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— Mon cher camarade, reprit-il avec une sereine componction, cette créature veut votre perte. Il faut l’écarter de votre chemin. Quant à ce Boris, j’en fais mon affaire…

Il plongea dans la poche droite de sa soutane et en sortit son bon vieux Luger P-08 dont le long canon d’acier brun reflétait la lumière. Jouant avec l’arme, il fit :

— Vous vous souvenez de cela, mon cher Ossip ? Il ne me quitte jamais. Grâce à lui, je peux me vanter d’avoir rapproché de leur Sauveur un bon nombre de mécréants. Ce Russe ne sera pas le premier.

Otto alluma une cigarette et sourit tristement :

— Joseph, même si vous tuez Boris, cela n’arrangerait rien. D’abord, ils en enverront un autre. Ensuite, c’est dans ma tête que cela se passe. C’est moi qu’il faudrait tuer, conclut-il, avec un rien d’ironie.

« Pas avant qu’il n’ait signé » pensa avec effroi le Père Melnik. Pris d’un abominable soupçon, il pointa un doigt poilu et inquisiteur vers l’Allemand :

— Ossip, mon fils, vous n’allez pas faire une bêtise ? Vous savez que le Seigneur réprouve de la façon la plus absolue le suicide. Vous seriez damné pour l’éternité.

Ainsi soit-il. Et les dollars resteraient enfouis dans les coffres-forts de Vaduz, également pour l’éternité.

Mais Otto rassura son interlocuteur :

— Ne craignez rien, Joseph, je ne me suiciderai pas. J’aime trop la vie et Stéphanie.

Le prêtre se gratta la gorge et tritura son oreille gauche, presque à en arracher un lobe.

— Il y aurait bien une solution, proposa-t-il. Il doit être possible de faire authentifier votre signature ici. Je pourrais ainsi effectuer le voyage tout seul, et rapporter votre part…

Cette suggestion arracha un rire sincère à Otto.

— Mon cher Joseph, dit-il, vous seriez capable de financer l’explosion du Kremlin avec ma part. Je préfère voir mon argent utilisé à de meilleures fins. Un peu de patience. Si tout se passe bien, je viendrai avec vous à Vaduz.

— Et si tout ne se passe pas bien ?

Otto eut un geste fataliste.

— Les dollars resteront où ils se trouvent. Après tout, vous vous en êtes passé pendant vingt-trois ans.

Nettement rembruni, le Père Melnik se leva et esquissa une vague bénédiction en direction de l’Allemand.

— La douleur vous égare, mon fils, affirma-t-il, onctueux. Nous reprendrons cette conversation après une bonne nuit de sommeil. Vos idées seront plus claires. Cette fille est l’incarnation de Belzébuth, Jézabel en personne. Elle mériterait d’être brûlée en place publique et ses cendres dispersées aux quatre vents.

Une lueur dangereuse brillait dans son regard. Otto bondit hors de son lit et attrapa le prêtre par le col de sa soutane. Il le retourna, l’adossa au mur, les yeux fous, et l’apostropha :

— Si tu touches un cheveu de Stéphanie, vieille canaille, je te grille vif, comme tu faisais en Ukraine, avec les partisans.

Le Père Melnik se dégagea avec dignité et foudroya du regard son interlocuteur :

— Vous devriez avoir honte de parler ainsi à un serviteur de Dieu. Et de lui prêter d’aussi vilaines pensées. Je vais prier pour vous et cette misérable pécheresse.

Sur ces paroles vengeresses, il s’éclipsa dans le couloir. Son pas lourd fit trembler les vieilles planches. À part lui, il pensait qu’il allait devoir prendre de sérieuses précautions pour supprimer Stéphanie…

* * *

Malko regarda sa montre : une heure et demie. Avec Otto, il était certainement le seul à être réveillé à Skagen. Krisantem, consciencieux jusqu’au bout, avait assisté au supplice de l’Allemand et lui en avait rapporté tous les détails. Ça promettait. De plus, ce genre d’activité ne risquait pas d’affoler les deux Lodens.

À travers la cloison, il avait suivi ensuite la visite du Père Melnik, sans toutefois comprendre ce que s’étaient dit les deux hommes. Il allait commencer à se déshabiller lorsqu’il y eut un craquement dans le couloir. Rapidement Malko se leva et alla coller son oreille à la porte.

On marchait dans le couloir, très légèrement. Malko pensa tout de suite à Stéphanie. Quel tour manigançait-elle encore ? Il entendit encore quelques craquements, puis deux coups légers furent frappés à la porte d’Otto Wiegand.

Il y eut un bruit de pas dans la chambre et la porte s’ouvrit. Quelques mots à voix basse que Malko ne saisit pas, puis la porte se referma sur l’inconnue et Otto. Malko changea de place et colla son oreille à la cloison. D’abord, il entendit seulement le murmure d’une voix de femme.

Tout à coup, Otto Wiegand poussa un cri. Stupéfaction, peur…

La voix féminine monta de plusieurs tons. Une chaise tomba et roula sur le plancher.

Malko bondit dans le couloir et ouvrit la porte de l’Allemand à la volée.

La surprise le cloua sur place.

Un énorme pistolet automatique au poing, la petite jeune femme brune de la salle à manger menaçait Otto Wiegand. Ce dernier, pour lui échapper, était monté sur le lit.

Au moment où Malko entrait, la fille leva son pistolet et dit d’une voix hachée, en allemand :

— Cela fait vingt-sept ans que j’attends ce moment. Je repartirai du Danemark heureuse de vous avoir tué.

Au bruit de la porte, elle se retourna brusquement et laissa son geste en suspens. Elle aurait eu largement le temps de tirer d’abord sur lui et ensuite sur l’Allemand, mais ce n’était pas une tueuse professionnelle. Malko en profita. D’un coup sec sur le poignet, il fit tomber le pistolet.

Avant que la jeune fille ait pu réagir, il ramassa l’arme et la passa dans sa ceinture. Il ne manquait plus que cela. Mort, Otto Wiegand ne lui était d’aucune utilité…

— Que se passe-t-il ? demanda-t-il. Pourquoi voulez-vous tuer cet homme ?

— C’est une folle, glapit Otto. Elle me confond avec quelqu’un d’autre… Une pauvre folle. Il faut appeler la police.

— Je suis venue d’Israël pour tuer ce monstre, répliqua la femme d’une voix basse et rauque et rien ne m’en empêchera.

De près, elle paraissait beaucoup moins jeune, autour de la quarantaine.

Les yeux flamboyants elle fit face à Malko.

— Vous êtes probablement un assassin, vous aussi, siffla-t-elle. C’est pour cela que vous le protégez.

Malko secoua la tête.

— Je ne sais pas ce que vous voulez dire. Cet homme est un agent de renseignements dont la vie m’est précieuse pour des raisons professionnelles.

Rassuré par la présence de Malko, Otto Wiegand redescendit de son lit sans quitter des yeux la jeune femme. Celle-ci s’accrocha au bras de Malko et dit d’un ton pressant :

— Savez-vous pourquoi je veux le tuer ? Il a exterminé toute ma famille il y a vingt-sept ans, en Ukraine. C’est un monstre, une bête.

Tout son calme avait disparu. Elle semblait beaucoup plus jeune d’un coup. Avec des mots entrecoupés de sanglots, elle raconta à Malko sa pitoyable histoire. Au fur et à mesure, l’Allemand, assis sur le lit, semblait se recroqueviller. Lorsqu’elle se tut, Malko eut un regard d’infini mépris pour lui.

— Je regrette sincèrement d’avoir à vous protéger, monsieur Ossip Werhun. C’est la mission la plus pénible qui me soit échue depuis que je fais ce métier.

L’autre bredouilla de vagues excuses, sans regarder Malko. Intérieurement, il se maudissait d’avoir laissé échapper ce témoin, jadis. C’était une bonne leçon pour l’avenir.

Mais Yona Liron poursuivait son idée. Elle s’écarta brutalement de Malko comme s’il avait eu la fièvre jaune et lui jeta :

— Alors, en dépit de ce que je vous ai dit, vous le protégez encore ?

— Hélas ! fit Malko, je vous comprends, mais nous sommes dans une position qui nous dépasse tous les trois…