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Sans même se rendre compte, il hurla :

— Stéphanie ! Arrête.

Le canon du pistolet s’enfonça brutalement dans son oreille, lui envoyant des ondes de douleur qui estompèrent provisoirement l’atroce spectacle. La voix de Boris gronda :

— Taisez-vous ou ce sera pire. Il ne manque pas d’hommes ici.

Comme toutes les maisons danoises, l’annexe comportait des doubles fenêtres à cause du froid. Celles-ci formaient également une excellente barrière sonore. Le Danois ne pouvait pas entendre les cris d’Otto Wiegand. D’ailleurs, il avait nettement l’esprit ailleurs. Pour décrocher son regard du lit, Otto fixait désespérément la petite boule noire du slip, sur la moquette.

Un long gémissement le ramena au lit.

Somptueusement nue, à genoux sur le lit, Stéphanie déshabillait le jeune Danois. Elle arracha le pull-over, la chemise, acheva de défaire le pantalon, s’arrêta une seconde pour un long baiser avant de faire glisser le slip.

Boris murmura à l’oreille d’Otto Wiegand :

— Il est encore temps, camarade. Ce n’est encore qu’un flirt poussé. Acceptez-vous nos propositions ?

L’Allemand secoua la tête. La haine pour Boris et Stéphanie dominait tout autre sentiment. Il voulait vivre pour se venger. Il savait que retourner à l’Est serait signer son arrêt de mort. Et aussi il pensait qu’il ne pourrait pas avoir plus mal.

— Allez au diable ! gronda-t-il.

Comme si Stéphanie avait pu entendre, elle commença à mordre les lèvres de son partenaire, les mains dans ses cheveux, puis se laissa glisser le long de son corps, en continuant d’embrasser la peau blonde.

Lorsqu’elle arriva au terme de son voyage, le Danois, poussa un cri inarticulé.

Étreignant les reins de l’homme de ses deux mains, elle entreprit une longue et savante caresse, son dos cambré, ironiquement tourné vers la fenêtre.

C’était trop pour Otto. Il oublia le pistolet, Boris, ses résolutions. Sa gorge laissa échapper un cri rauque et inarticulé. Avec une force démente, il fit trembler le fauteuil, se balançant d’avant en arrière, hurlant :

— Stéphanie, pas ça, pas ça !

Les yeux lui sortaient de la tête, son corps le brûlait. Comme si chaque attouchement sur le Danois était une langue de feu sur sa peau. Il ne savait pas que l’on pouvait souffrir autant. Sous ses efforts, il gonfla ses muscles, La corde qui immobilisait son bras droit craqua. Une vague de joie le submergea. Il allait les tuer tous les deux.

Au moment où il s’arc-boutait sur son fauteuil, Boris frappa avec la crosse au-dessus de l’oreille. Stéphanie se fondit dans un brouillard gris.

Lorsqu’il revint à lui, il mit près d’une minute à réaliser où il se trouvait. La fenêtre était toujours éclairée. La blancheur du corps de Stéphanie le frappa comme un coup. Elle était étendue en travers du lit, sur le ventre, le visage tourné vers la fenêtre, l’homme s’agitait contre elle en cadence. Otto voyait les mains crispées de sa femme sur le rebord du lit. Puis il entendit sa plainte.

Un long feulement de fauve heureux. Puis elle cria. Des clameurs sauvages et inarticulées, venues du fond de sa gorge. Il voyait sa bouche grande ouverte, ses yeux clos, les muscles de ses épaules tendus. Et l’homme, les dents serrées, ahanant sous l’effort.

Jamais elle n’avait crié de cette façon avec lui. Jamais. Avec une horrible volupté, il découvrait une femme inconnue derrière sa Stéphanie.

Le cri ultime le transperça. Il ferma les yeux. Les deux corps ne bougeaient plus. Puis Stéphanie se détacha lentement et, les yeux fermés, commença à embrasser chaque parcelle du corps de son amant, sans le moindre dégoût.

Otto Wiegand étouffa un grognement. Il avait tellement mal qu’il ne pouvait plus penser. Les images se superposaient dans sa tête pour mieux le torturer. Elles étaient solidement imprimées maintenant. Le plan de Boris était diabolique : lui et Otto savaient que Stéphanie serait la seule à pouvoir les effacer.

Boris, qui se tenait toujours derrière le fauteuil, trancha rapidement les liens qui clouaient Otto à son fauteuil. L’Allemand ne chercha même pas à se lever ou à attaquer le Russe. Ce n’est pas le pistolet tenu à bout de bras qui le retint, c’était un homme doué de courage physique, mais il était brisé.

Il ne pouvait détacher ses yeux de la fenêtre et des deux silhouettes enlacées.

Stéphanie, comme si elle avait signifié que le spectacle était terminé étendit la main vers l’interrupteur et la chambre disparut dans l’obscurité. Débarrassé de l’effroyable tension, l’Allemand se détendit d’un coup. Il s’accrochait des deux mains au fauteuil pour ne pas trembler. Tout son appétit de violence était passé, il ne ressentait plus qu’une immense fatigue et un goût de cendres dans la bouche.

Boris se pencha à son oreille.

— Je sais que vous n’allez pas faire de bêtises. D’ailleurs, maintenant, ils dorment, cela ne servirait à rien. Allez plutôt vous coucher et réfléchissez. Ce pourrait être bien pire.

» Si vous n’acceptez pas de revenir avec nous, vous verrez votre femme descendre tous les degrés de l’infamie. Ce soir, ce n’était rien…

Sans attendre la réponse, le Russe s’évanouit dans l’ombre. Otto Wiegand se leva lourdement et le suivit, marchant comme un automate. Le Russe avait bien calculé. Pour l’instant, il était brisé.

Chapitre VIII

L’imposante masse du Père Melnik se glissa dans la chambre avec la rapidité d’un serpent. Un doigt sur les lèvres, il fit signe à Otto Wiegand, déjà dressé sur son lit, de se taire. L’Allemand retomba avec un geste las. Rentré depuis une heure, il ressassait l’abominable spectacle auquel il venait d’assister. Une seconde, il avait pensé aller chasser le Danois du lit de sa femme, puis il avait renoncé. Elle aurait été capable de prendre le parti de son amant…

Le prêtre attira un fauteuil à lui et s’assit près de l’Allemand. Dans un geste familier, il caressa l’une de ses oreilles transparentes et demanda d’un ton inquiet :

— Que se passe-t-il ? Où étiez-vous ? Je suis venu tout à l’heure.

Vidé, Otto laissa tomber :

— Je suis coincé, ils vont m’avoir.

La belle voix mélodieuse du Père Melnik affirma aussitôt :

— Je veux vous aider. Il faut vous reprendre, échapper à tous ces gens. Cette petite fortune nous attend depuis si longtemps…

— Je m’en fous, Joseph… de vos dollars.

Le Père Melnik eut un haut-le-corps comme s’il avait blasphémé le saint nom du Seigneur.

— Ossip, il s’agit de vingt-cinq millions de dollars.

— Je sais, je sais… Mais en ce moment j’ai autre chose dans la tête.

Le prêtre chercha vainement le sujet de réflexion qui pouvait éclipser vingt-cinq millions de dollars.

— Dites-moi tout, mon cher Ossip, vous êtes malade, conclut-il très patenôtre.

L’Allemand hésita un instant. N’importe comment, cela lui faisait du bien de parler de Stéphanie. Il raconta au prêtre ce qui venait de se passer, et pourquoi. Celui-ci étendit ses grosses mains poilues comme pour bénir l’Allemand et fit, rassurant :

— Mais avec vos dollars, vous trouverez, dix, cent filles plus belles que votre Stéphanie.

Otto secoua la tête.

— Je sais, Joseph, mais c’est elle que je veux. Quand je me dis que je ne la reverrai pas, je deviens fou. Je ferais n’importe quoi. Je lui donnerais tout mon argent si j’étais sûr qu’elle reste…

Le Père Melnik le contempla, plein de reproche. Décidément, il avait eu raison de vouloir lui sonder le coeur et les reins. Il était sur une bien mauvaise pente.