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La balle la rejeta en arrière sur le carrelage blanc. Mais elle avait traversé la main tendue en avant de la jeune femme, au lieu de s’enfoncer dans la poitrine, avait seulement déchiré l’épaule et fracassé l’omoplate droite de Stéphanie. Sur le moment, elle n’eut même pas mal, anesthésiée par le choc. Tout tournait. Elle se sentit glisser le long du mur et l’eau tiède la recouvrit entièrement. Elle s’agrippa au rebord de la baignoire pour sortir la tête de l’eau. Un calme étrange l’avait envahie. Presque indifférente, elle vit le gros pistolet approcher de son visage. Comme au bon vieux temps, le Père Melnik se préparait à donner le coup de grâce d’une balle dans l’oreille, méthode sans faille.

L’eau de la baignoire rosissait. Le sol était inondé et Stéphanie, en tombant, avait éclaboussé la soutane du prêtre.

Il appuya sur la détente du P-08. Le percuteur claqua à vide. Prodigieusement agacé, il manoeuvra la culasse. Elle revint en avant et claqua de nouveau à vide.

Le chargeur du P-08 était vide.

Bêtement, le Père Melnik regarda à ses pieds le petit cylindre de cuivre jaune de la cartouche éjectée. C’est cette balle qui devrait être en train de se frayer un chemin dans le cerveau de Stéphanie.

Hélas ! un P-08 n’a que huit cartouches. C’est à de semblables détails que tiennent les victoires ou les défaites. Au même moment, il y eut un piétinement dans le couloir et une voix énergique ordonna en danois :

— Ouvrez immédiatement cette porte. Police.

Maintenant, c’était une question de secondes. Stéphanie entendit le brait et se redressa dans la baignoire, criant de toute la force de ses poumons, en allemand :

— Au secours ! Vite, vite !

Maladroitement, car ce n’était pas un homme violent, le Père Melnik tenta de la frapper avec la crosse du P-08 en le tenant par le long canon. Mais sa tête était trop basse. Le coup effleura l’épaule, déséquilibrant l’ecclésiastique. Il plongea dans l’eau savonneuse jusqu’au coude et pour éviter de tomber tout entier dans la baignoire, dut lâcher le pistolet qui tomba au fond.

L’eau était complètement rouge maintenant. Le visage de Stéphanie se trouvait à quelques centimètres de celui du prêtre. Il l’empoigna par ses cheveux blonds et tenta de lui tenir la tête sous l’eau.

De l’autre côté de la porte, les coups s’accéléraient. Plusieurs voix crièrent :

— Enfoncez la porte ! Enfoncez la porte !

Stéphanie, en dépit de son bras blessé, luttait comme une tigresse. Elle ne voulait plus mourir. Elle s’agrippa de son bras valide au cou du prêtre et chercha à l’attirer dans la baignoire.

Une de ses énormes oreilles transparentes était à proximité. Surmontant son dégoût, elle ouvrit la bouche et mordit de toutes ses forces, secouant la mâchoire pour arracher le morceau, comme elle l’avait vu faire aux chiens. Effectivement, un flot de sang lui inonda le visage et le père bondit en arrière avec un cri inhumain.

Stéphanie cracha quelque chose d’innommable dans l’eau souillée avant de s’évanouir…

Hagard, le Père Melnik, appuyé au lavabo, avait l’impression qu’elle lui avait arraché la moitié de la tête. Une rage folle l’avait envahi. Stéphanie était encore vivante, Otto la suivrait, surtout maintenant qu’il ne serait pas là pour l’en empêcher. C’était trop bête.

Son horreur de l’échec lui fit chercher autour de lui un objet pour en finir. Des coups de plus en plus forts ébranlaient la porte. Il lui restait quelques secondes : même pas le temps de la noyer à coup sûr. Et il n’y avait pas le moindre rasoir ! Le mot rasoir par association d’idée lui fit regarder la prise électrique au-dessus du lavabo.

Son coeur sauta de joie. Un long fil électrique en pendait, celui du rasoir électrique de Boris. Ce jour-là, Stéphanie était venue prendre un bain dans sa salle de bains, parce que le mélangeur automatique de la sienne était en panne. Boris avait l’habitude de toujours laisser son fil branché. Par paresse. Le Père Melnik en prit l’extrémité et se pencha sur la baignoire. Le bout arrivait juste dans l’eau.

Délicatement, il le plongea dans le liquide, en prenant bien soin de tenir le bout en caoutchouc.

Stéphanie, évanouie, eut un sursaut terrible, ses yeux s’ouvrirent et se fermèrent plusieurs fois, son corps se tendit et ses dents claquèrent avec une telle violence que toutes celles de devant se cassèrent net.

Tétanisée par le courant, elle eut plusieurs mouvements convulsifs, tandis que son coeur se mettait en fibrillation. Inconsciemment, sa main se tendit et saisit le poignet du Père Melnik…

Celui-ci eut l’impression qu’une main géante lui serrait le coeur à le briser et l’étouffait. Il ne pensa pas à lâcher le fil et le plongea encore plus dans la baignoire. Il voulut parler, mais aucun son ne sortit de sa bouche : il était déjà paralysé. Avec une surprise horrifiée, il vit sa main gauche trembler comme celle d’un vieillard.

Il ne sentait même plus la douleur de son oreille. Évanoui, il bascula sur le carrelage, entraînant le fil électrique qui s’arracha de la prise. Au même moment, les plombs sautaient dans tout l’étage, et la porte, enfoncée, s’ouvrait avec fracas.

Le policier en casque blanc sans visière qui pénétra le premier dans la salle de bains, un luger au poing, s’arrêta stupéfait devant le spectacle.

Le Père Melnik était couché sur le dos, la soutane relevée sur ses caleçons longs, l’oeil gauche fermé, l’autre fixant le plafond, agité encore d’une légère fibrillation. Stéphanie avait la tête rejetée en arrière, la bouche ouverte et la poitrine hors de l’eau. Les bouts de ses seins, raidis par l’agonie pointaient dans la même direction que l’oeil ouvert du prêtre. Il y avait du sang partout.

Le policier abaissa son arme. Il n’avait jamais vu une telle horreur. Et un prêtre ! Il fut bousculé par un Boris hagard qui s’arrêta sur le seuil de la salle de bains. Il jura à voix basse, en russe.

— Un médecin, vite ! jeta-t-il. Elle est peut-être encore vivante.

Écartant sans ménagement le corps inerte du prêtre il se pencha sur Stéphanie et la souleva dans ses bras. Le policier la saisit par les jambes et ils la portèrent sur un des lits. Boris, au passage, jeta un regard de haine indicible au Père Melnik. Seul, il l’aurait volontiers balancé dans la cuvette des W.-C.

Le médecin de l’hôtel, un Danois flegmatique et chauve, auscultait Stéphanie à travers une serviette qui s’imbibait rapidement du sang de sa blessure.

— Le coeur est en fibrillation, dit-il, il y a peu de chances de la sauver.

Il commença à lui faire un violent massage cardiaque pendant que le policier appelait frénétiquement les pompiers. On avait sorti le Père Melnik de la salle de bains et il était étendu à même la moquette grise. Un des policiers défit respectueusement la soutane et appliqua son oreille sur sa poitrine.

— Vite, appela-t-il, celui-ci vit encore.

Le médecin abandonna Stéphanie, vint s’agenouiller près du prêtre et commença le massage. Blême, Boris l’attrapa par l’épaule.

— Pourquoi la laissez-vous ? Cet homme est un criminel !

Le médecin s’interrompit une seconde pour répliquer :

— Il y a une chance de le sauver, pas elle. Je suis médecin avant tout.

Ivre de rage, les poings serrés, Boris contempla la scène, impuissant. Quelques minutes plus tard, les pompiers firent irruption dans la pièce avec du matériel de réanimation et un second médecin… Ils placèrent un masque à oxygène sur le visage de Stéphanie.

Une heure plus tard, le premier médecin déclara Stéphanie officiellement morte d’électrocution. Le Père Melnik vivrait, mais on ignorait quels étaient les dégâts causés à son cerveau. Il pouvait être aveugle, idiot ou paralysé.