il faillit retourner dans la salle à manger pour partager sa joie avec quelqu’un, mais pensa à Boris. Il ne fallait pas donner l’éveil.