Avec enthousiasme, Lise descendit de la Saab et prit Malko par la main.
Vingt mètres plus loin, sous un réverbère, elle s’arrêta et lui enfonça dans la bouche une langue de fourmilier, chaude, douce et interminable. Il crut que les hanches de la Danoise ne pourraient jamais se décoller des siennes.
L’effet érotique du duel se prolongeait. Les marchands qui exposaient le kama-soutra en couleur et en relief dans toutes les boutiques du quartier de la gare faisaient fausse route : le romantisme n’était pas mort au Danemark.
Les deux cents mètres qui les séparaient du chalutier furent couvert en une douzaine d’étreintes plus torrides les unes que les autres. Si on les observait du bateau, le guetteur n’avait aucun doute sur leur sincérité. Lise était de plus en plus déchaînée. Malko avait beau s’efforcer de penser à Alexandra, il commençait à participer à son corps défendant. Si l’on peut dire.
Il fut sauvé par le gong : une voiture débouchait sur le quai et Lise consentit à relâcher son étreinte-ventouse.
Le véhicule ralentit en passant devant Malko et Lise et celui-ci eut le temps de voir l’intérieur à la lueur du réverbère. Krisantem était seul au volant. Il alla jusqu’au bout du quai et s’arrêta. Malko et Lise le rejoignirent et se glissèrent dans la voiture.
— Fais demi-tour, commanda Malko.
Le Turc s’exécuta et la Mercedes se trouva face au chalutier.
— Éteins les phares.
Ils ressemblaient maintenant à toutes les voitures arrêtées sur le quai.
Discrètement, le Turc dégagea son parabellum Astra de sa ceinture.
— S’il était déjà à bord, remarqua Malko, ils auraient levé l’ancre.
Une demi-heure passa. Malko commençait à se demander si toute l’opération n’était pas une feinte montée de main de maître par Boris. Pendant qu’il séchait près du chalutier, Otto Wiegand était peut-être en train d’embarquer sur un autre bateau ou dans un avion privé.
Jamais le temps n’avait passé aussi lentement. Tout à coup, la lueur blanche de deux phares apparut entre les arbres du jardin.
Le véhicule déboucha lentement sur le quai et ralentit encore. C’était une grosse voiture noire et il faisait trop sombre pour en distinguer la marque.
Au moment où elle stoppait devant le chalutier, Malko tournait déjà la clé de contact de la Mercedes. La culasse du Star claqua.
Là-bas, tout se passait très vite. Deux portières s’étaient ouvertes en même temps. Deux hommes bondirent sur le quai et l’un sauta sur le pont du chalutier.
Dans un rugissement de moteur, la Mercedes fonçait. Lise s’était aplatie sur le siège arrière.
Presque aussitôt un son aigu déchira le silence. Le chalutier avait mis en route sa sirène de brume. En même temps le pare-brise vola en éclats sous une rafale de projectiles. Instinctivement Malko freina et se coucha sur le siège, imité par Krisantem.
De courtes flammes jaunes jaillissaient d’un point légèrement à gauche de la voiture noire arrêtée. On tirait sur eux avec un fusil d’assaut Kalachnikov, l’arme des fantassins russes. Une seconde arme automatique ouvrit le feu à son tour, du pont du chalutier. La sirène continuait son hululement, couvrant le bruit des coups de feu.
Aplati derrière le volant, Malko sentait les balles transpercer la carrosserie. L’une d’entre elles brisa le haut du volant en deux. Le pare-brise et les glaces latérales n’existaient plus. Ceux qui se trouvaient en face d’eux étaient des professionnels, tirant par courtes rafales précises.
S’ils avaient la mauvaise idée de jeter une grenade incendiaire, ils étaient morts. Soudain la portière claqua : Krisantem venait de se glisser hors de la voiture. Il y eut quelques secondes d’accalmie, puis la fusillade reprit. La Mercedes n’était plus qu’une passoire, et les cheveux de Malko étaient pleins d’éclats de verre. Derrière lui, Lise poussait de petits cris de terreur. Heureusement, le moteur les protégeait des coups directs.
Une détonation éclata tout près de lui et il reconnut le son mat de l’Astra. Aussitôt, l’un des deux fusils d’assaut se tut. Malko leva prudemment le nez.
Le réverbère éclairait l’homme étendu près de la voiture noire, une arme près de lui. Un second était penché sur lui. Il se redressa et sauta sur le chalutier.
Krisantem courait, plié en deux, le long de la digue. Il tenait dans la main gauche un objet cylindrique et long, et dans la droite son parabellum.
Le fusil d’assaut du chalutier tira une nouvelle rafale et le Turc plongea à plat ventre, protégé par un petit rebord de pierre du quai. Le tireur sauta à terre, l’arme à la hanche et expédia une nouvelle rafale vers la voiture où se trouvait Malko.
Des appels jaillirent du pont, en allemand et en russe. La portière arrière de la voiture s’ouvrit. Sous la protection de l’arme automatique, les occupants allaient gagner le chalutier.
— Fichu ! pensa Malko.
Au même instant une longue flamme éblouissante jaillit de l’endroit où se tenait Krisantem. La lueur éclaira l’homme accroupi avec le fusil d’assaut. C’était un civil portant un chapeau à larges bords. Puis les flammes l’entourèrent et il lâcha son arme dans une futile atteinte pour éteindre le feu qui brûlait ses vêtements.
Son hurlement glaça le sang de Malko.
L’homme se roulait par terre pour tenter d’éteindre les flammes. La main de Krisantem cracha encore un jet de feu et il ne bougea plus.
La sirène s’arrêta et Malko entendit un bruit de moteur : la chalutier levait l’ancre. Il se glissa hors de la voiture. Krisantem avait déjà rampé jusqu’à l’autre véhicule et le tenait sous le feu de son parabellum et de son lance-flammes.
Il y eut un grincement d’ancre et le chalutier manoeuvra très rapidement. Deux minutes plus tard, il virait de bord et s’éloignait, obéissant certainement à des ordres préalables. Malko rejoignit le Turc plié en deux.
Stéphanie et Otto étaient serrés l’un contre l’autre sur la banquette arrière de la grosse voiture noire qui se révéla être une Opel Kapitan.
Ils ne dirent pas un mot, choqués par le combat. Ce n’était pas le moment des explications. Malko referma la portière à la volée.
Krisantem poussa dans l’eau le cadavre de l’homme au fusil, avec son arme.
— L’autre voiture, dit Malko.
Lise en sortit avec peine, étourdie. Les deux hommes, en dépit des pneus crevés, parvinrent à pousser la Mercedes dans la mer à un endroit où le muret de pierre s’interrompait. Elle disparut immédiatement. Cela retarderait les recherches de quelques heures. Ils revinrent en courant à l’Opel. Krisantem stoppa quelques secondes pour balayer le plus possible de douilles.
Malko prit le volant et fit demi-tour.
Dans le Churchill Parken, ils croisèrent une Volvo noire et blanche de la police. Les policiers ne trouveraient pas grand-chose : une grande tache noire sur le sol et quelques douilles oubliées…
— Qu’est-ce que c’était que cet engin ? demanda Malko.
Krisantem baissa modestement les yeux.
— L’extincteur de la voiture. J’avais remplacé le liquide sous pression par de l’essence, à tout hasard.
Il avait racheté son accès de lubricité. Encore une recette « barbouze ». Avec l’air sous pression de la roue de secours, et un demi-jerrican d’essence, on fabriquait un excellent lance-flammes.
Chapitre XIV
Misérable et penaud, Otto Wiegand se rongeait les ongles dans un des fauteuils tournants du hall. À cinq mètres de lui, Krisantem s’absorbait dans la lecture de Stern. Malko n’était pas loin, en train d’acheter des porcelaines chez Jensen.
La veille au soir, ils avaient eu une scène effroyable avec l’Allemand. Celui-ci avait menacé de se jeter par la fenêtre si Malko le forçait à quitter le Royal. Il aimait Stéphanie et elle l’aimait. Devant cette version à la Faust de Roméo et Juliette, les bras en tombaient à Malko.