— C’est d’accord, dit-elle lentement. Je vous fais confiance, j’espère que je ne me trompe pas. Je partirai aujourd’hui même. D’ailleurs, ajouta-t-elle avec un sourire en coin, je n’ai presque plus d’argent. En quittant Israël, je ne pensais pas que ce serait si difficile de tuer un homme comme Ossip Werhun…
Une fois de plus, Malko eut honte du métier qu’il faisait. Il se leva et s’inclina sur la main de Yona, l’effleurant de ses lèvres.
— Merci Yona, dit-il. Et considérez-vous comme invitée par la CIA. Nous vous devons bien cela.
Brusquement, les yeux de l’Israélienne flamboyèrent de rage.
— Ne croyez pas que je pars pour une question d’argent, jeta-t-elle. J’en aurais trouvé, de n’importe quelle façon, pour me venger d’Otto Wiegand. Quitte à me prostituer.
— Je n’en doute pas, fit Malko, conciliant. Mais je préfère que les choses se passent ainsi. Voici mon adresse. Écrivez-moi dans quelque temps, je vous dirai où se trouve Otto Wiegand. Adieu Yona.
Il posa le bristol sur la table et sortit. Yona lui donna la sienne, en Israël. Il venait de remporter sa première victoire dans cette affaire difficile. La première chose qu’il fit en descendant fut de payer la note de l’Israélienne. Il ne se sentait aucunement coupable de livrer l’Allemand à sa vindicte.
S’il avait été seul concerné, il eut volontiers prêté main forte à Yona.
Maintenant, il restait à arracher Otto des griffes de Stéphanie, mort ou vif. Et vif de préférence.
Une heure plus tard, entassés dans deux voitures, ils quittaient l’hôtel Scandia. Les deux Lodens suivaient dans une vieille Volvo. Malko conduisait, Otto Wiegand assis à côté de lui. Ils ne se dirent pas un mot jusqu’à Aalborg.
Il ne sut jamais comment le Père Melnik avait appris leur départ, mais le prêtre débarqua d’un taxi, cinq minutes après eux, sanglé dans une soutane flambant neuve, plus digne que jamais.
Quelques minutes plus tard, le DC-9 des Scandinavian Airlines décollait à destination de Copenhague…
Les chambres de l’hôtel Royal, situé en plein centre de Copenhague, juste en face du parc d’attractions de Tivoli, étaient d’un luxe discret et fonctionnel. Avec d’immenses fauteuils scandinaves confortables et modernes. Malko s’était installé au dix-septième étage, au fond d’un couloir, d’où on avait une vue fabuleuse sur toute la ville. Deux chambres séparées par une sorte d’antichambre que l’on pouvait ouvrir ou condamner à volonté. Otto était à gauche, lui à droite.
Krisantem et les gorilles occupaient les chambres adjacentes.
Ils n’avaient vu ni Stéphanie ni Boris en arrivant à l’hôtel, mais Malko avait eu le temps de vérifier que M. Sevchenko et Mme Wiegand occupaient bien les chambres 1013 et 1015, sept étages au-dessous d’eux.
Pour se changer un peu les idées, il se laissa emmener par Lise, accompagné d’Otto, chez Oscar Davidsen, pour goûter un vrai repas danois.
C’était un étrange restaurant avec deux tours qui lui donnaient l’air d’une église. On leur apporta une carte longue d’un mètre cinquante comportant cent soixante-quatorze espèces différentes de smorrebrod ! Étrange, mais pas mauvais du tout. Malko nota mentalement l’idée du canard rôti au raifort.
La salle était calme, éclairée aux chandelles. À minuit, ils étaient de retour à l’hôtel Royal. Malko baisa la main de Lise avant de la mettre dans un taxi. Elle serait volontiers restée…
Cela allait être une course de vitesse entre Boris et lui.
Malko avait intérêt à se méfier : toute opération adverse supposait son éloignement ou son élimination préalable.
Il y avait quatre hommes dans le bureau du consul des États-Unis à Copenhague, Dag Hammarskjoeld Allee. Le consul, Malko, Otto Wiegand et Gundar Felsen, haut fonctionnaire du Ministère des affaires étrangères danois.
Un brillant soleil éclairait la pièce, mais n’avait pas réussi à dérider Otto Wiegand. Celui-ci contemplait avec perplexité une feuille posée devant lui. Son visage avait désenflé mais était encore considérablement tuméfié.
— Il ne reste plus à M. Wiegand qu’à signer, conclut Gundar Felsen. Et cette affaire sera réglée…
L’Allemand le regarda, méfiant :
— En quoi cela m’engage-t-il ?
Le Danois lui jeta un coup d’oeil surpris.
— Mais enfin, vous le savez ! Vous vous engagez à quitter le Danemark dans un délai d’une semaine, puisque le consul ici présent vous délivre votre visa d’immigrant aux USA. À partir de cette minute, vous n’êtes plus pour nous qu’un simple touriste en visite au Danemark. Ce consulat devient votre consulat. Vous êtes assimilé à un ressortissant américain. C’est ce que vous désiriez, n’est-ce pas ?
Otto grogna une vague approbation.
— Et que se passerait-il si je ne signais pas ?
Gundar Felsen n’était pas diplomate pour rien. De plus, il avait reçu de son ministre des instructions très précises concernant Otto Wiegand, instructions prévoyant une telle réaction de l’Allemand.
— Cela serait extrêmement fâcheux pour vous, dit-il d’un ton le plus mesuré possible. Car nous avons une demande d’extradition en ce qui vous concerne, pour un crime de droit commun. Je crains que nous ne soyons obligés de vous livrer aux autorités de l’Allemagne de l’Est, qui vous réclament…
» Dans le cas présent, nous transmettrons cette demande d’extradition au gouvernement des États-Unis, qui y donnera la suite qui convient, selon les usages internationaux.
C’est-à-dire, la corbeille à papier, directement.
Otto Wiegand eut un ricanement désabusé et prit le stylo.
— Vous me revaudrez ça, jeta-t-il à Malko avant de signer.
Gundar Felsen empocha aussitôt la feuille et prit poliment congé.
Le rôle des Danois était terminé. Maintenant, ils se lavaient les mains de ce qui pouvait arriver à Otto Wiegand.
L’Allemand sortit du bureau, sans dire au revoir au consul, Malko sur ses talons. De mauvaise grâce il prit place dans la Ford de ce dernier.
— Ramenez-moi au Royal, dit-il d’un ton rogue.
Malko avait le triomphe modeste. Il sentait l’autre prêt aux pires bêtises. Cela le démangeait de téléphoner à Stéphanie. Il allait falloir jouer serrer et, jusqu’au dernier moment, laisser les Russes dans l’ignorance du nouveau statut d’Otto. Sinon, ils allaient réagir.
Le bureau de la CIA de Copenhague venait d’avertir Malko d’un fait nouveau : un chalutier est-allemand était mouillé depuis deux jours dans le port de Copenhague. Cela n’aurait rien d’étonnant si ce bâtiment n’était un chalutier-barbouze, vieil habitué des manoeuvres navales de l’OTAN. Apparemment, Boris avait pris ses précautions.
Maintenant qu’Otto Wiegand était citoyen américain les choses étaient beaucoup plus faciles pour Malko. Après tout, il y avait à Copenhague une base de l’Air Force.
Cela serait plus aisé d’embarquer l’Allemand par là, que de l’aéroport civil. Surtout s’il n’était pas tout à fait consentant. Les autorités danoises, qui souhaitaient clore le dossier Otto Wiegand, fermeraient les yeux sur une petite irrégularité.
Comme, par exemple, l’embarquement de l’Allemand dans une caisse capitonnée…
En attendant ce beau jour, Malko n’avait plus qu’à ne pas lâcher Otto Wiegand d’une semelle.
Boris Sevchenko sortit du consulat d’Allemagne de l’Est le visage soucieux. Leur contact au Ministère des affaires étrangères danois venait de leur apprendre la mauvaise nouvelle : Otto Wiegand était quasiment citoyen américain. Ses concitoyens présents à Copenhague n’allaient pas manquer de réagir à cette bonne nouvelle.