Выбрать главу

Boris lança un coup de pointe qui rasa la poitrine de Malko. Sentant que la parade arriverait trop tard, ce dernier esquiva d’un bond, puis reprit la lame de Boris dans une voltige de tierce à prime qui leur fatigua la main à tous les deux. Boris rompit d’un pas et relança une pointe vers l’épaule de Malko. La veste se déchira et la peau céda sous la pression de l’acier qui pénétra de près d’un centimètre. Des gouttes de sang jaillirent et un filet commença à couler le long du bras jusqu’à la garde.

Les yeux dorés de Malko étaient striés de rouge. Il fallait qu’il écarte Boris coûte que coûte. Il ne sentit même pas la douleur de sa blessure.

Boris avait l’impression de respirer du feu. Il fallait qu’il en finisse, qu’il cloue son adversaire une bonne fois pour toutes. Et tant pis pour les conséquences. Il doubla son coup qui, cette fois, effleura la clavicule de Malko et fit jaillir une nouvelle fois le sang.

Malko se sentit pâlir.

Mais il battit si rudement en prime, par deux fois, que le sabre de Boris dévia et passa à un centimètre de la jambe de Lise. La jeune fille poussa un cri et recula précipitamment. Elle suivait le combat maintenant avec une expression proche du désir, la bouche entrouverte et le souffle court.

Boris faisait du forcing. Il rompit encore d’un pas, se ramassa puis se détendit comme une flèche au ras du plancher. Posant la main gauche à terre, il passa sous la lame de son adversaire et lui décocha au flanc une botte qui une troisième fois fit couler le sang de Malko…

Encore celui-ci n’avait-il échappé à une affreuse éventration – ce que recherchait Boris – que par une de ces esquives peu académiques qui laissent un souvenir empoisonné dans la mémoire d’un escrimeur.

Il s’était déplacé trop brusquement pour placer une riposte. Il rompit de trois pas, se couvrit de plusieurs moulinets.

Boris, déçu, recula avec une prudente garde haute et attendit, avec l’impression d’avoir laissé passer sa chance. Ce sont des coups que l’on tente une fois dans un assaut, pas deux. Malko était ivre de rage de s’être laissé surprendre. La lame haute, il attaqua.

Un moulinet tournoya autour de la tête de Boris, si rapide qu’il siffla comme une balle. Boris chercha à suivre, mais la défensive ne lui réussissait pas. Il ne se sentait plus maître de ses moyens. L’effort de la botte l’avait épuisé.

Sans qu’il comprît très bien, de la roue d’acier se détacha un éclair, un formidable coup de manchette qu’il para avec la coquille de son sabre.

Suivirent trois coups de pointe furieux qui frôlèrent à chaque fois le centre de son torse : Malko était déchaîné. Ses yeux dorés avaient complètement viré au vert. Brutalement le Russe eut peur, la dernière chose au monde pour un escrimeur. Chaque fois, il avait paré, mais de justesse.

De rudes battements à prime et une série à tierce donnèrent à Boris le sentiment que quelque chose se préparait. Une ouverture d’un quart de seconde dans la garde de Malko lui offrit une chance dont il ne sut pas profiter. De nouveau, il sentit en face de lui la volonté de tuer.

Lise haletait.

— Malko, oh ! Malko, répétait-elle à mi-voix avec extase.

Il l’aurait touchée, elle se serait mise à hurler, jamais de sa vie elle n’avait été aussi excitée.

Un coup de tête frôla l’oreille droite de Boris qui esquiva et lança à tout hasard sa lame en pointe vers Malko. Celui-ci la négligea à l’aller, mais au retour, d’un battement sec et pourtant très appuyé, releva le sabre de Boris. Puis il rompit d’un demi-pas et se fendit.

La lame de Boris lui fut littéralement arrachée et vola à travers la pièce, pulvérisant la vaisselle restée sur la table. Lise poussa un cri de belette en amour et se laissa aller sur une chaise.

Les mains nues, Boris apparut tout pâle avec deux traînées de sueur grise qui descendaient des tempes le long de ses joues, prolongeant bizarrement sa chevelure blanche.

— Laissez-moi passer, fit Malko, encore essoufflé.

Le Russe ne bougea pas, haletant encore. Une grosse veine battait sur sa tempe. Maintenant la pièce était étrangement silencieuse. Malko avança un peu la lame haute et toucha légèrement la gorge du Russe d’un bout de son sabre.

— Écartez-vous, répéta-t-il. Sinon, je vais être obligé de vous tuer.

Une seconde, les yeux bleus du Russe croisèrent le regard des yeux dorés de Malko. Ce qu’il y lut ne l’encouragea pas à résister. Avec un très léger haussement d’épaules, il avança d’un pas et s’effaça, laissa la porte libre. Ses joues s’étaient creusées d’un coup, comme celles d’un vieillard.

Malko fit signe à Lise de sortir la première. La jeune femme frôla le Russe et ouvrit la porte. Tenant toujours son sabre, Malko vint ensuite, sans quitter son adversaire des yeux. Ce fut seulement lorsqu’il sentit sous ses pieds les premières marches de l’escalier qu’il jeta l’arme et referma la porte sur lui à la volée.

Boris n’avait pas bougé.

Malko et Lise traversèrent la salle du restaurant en courant. Le dernier garçon qui les attendait pour fermer, les regarda, l’oeil rond. Il n’était pas au bout de ses surprises… Quand il verrait la vaisselle… Malko jeta un coup d’oeil sur l’addition et laissa un billet de cent couronnes. Puis ils sortirent sur le quai désert.

— Où se trouve Langelinie ? demanda Malko.

C’est là qu’était mouillé le chalutier-barbouze Est-allemand. Si Otto et Stéphanie n’y étaient pas déjà, ce serait le but de leur voyage. Dans la première hypothèse, il n’y avait plus qu’à prendre le bateau d’assaut…

— J’ai ma voiture, dit Lise, je vais vous y conduire.

Ils montèrent dans la petite Saab rouge. Lise continua à suivre le canal, puis tourna dans Holmens, d’où elle rejoignit Bredgade, parallèle aux quais. Malko en profita pour tamponner avec son mouchoir ses blessures superficielles.

Ensuite ils s’engagèrent dans le dédale des allées de Churchill Parken, home de la célèbre petite sirène.

Les phares éclairaient çà et là des couples vautrés sur les pelouses, tranquillement appliqués à se prouver leur amour mutuel. Des écriteaux interdisaient de marcher sur les pelouses, mais pas de s’y coucher…

Enfin, après être passés sous un pont, ils débouchèrent sur un quai désert bordé d’un côté par un haut mur de pierre auquel étaient accrochées des bouées et de longs crochets et de l’autre par la mer.

Ils passèrent devant un petit bateau dont le pont n’arrivait même pas au niveau du quai et Lise continua jusqu’au fond. Le quai se terminait cinq cents mètres plus loin, en cul-de-sac, avec les énormes réservoirs de la Shell et un marchand de saucisses, fermé à cette heure.

— Voilà Langelinie, annonça Lise, en arrêtant la Saab.

À l’exception de quelques voitures en stationnement, il n’y avait pas un chat.

Le chalutier est-allemand était certainement le petit bâtiment mouillé au début du quai.

La Saab s’était arrêtée en face d’une cabine téléphonique. Malko y entra et appela à l’hôtel Royal, la chambre de Krisantem.

Cette fois le Turc était rentré.

— Viens immédiatement, ordonna Malko, avec la voiture.

Il lui expliqua où ils se trouvaient. Il tenta ensuite en vain de joindre les gorilles. Il y avait trop de tentations à Copenhague, au mois de juin, et ils se considéraient déjà en vacances.

Lise l’attendait dans la Saab, ne quittant pas le chalutier des yeux.

— Nous allons nous approcher à pied de ce bateau, suggéra Malko, en jouant les amoureux. Mais dès que Krisantem sera là, vous retournerez dans la voiture. La suite peut être dangereuse.