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Il y eut un bref dialogue en danois entre les deux hommes et le portier annonça :

— Il a conduit ce monsieur chez Krog. C’est un très bon restaurant.

— Nous allons chez Krog, annonça Malko en s’installant dans l’Opel.

Cinq minutes plus tard, il était arrivé. Le restaurant se trouvait sous un petit canal tranquille, le Gammel-Strand, entre un antiquaire et une galerie de tableaux, avec en face la masse sombre de Christianborg. Toutes les maisons avaient au moins un siècle.

Malko monta les quelques marches conduisant au Krog. En quelques secondes, il eut inspecté la salle vieillotte et pleine de charme. Des chandeliers brûlaient sur chaque table.

Mais ni Stéphanie, ni Otto, n’étaient là. Le maître d’hôtel s’approcha de lui. Malko expliqua qu’il cherchait des amis.

— Il y a encore quelques personnes en haut, annonça le Danois.

L’escalier était dissimulé derrière une tenture. Malko le grimpa quatre à quatre et s’arrêta sur le seuil de la seconde salle. À la première table, Otto, la main posée sur celle de Stéphanie, la regardait mort d’amour.

Deux tables plus loin, Boris dînait seul. Il y avait encore deux autres tables occupées.

Boris et Otto aperçurent Malko en même temps. Ce dernier crut que l’Allemand allait lui sauter à la gorge. Il dit quelque chose à Stéphanie qui se retourna et jeta un regard glacial à Malko.

Le Russe ne broncha pas, mais ses traits se durcirent imperceptiblement. Malko n’était pas le bienvenu. Il alla s’asseoir derrière Boris, comme si de rien n’était.

Ce soir, suprême habileté, Stéphanie était belle, mais pas agressive. Ses cheveux blonds relevés en chignon lui donnaient l’air hautain et distingué et son corps admirable était chastement escamoté par une robe de jersey de soie imprimée.

Lorsque le garçon lui apporta la carte, Malko lui donna le numéro de téléphone de Lise, en lui demandant de l’appeler pour qu’elle vienne le rejoindre de toute urgence.

Puis il commanda une truite fumée et un sorbet à l’orange. Momentanément il avait repris l’avantage.

La jeune Danoise arriva au moment où Malko finissait sans joie sa truite pourtant délicieuse. Sa robe bleue ultra courte ne sembla pas impressionner le maître d’hôtel. Malko lui résuma les événements.

Maintenant, ils étaient seuls avec leurs adversaires. Les deux couples de Danois ayant terminé.

Malko aurait donné la moitié de son aile nord – celle qui n’était pas restaurée – pour savoir ce que Stéphanie et Otto se disaient.

Dire que la CIA fabriquait de si jolis micros directionnels…

Lise, plongée dans la contemplation de la décoration murale – sabres et boucliers du siècle dernier – ne lui était pas d’un grand secours.

Près de vingt minutes se passèrent sans rien apporter de nouveau. Sauf un très court conciliabule Boris-Otto, du plus mauvais augure.

Il y eut soudain un bruit de chaises remuée et Malko leva les yeux des restes de son sorbet. Otto et Stéphanie se levaient. Stéphanie sortit la première. Malko avait repoussé sa chaise.

— Otto !

L’Allemand ne répondit pas. Il sortit de la pièce en claquant la porte derrière lui.

Le reste se passa en un clin d’oeil. Boris s’était dressé à son tour. Vif comme l’éclair, il décrocha un des sabres de la décoration murale et s’adossa à la porte. Malko se heurta à la pointe de l’arme et au sourire mauvais du Russe.

— Mon cher SAS, dit Boris, je détesterais vous embrocher de cette façon, aussi je vous conseille de rester tranquille, tandis que nos tourtereaux vont filer le parfait amour. Je vous préviens que j’ai suivi des cours d’escrime à l’Académie militaire de Leningrad.

Malko, sans répondre, fit un bond en arrière et saisit à son tour un sabre. Il fallait qu’il sorte de cette pièce. En ce moment, Stéphanie était en train d’entraîner Otto vers l’Est.

— Écartez-vous, ordonna-t-il à Boris, sinon, c’est moi qui vais vous embrocher…

Son seul atout : le Russe ignorait que lui aussi était un bon escrimeur. Sport qu’il avait pratiqué dès sa plus tendre enfance, comme tout Viennois de bonne famille.

— Tirez le premier, altesse, fit Boris avec une ironie glaciale.

Leurs armes étaient d’anciens sabres d’abordage, légers et courts, très maniables, un peu recourbés, avec une coquille très enveloppante.

Malko avança d’un pas et ils croisèrent leurs lames, la garde haute. Les lèvres minces de Boris se serrèrent un peu plus. En une fraction de seconde, il venait de sentir que Malko serait un redoutable adversaire.

Malko recula pour prendre une solide assise sur ses jambes, puis tâta son adversaire, cherchant à retrouver les finesses du jeu et les défauts de son vis-à-vis. Le crissement des lames s’entendait à peine. Boris avait bien mis à profit la situation. Discrets, les garçons ne les dérangeraient pas.

Qui pouvait imaginer deux barbouzes se battant à l’épée dans le salon particulier d’un des meilleurs restaurants de Copenhague ?

Boris battit en prime la lame de Malko qui la maintenait ferme, lança des feintes au torse, puis entra mollement dans la garde adverse, poussant sans conviction. Tout ce qu’il voulait, c’était gagner du temps.

Il se rendit compte que ce serait difficile : Malko avait le poignet trop dur pour lui. Aussi se ménageait-il, calculant des feintes compliquées et des moulinets.

Pourtant, il avança à petits pas de côté, puis rompit de deux pas francs pour reprendre sa position adossée à la porte qu’il défendait.

Ce ne fut pas une inspiration heureuse.

Malko poussa devant lui et de toutes ses forces une pointe qui arriva à deux centimètres de l’oeil droit du Russe. Celui-ci jura, cogna du dos à la porte et essuya une goutte de sueur sur son front.

Plus le temps passait, plus le duel s’animait. Malko comptait mentalement les minutes. Boris retrouvait tout son entraînement. Les lames avaient pris entre leurs mains une vivacité qui leur semblait propre.

Derrière Malko, Lise, blanche comme une morte, assistait au combat, se mordant les lèvres pour ne pas crier.

Maintenant, les lames semblaient chercher elles-mêmes un chemin dans la routine des feintes et des esquives. Le premier coup de taille à la tête de Malko fut grandiose. La lame de Boris décrivit deux zigzags foudroyants, tournoya un instant et s’abattit.

Malko sauta de côté et l’acier entama le dessus de l’une des tables. Les deux hommes soufflèrent en même temps. Ce fut le seul bruit.

Malko se surprit à penser qu’en ce moment il éprouvait presque de la camaraderie pour le Russe. Leur duel était un combat simple et net, franc. Mais il fallait quand même gagner… Ils reprirent le combat avec animation. Une précision merveilleuse dirigeait maintenant leurs armes. Le lourd assaut des sabres se rapprochait de la finesse des épées, s’améliorait à chaque échange, évoquait un ballet.

On n’entendait que le cliquetis des lames, le tintement des coquilles et le fracas sourd des pas.

Lise suivait maintenant le jeu des passes avec un mélange de langueur et de crainte.

Les échanges se poursuivaient à une cadence de plus en plus rapide. Les ripostes s’enchevêtraient avec les parades et les feintes étaient chaque fois plus subtiles et méchantes. Boris et Malko combattaient pour tuer.

Une expression tendue, astucieuse et concentrée avait remplacé la détente du début. Souvent, Boris cognait la porte de son dos et Malko avait plusieurs fois trébuché dans des tables.

Les fers se croisèrent, les deux hommes se heurtèrent garde contre garde et restèrent plusieurs secondes face à face. Ils poussaient leurs sabres de toutes leurs forces, soufflants et rouges, les veines gonflées. Des élancements déchiraient la poitrine de Malko, souvenir de Hong-Kong, et ce dernier se demandait combien de temps il pourrait tenir.