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À tâtons, il retrouva le pistolet et le glissa dans sa poche. Puis, il retourna chercher Otto. Heureusement, personne ne semblait avoir prêté attention au coup de feu. Les deux Lodens devaient cuver leur aquavit depuis longtemps.

Chris l’avait remis debout. Malko essuya le sang de son visage avec son mouchoir et l’autre grogna de douleur. Soutenu par les deux hommes, il parvint à marcher jusqu’à l’hôtel. Heureusement, le veilleur de nuit dormait.

Malko ne respira qu’après avoir étendu l’Allemand sur son lit. Celui-ci respirait irrégulièrement. Après avoir refermé la porte il regagna sa chambre et, après avoir allumé, retint une exclamation de surprise : Lise dormait à poings fermés, étendue sur son lit, sa belle robe argentée relevée avec une indécence qui frisait la totale impudeur.

C’en était trop. Il referma la porte, redescendit prendre la clé de la jeune fille au tableau et alla se coucher dans son lit à elle.

Elle ne le lui pardonnerait jamais, mais tant pis.

* * *

Le soleil se leva sur l’aube du 24 juin. Les dernières braises du feu de Skagen rougeoyaient faiblement. Dans sa chambre, Stéphanie rêvait les yeux ouverts à l’homme qui ne l’avait pas possédée.

Yona n’arrivait pas à trouver le sommeil. Le bourdonnement de la détonation grondait encore dans ses oreilles.

Otto Wiegand pleurait en appelant Stéphanie, les nerfs définitivement brisés.

Seul, Boris Sevchenko dormait du sommeil du juste. Otto Wiegand était suffisamment traumatisé maintenant pour suivre Stéphanie comme un petit chien, partout où elle le voudrait.

Chapitre XII

Otto Wiegand se réveilla en sursaut vers deux heures de l’après-midi. Il voulut bâiller et étouffa un cri. Sa bouche pouvait à peine s’ouvrir. Ses lèvres enflées, fendues, pleines de caillots de sang avaient doublé de volume. Son oeil gauche était fermé et l’oreille du même côté lui faisait un mal atroce. Il avait l’impression d’avoir une tonne de ciment à la place du crâne.

Lorsqu’il voulut se lever, ce fut pire. Chacun de ses muscles était douloureux et il avait un énorme hématome là où le pied du Danois l’avait frappé.

Il avait désespérément soif aussi. Mais il n’aurait pas eu le courage de se lever s’il n’avait pas aperçu un rectangle blanc par terre. Une lettre qu’on avait glissée sous la porte.

L’Allemand s’assit sur son lit. La pièce tournait autour de lui. Plié en deux comme un vieillard cacochyme, il alla ramasser l’enveloppe et s’effondra dans le fauteuil, épuisé par l’effort. Les objets avaient des contours flous et il se demanda si les coups du Danois ne lui avaient pas décollé la rétine. Pourtant, il reconnut immédiatement l’écriture de Stéphanie. Trop assommé pour penser, il ouvrit l’enveloppe. Elle contenait une carte avec quelques mots :

Je pars pour Copenhague, puisque tout est fini entre nous. Je serai à l’hôtel Royal encore deux jours. Adieu.

Stéphanie.

Il y avait un post-scriptum :

Je te demande pardon.

Sur le moment, Otto éprouva un immense soulagement. Il se sentait vide et léger en même temps, délivré. Il se jeta sous une douche brûlante, criant de douleur à cause de ses blessures.

Puis l’angoisse revint peu à peu, insidieusement, à mesure qu’il se sentait mieux physiquement. « Pardon. » C’est le seul mot qu’il retenait. Lui aussi était prêt à pardonner. Si Stéphanie l’aimait encore. Tout cela n’avait été qu’un horrible cauchemar. Il lui restait un désir forcené pour celle qu’il considérait encore dans le secret de son coeur comme sa femme.

Otto était dans un état d’excitation extraordinaire lorsqu’il descendit.

Malko avait fini de déjeuner et se trouvait dans le fumoir. Lise ne lui avait pas reparlé de l’échange des chambres. Il savait par la réception que Boris et Stéphanie étaient partis, alors qu’il dormait encore… Trop beau pour être vrai.

L’Allemand vint s’asseoir près de lui et lui montra le mot de Stéphanie.

— Qu’en pensez-vous ?

Malko haussa les épaules.

— Elle continue à jouer avec vous comme le chat avec la souris. Boris a certainement une raison pour vous faire aller à Copenhague. Moi, j’ai une meilleure nouvelle pour vous. L’autorisation du Ministère de l’intérieur est enfin arrivée. Vous pouvez quitter Skagen. Nous avons rendez-vous demain au consulat américain pour régulariser votre situation.

Otto avait honte d’avouer la vérité.

— Je suis content d’aller à Copenhague, fit-il évasivement. Je ne garderai pas un très bon souvenir de Skagen.

— Parfait, approuva Malko, nous avons raté l’avion du matin, mais la Scandinavian a un vol cet après-midi à 17 h 45. J’ai réservé des places. Nous avons juste le temps d’arriver à Aalborg.

L’Allemand remonta dans sa chambre faire ses maigres bagages. Malko aussi était ravi de quitter Skagen, mais le mot de Stéphanie ne lui disait rien qui vaille. Stéphanie était aussi capable d’amour qu’un requin de gentillesse.

Enfin, ils allaient fuir l’odeur de poisson.

Mais avant de partir, il avait encore quelque chose à faire : essayer de régler le problème Yona.

Il répugnait à Malko de la signaler à la police danoise. Cela l’eut obligé à dénoncer sa tentative de meurtre sur lui. Impensable. Tous ses ancêtres se seraient retournés dans leur tombe en même temps. Il n’y avait plus qu’une chose à faire : la convaincre.

Il monta jusqu’à sa chambre et frappa à la porte. L’Israélienne ouvrit tout de suite et resta debout dans le chambranle. Malko remarqua les grands cernes bistres sous ses yeux, les traits tirés. Elle n’avait pas dû beaucoup dormir…

— Que voulez-vous ? demanda-t-elle d’une voix atone.

Comme elle ne faisait pas mine de le laisser entrer il fit un pas en avant, pénétrant dans la chambre et dit à la jeune femme :

— Asseyez-vous. J’ai à vous parler.

Après avoir refermé la porte, elle obéit sans avoir changé d’expression.

— Je voudrais vous faire une proposition, expliqua-t-il. Je ne peux pas vous laisser continuer à tenter de tuer l’homme que je protège. D’autre part, je comprends vos motifs et, en d’autres circonstances, je vous jure que je n’aurais pas défendu Otto Wiegand ou Werhun, comme vous voudrez…

» Alors, j’ai pensé à un accord possible.

L’Israélienne consentit à montrer quelque intérêt.

— Que me proposez-vous ? fit-elle, la voix redevenue sèche.

Elle fixait durement les yeux dorés de Malko, semblant avoir complètement oublié qu’il avait été son amant d’une nuit.

— Une trêve, répliqua Malko. De quelques semaines ou quelques mois au plus. Après vous reprendrez votre liberté. Laissez-moi l’emmener aux USA. Je vous donne ma parole d’honneur que je vous ferai savoir où il se trouve, dès que nous n’aurons plus besoin de lui.

Visiblement, elle ne s’attendait pas à une telle proposition et réfléchissait, cherchant le piège.

— C’est un marché de dupes, dit-elle soudain. S’il vous échappe et repart vers l’Est, je ne le reverrai jamais.

Malko avait prévu l’objection.

— Il ne repartira pas vers l’Est, Yona. Je suis là pour l’en empêcher par tous les moyens. Après ce que vous m’avez raconté de lui, je n’aurai pas trop de scrupules à employer les moyens les plus définitifs pour le stopper. Disons que je me substituerai à vous…

» Dans ce cas, vous le sauriez également.

Elle passa la main dans ses cheveux acajou, hésitante, sonda les yeux d’or de Malko. Ce dernier était suspendu à ses lèvres. Si elle refusait, Dieu sait ce qui arriverait.