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C’en était trop pour Krisantem. Il allongea le cou pour apercevoir l’intérieur de la boutique puis prit ses jambes à son cou : il avait perdu au moins cent mètres sur ceux qu’il était censé protéger…

Fendant la foule compacte qui encombrait la chaussée de la rue sans voiture, il apercevait déjà le dos de Malko lorsqu’il vit surgir à sa gauche une petite Austin verte qui prit le virage sur les chapeaux de roues et fonça droit sur Malko.

Le Turc hurla, mais son cri fut noyé dans ceux de la foule. Il vit Malko projeté en l’air retomber sur une des tables du café et rester inanimé. La voiture, déséquilibrée, fit encore quelques mètres et alla s’écraser dans les soldes d’un marchand de tricots. Le conducteur en sortit aussitôt et rejoignit deux hommes qui attendaient au coin de la rue. Les trois se dirigèrent sur Otto Wiegand, resté immobile au milieu de la chaussée. Soudain, ils aperçurent Krisantem qui fonçait sur eux. Visiblement, ils n’avaient pas prévu son intervention. Après un bref conciliabule, ils partirent en courant dans la rue à droite de Ströjet.

Le Turc hésita une seconde. Mais déjà, des passants étaient en train de ramasser Malko et il se dit qu’il serait plus utile en rattrapant ses agresseurs.

Ceux-ci avaient déjà cent mètres d’avance. Elko Krisantem les vit s’engouffrer dans une Mercedes noire stationnée dans l’étroite rue. Elle démarra aussitôt et prit de la vitesse. Le Turc courait comme aux Jeux Olympiques. Son Astra était inutile à cause de la trop grande distance, et l’espace entre lui et la voiture augmentait rapidement. Le sang battait à ses tempes, il ne pouvait pas courir plus vite…

Tout à coup, la Mercedes stoppa dans un grand crissement de freins.

Un attelage comme on en rencontre encore à Copenhague surgissant d’une rue transversale venait de lui couper la route : deux robustes chevaux tirant une charrette de caisses de bière. Certains brasseurs danois se sont refusés à changer leur mode de livraison…

Le chauffeur de la Mercedes klaxonna furieusement. En vain. Devant eux, le lourd chariot avançait à la vitesse d’un homme au pas, sûr de son bon droit. Après tout, les voitures pouvaient bien perdre quelques minutes jusqu’au prochain croisement…

Galvanisé, Krisantem repartit de plus belle. Les hommes de la voiture se retournèrent et le virent. L’un d’eux sortit en courant tandis que le chauffeur klaxonnait de plus belle.

* * *

Lars Petersen conduisait des chevaux depuis son plus jeune âge. Il allait avoir soixante ans et c’était sa dernière année de travail. Aussi lui en fallait-il plus pour le troubler qu’un conducteur énervé.

Il n’en crut pas ses yeux lorsque surgit devant lui un homme qui gesticulait et l’injuriait dans une langue inconnue. Vertement, il lui répliqua en danois que la rue était à tout le monde et qu’il n’avait qu’à patienter.

Escaladant le marchepied, l’autre bondit soudain près de lui et tenta de lui arracher sa bride.

Incroyable !

Fou de rage, le vieux Petersen se dressa sur son banc, fit claquer son fouet et repoussa d’une bourrade son agresseur qui tomba à terre.

Ce dernier sortit de sa poche un objet noir et le braqua sur lui.

Presque aussitôt le Danois ressentit une petite piqûre à la joue gauche, comme un moustique. Quelques secondes plus tard une torpeur étrange l’envahit, comme une subite envie de dormir. Puis le ciel parut s’obscurcir. Par terre, l’inconnu l’observait sans chercher à remonter sur la charrette.

Lars Petersen se dit avec satisfaction qu’il l’avait intimidé avant de tomber mort, la tête en avant. Son dernier acte conscient fut d’arrêter ses chevaux d’un claquement de langue, comme il en avait l’habitude. Puis son corps bascula sur le côté et il tomba lourdement sur la chaussée. Aussitôt, l’homme sauta à sa place et empoigna les rênes, fouettant furieusement les deux chevaux massifs.

Ceux-ci ne bougèrent pas. Ils ne connaissaient que leur maître.

L’inconnu jeta le fouet, ivre de rage. Il aurait fallu une grue de dix tonnes pour bouger la charrette. Ses yeux morts fixant le ciel, le vieux charretier semblait le narguer. En passant, il lui décocha un coup de pied avant de regagner la Mercedes. Leur poursuivant était à moins de cent mètres. L’homme donna un ordre dans sa langue et ses deux compagnons sautèrent de la voiture.

Lorsque Krisantem atteignit la Mercedes les trois hommes étaient déjà loin. C’eût été hasardeux de les poursuivre dans ce dédale de rues étroites. Il revint le plus vite possible à l’endroit où il avait laissé Malko.

Celui-ci était assis dans un fauteuil de rotin au milieu d’un groupe animé. Krisantem fendit la foule. Dès qu’il rencontra les yeux dorés de Malko, il se sentit mieux. Ce dernier, bien que sérieusement commotionné, n’avait pas perdu connaissance. Mais son costume d’alpaga était fichu. Otto Wiegand le contemplait, morose.

— Tu n’es pas blessé ? demanda-t-il au Turc.

— Non, mais ils m’ont échappé, fit Elko.

Malko parvint à se mettre debout avec une grimace. Il n’avait rien de grave à part un énorme hématome sur la cuisse droite.

— Tant pis, fit-il.

Krisantem baissa la tête. Sa lubricité avait failli causer une catastrophe…

Chapitre XIII

— Cela ne peut plus durer, fit sèchement Malko. La prochaine fois, ils vont réussir. Soit à me tuer, soit à vous enlever… Demain vous allez partir aux USA avec moi.

Otto Wiegand lui jeta un regard noir. Visiblement la première éventualité le laissait de glace.

— Je ne suis pas encore décidé à partir, répliqua-t-il.

Malko en avait par-dessus la tête de l’Allemand. Leur discussion durait depuis une heure dans la chambre du Royal. Les Russes tentaient le tout pour le tout. Ils avaient essayé deux fois de le tuer en quelques heures.

En plus, Louis Jones et Milton repartaient le lendemain matin. David Wise considérait déjà l’histoire comme réglée. Comme s’il n’avait pas su que les Popovs n’abandonnaient jamais… Malko ouvrait la bouche pour dire une phrase bien sentie à Otto Wiegand lorsque le téléphone sonna.

L’Allemand décrocha. Aussitôt l’expression de son visage se modifia. Posant la main sur le récepteur, il intima à Malko :

— Laissez-moi seul, je vous prie. Je ne suis pas encore dans une prison américaine.

Inutile de demander si c’était Stéphanie. Malko passa dans sa chambre par le couloir commun. Dès qu’il fut seul, Otto fondit littéralement :

— Stéphanie ! Tu m’entends ?

— Mon chéri, oh ! mon chéri, comme je suis contente de te parler, dit l’Allemande d’une voix énamourée. Tout ce qui nous arrive est si terrible. J’avais peur que tu me laisses repartir sans me voir.

Jamais, depuis leurs abominables retrouvailles à Skagen, elle ne lui avait parlé sur ce ton. Une petite voix, au fond de sa tête, avait beau crier « casse-cou », il voulait la croire. Pourtant, pour sauver la face, il coupa ses protestations d’amour.

— Pourquoi m’as-tu trompé comme tu l’as fait, Stéphanie ? Tu sais comme je t’aime.

Là, Sarah Bernhardt aurait ânonné son texte, mais Stéphanie fut sublime. Otto pouvait entendre les larmes dans sa voix.

— Oh ! mon chéri, j’étais folle, je ne savais plus ce que je faisais. J’ai voulu te rendre jaloux et je ne pouvais plus m’arrêter. Je ne veux pas te perdre.

Elle s’arrêta pour laisser aux mots le temps de pénétrer le cerveau ébranlé d’Otto.

— Mais Boris ? commença-t-il.

— Boris est ton ami, coupa-t-elle. Il ne veut que ton bien. Ces Américains veulent te faire trahir ; lui tient seulement à ce que tu reviennes dans ton, dans notre pays…