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Le Politiken, quotidien sérieux de Copenhague, faisait sa manchette sur le mystérieux incident de la veille. On avait retrouvé le corps de l’homme tué par Krisantem et les débris de la Mercedes. Officiellement, la police danoise n’avait aucune piste. Mais le consulat des USA avait été noyé de coups de téléphone furieux demandant le règlement de l’affaire. Tout cela, bien entendu, répercuté sur Malko.

On en était là. Stéphanie était passée près de Malko, provocante et superbe, au bras de Boris. Le grand amour continuait avec Otto, totalement déboussolé.

Du salon de thé en face du hall, le Père Melnik contemplait son ancien compagnon avec une infinie commisération. Dieu, aidé d’une rougeole maligne, avait permis que le prêtre soit à l’abri des tentations de la chair.

Son sacerdoce et ses différents avatars avaient donné au Père Melnik une grande habitude des âmes. Bien que n’étant pas au courant de sa fugue, il sentait celle d’Otto prête à basculer dans le soufre communiste et lubrique de la belle Stéphanie. Le malheureux Allemand était bien ferré. Boris Sevchenko avait été diaboliquement psychologue. Otto n’aurait jamais suivi Stéphanie si le Russe ne l’avait pas d’abord rendu fou de jalousie et d’amour. On s’accroche toujours à ce qui vous échappe.

Le Père Melnik poussa un gros soupir. Une fois de plus, il allait être obligé à son corps défendant de s’identifier au glaive de Dieu.

Certes, il était en paix absolue avec sa conscience ; mais il tenait également à demeurer en paix avec la justice humaine, pour profiter de la manne en dollars. Son plan était d’une simplicité biblique, et reposait entièrement sur quelqu’un en qui il avait toute confiance : lui-même.

Après avoir terminé son thé, le Père Melnik se dirigea vers l’ascenseur.

Le plus tôt serait le mieux. Chaque heure renforçait l’emprise de Stéphanie sur sa victime.

* * *

— Entrez, cria Boris Sevchenko.

Assis près de la fenêtre, il regardait l’animation du parc d’attraction de Tivoli, de l’autre côté de la rue. Il était furieux contre lui-même. La veille au soir, il avait deux fois manqué de chance, en dépit du travail magnifique de Stéphanie. Maintenant il serait obligé de tenter un coup de force, même avec l’aide de l’Allemand.

La porte de la chambre de Stéphanie s’ouvrit et se referma. Rien que de très normal. C’était l’heure où la femme de chambre venait faire le lit. Comme celles de Malko et d’Otto Wiegand, sa chambre communiquait avec celle de Stéphanie.

Il ne sut jamais pourquoi, il jeta un coup d’oeil dans le mini-couloir réunissant les deux chambres. Juste à temps pour voir disparaître la soutane du Père Melnik.

Il fallut une seconde au prêtre pour se rendre compte que la chambre était vide. Il revint sur ses pas et se trouva nez à nez avec Boris. Les deux hommes étaient à quatre mètres l’un de l’autre, séparés par la porte de la chambre encore entrouverte. Le Russe ne vit pas tout de suite le parabellum P-08 dans la grosse main du prêtre.

* * *

Le Père Melnik avait son bon sourire habituel ; ses oreilles translucides rougirent légèrement, signe de contrariété.

— Dieu vous bénisse, dit-il d’une voix douce.

Et il ouvrit le feu.

La première balle rata le visage de Boris d’un demi-centimètre et arracha à la porte une esquille de bois. La seconde déchira le rembourrage de l’épaule de son costume et il tomba en arrière, ce qui le sauva car la troisième balle tirée par le prêtre passa exactement là où aurait dû se trouver l’estomac de Boris.

À quatre pattes, ce dernier agrippa la porte et l’ouvrit violemment. Le battant heurta le canon du pistolet, empêchant le prêtre de continuer son tir.

Boris en profita pour se glisser dehors, claquant la porte sur lui, puis détala ventre à terre dans le couloir. Aucun ascenseur n’étant là, il s’engouffra dans le première chambre ouverte pour se trouver nez à nez avec un couple de Suédois à qui il cria, en anglais :

— Vite, un fou veut me tuer !

Il se rua sur le téléphone et demanda la police. Tout en sachant qu’elle arriverait trop tard.

* * *

Le Père Melnik resta une seconde abasourdi, le P-08 à la main. Tout son plan s’effondrait. Si l’on avait trouvé les cadavres de Boris et de Stéphanie dans leur chambre, personne n’aurait pensé à soupçonner un prêtre. Et ceux qui auraient pu le faire auraient été trop contents pour présenter la moindre objection…

Mais rien ne s’était passé comme il l’avait prévu. Il pensait tuer d’abord Stéphanie et revenir ensuite abattre Boris dans sa chambre… Seulement la chambre et la salle de bains de la jeune femme étaient vides. Maintenant, il lui restait quelques minutes au plus : Boris était sûrement en train de donner l’alarme.

Le Père Melnik leva les yeux au ciel pour y chercher l’inspiration. Finalement, il décida de se tenir à son vieux principe : finir toujours ce qu’on avait commencé.

Il avança d’un pas et tourna la poignée de la salle de bains de Boris.

Elle résista.

— Stéphanie, appela Melnik d’une voix douce, ouvrez c’est Boris.

C’était un peu naïf, mais il n’avait pas tellement le choix. Bien entendu, il n’y eut pas de réponse. Il colla son oreille à la porte et entendit le déclic d’un récepteur téléphonique : Au Royal, les chambres avaient un téléphone dans la salle de bains.

Il essaya d’enfoncer la porte, mais réussit tout juste à se meurtrir l’épaule. Et les secondes passaient. Avant tout, il verrouilla la porte extérieure, puis revenant à la salle de bains, appuya le canon du P-08 sur le trou de la serrure et tira.

La détonation fit trembler les murs, mais la porte ne s’ouvrit pas. La balle avait en partie démantelé la serrure, mais le pêne était encore engagé. De nouveau Melnik appuya sur la détente. Cette fois, la serrure, aux trois quarts détachée de la porte, s’arracha au premier coup d’épaule de l’ecclésiastique.

Stéphanie poussa un cri perçant ; debout dans la baignoire pleine d’eau et de mousse, entièrement nue, elle fixait le Père Melnik, défigurée par la peur.

— Boris, glapit-elle, Boris !

Le Russe, dix étages plus bas, expliquait frénétiquement ce qui se passait à un employé incrédule. Normalement, le Royal est un hôtel extrêmement bien fréquenté…

Le Père Melnik ne s’attarda pas à la contemplation des charmes de le jeune femme. Levant son arme, il visa entre les deux seins en poire et appuya sur la détente.

À la même seconde, paniquée, Stéphanie jeta en avant la serviette qu’elle tenait crispée dans sa main droite.

Instinctivement, le Père Melnik leva son arme et la balle alla s’enfoncer dans le plafond. Dans cet espace restreint, l’explosion fut assourdissante. Les oreilles tintantes, le Père Melnik remit le ventre de Stéphanie dans sa ligne de mire et appuya de nouveau sur la détente.

Cette fois il y eut un « clic » étouffé par le cri de Stéphanie, folle de terreur.

Le doigt du prêtre se crispa sur la détente, n’obtenant qu’un second « clic ». Incrédule, il regarda son arme, tout paraissait en ordre. Aucune cartouche n’était coincée. Une troisième fois, il appuya sur la détente, sans plus de résultat. La cartouche avait fait long feu.

Furieux, il l’éjecta.

Stéphanie le regardait avec des yeux de folle.

— Non, non, hurla-t-elle, hystérique, lorsqu’elle vit le trou noir du canon se braquer à nouveau sur elle.