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Il la sentit frissonner. Elle portait des vêtements légers. Il retira sa veste et la lui mit sur les épaules, comme dans les films. Ce geste lui procura un sentiment agréable. Il se moquait du froid, qui s’intensifiait pourtant à cause d’une brise venue du sommet de la paroi. Il s’agissait d’un vent plus ou moins catabatique, lui avait-on dit, un courant d’air froid qui soufflait du désert glacé situé en contre-haut, refoulait l’air chaud moins dense, se dirigeait lentement mais sûrement vers le bas, s’écoulait le long de la chute d’eau, tel le fantôme de ces eaux immobiles et mortes.

Ils restèrent là sans rien dire pendant un long moment, puis Liss lui rappela qu’il était censé s’entretenir avec le Peregal Emoerte avant le dîner. Il lui restait encore un peu de temps, mais il commençait à avoir froid et à frissonner. Il attendrait toutefois qu’elle ait envie de rentrer pour la suivre à l’intérieur. Il leva les yeux vers les ténèbres situées au-dessus de sa tête et suivit la courbe d’un satellite en orbite proche, semblable à une étincelle. Liss se raidit à ses côtés, et il la serra contre lui.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-elle au bout d’un moment.

Il regarda dans la direction qu’elle lui indiquait, à l’ouest, où le spectre d’une faible lumière violette trahissait la présence d’Ulubis, de l’autre côté de la ligne d’horizon.

Juste au-dessus de cette dernière, dans le ciel, au-delà et en dessous des lumières orbitales, de nouvelles ampoules s’allumaient une à une. Elles étaient d’un bleu électrique et occupaient la surface d’une pièce de monnaie tenue à bout de bras. Chaque seconde, d’autres points lumineux apparaissaient. Les étincelles bleues scintillaient d’abord de façon incertaine, avant de se stabiliser. Il y en avait de plus en plus, qui emplissaient ce bout de ciel d’un feu glacé et transperçaient sans difficulté l’atmosphère au-dessus de la plaine gelée.

Saluus se surprit à trembler. Pas de froid, cette fois. Il ouvrit la bouche pour parler, mais fut devancé par Liss.

— Ce sont eux, n’est-ce pas ? Les Affamés et les Déconnectés d’E-5. L’invasion commence.

— J’en ai bien peur, confirma Saluus, tandis que son implant auriculaire et l’intercom de la suite résonnaient plaintivement. Nous ferions mieux de rentrer.

* * *

Groggy, une fois de plus. Toujours dans le compartiment réservé aux passagers et aux marchandises du Velpin. Il ralluma les systèmes de son gazonef. Le moniteur mural s’affola, se figea, afficha un champ d’étoiles immobile, qui finit par s’animer. Puis il zooma sur une planète blanc, bleu et vert. De prime abord, Fassin ne put s’empêcher de penser que ce monde semblait étrange, qu’on ne pourrait probablement pas y survivre sans scaphandre. Puis il réalisa qu’il ressemblait énormément à ’glantine ou Sepekte, et encore davantage à une image de la Terre. Je suis tellement habitué à Nasqueron, pensa-t-il, que je commence à penser comme un Habitant. Habituellement, cela n’arrivait pas si vite.

— Et merde ! grogna Y’sul en fixant le moniteur. Ce n’est même pas une planète digne de ce nom !

Les vagues déferlaient, recouvraient tout comme un voile de cécité. Opiniâtreté faite eau, elles se brisaient contre les rochers dentelés et massifs, chaque mouvement de marée se heurtant à la matière solide pour être finalement projeté vers le ciel, où l’eau tournoyait à la manière d’un gymnaste incompétent, avant de retomber, à la fois désespérée et enthousiaste, de se désintégrer, d’exploser en un bouillonnement d’écume, de se disperser dans un cimetière minéral.

Les eaux se retiraient après chaque assaut, emportaient dans leur sillage pierres, cailloux et gravillons, qui se faufilaient entre les pointes et les dents de granit, pelaient comme une mue, tandis que les morceaux de roches cliquetaient, discouraient, commentaient le succès irréfutable de l’entreprise de démolition, entreprise qui utilisait la pierre contre la pierre, qui arrachait, cassait, fendait, érodait, siècle après siècle, millénaire après millénaire, avec une détermination sans faille.

Il regarda les vagues pendant quelque temps, admira leur travail rythmé, impressionné malgré lui par ce bruyant mouvement perpétuel. Les embruns salés emplissaient sa chevelure et ses yeux, son nez et ses poumons. Il inspira profondément et se sentit soudain habité, lié à cette nature sauvage, à cette incessante guerre entre les éléments.

Une lumière dorée recouvrit lentement le tissu froissé de la mer. Le soleil fit son apparition à l’ouest sous une pile de nuages chaotiques, de volutes de vapeur enroulées autour de colonnes rocheuses lointaines, qui disparaissaient dans la brume d’un littoral incurvé tourné vers le nord.

Des oiseaux de mer tournoyaient dans le vent, plongeaient subitement, s’envolaient en battant lourdement des ailes, des poissons pareils à des éclats d’arc-en-ciel suspendus entre leurs serres.

Au début, sortir de son gazonef lui avait fait un drôle d’effet. Il connaissait bien cette sensation ; pourtant, cette fois-ci, elle lui avait paru différente, plus intense. Il était sur une terre familière et étrangère à la fois. Toute proche de ce que devrait être son chez-soi, et tellement éloignée de sa réalité. Ils étaient à onze mille années-lumière d’Ulubis, avaient parcouru plus de chemin que la première fois. Le voyage, toutefois, n’avait duré que douze jours.

Quand il avait ouvert le couvercle du gazonef pour se lever, il avait failli tomber à la renverse. Heureusement, Y’sul l’avait soutenu. Il avait toussé et presque vomi de se sentir tellement décharné, faible, malingre, vidé. Il avait tremblé de se sentir si nu, d’avoir récupéré soudain sa condition humaine, mouillé, gluant comme un nouveau-né, pas tout à fait libéré de l’étreinte du gel protecteur et de ses vrilles ombilicales. Il se sentait plus léger et en même temps plus lourd, car il perdait son sang, et ses os le faisaient souffrir.

Quelques minutes s’écoulèrent, et il s’habitua à sa nudité recouvrée – même habillé, il se sentait nu. Il tremblait encore, de temps à autre. Le synthétiseur du Velpin avait fait de son mieux pour lui fabriquer des vêtements humains, mais le résultat était bizarre, gras, froid.

Ils étaient sur Mavirouelo, une planète très semblable à la Terre, perdue dans les faubourgs de la galaxie, quoique moins isolée que ne l’était Ulubis. C’était un monde colonisé par une civilisation aquatique, un monde sceuri.

Les mondes aquatiques formaient la catégorie de planètes rocheuses la plus commune de la galaxie, même si la roche y était rarement visible. De fait, la plupart du temps, elles étaient constituées d’un cœur de métal/roche gros comme la Terre, dissimulé sous cinq mille kilomètres de glace sous pression, surplombée par un océan profond d’une centaine de kilomètres. Ce genre de planète était presque aussi répandu que les géantes gazeuses et avait donné à la Mercatoria trois de ses huit espèces principales : les Sceuris, les Ifrahiles et les Kuskundes.

Mavirouelo n’était pas un monde aquatique ordinaire – elle était encore moins couverte d’eau que la Terre. Toutefois, elle avait été colonisée par les Sceuris avant de produire des espèces locales – aquatiques ou terrestres. Les Sceuris l’avaient suffisamment développée pour la considérer comme leur, pour faire d’elle un de leurs mondes reculés, un des avant-postes de leur empire, partie intégrante de la Mercatoria.

Les Sceuris n’étaient pas non plus des créatures aquatiques conventionnelles. On les classait dans les « cétavoiles », car ils ressemblaient à des mammifères marins dotés d’épines-spinnakers, qu’ils pouvaient déplier dans le vent de façon à naviguer comme des bateaux.