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Enfermé dans son scaphandre, Y’sul émergea comme la tourelle d’un sous-marin, éparpillant les oiseaux. Il resta à la surface et, malgré les remous, flotta jusqu’à la falaise peu élevée où se tenait Fassin. L’homme se rappela soudain le jour où, en compagnie de Saluus, il avait vu le scaphandre de Hatherence traverser le chaos artificiel qui entourait la maison juchée sur l’eau de son ami.

— Fassin ! s’exclama Y’sul qui, tout dégoulinant, flottait désormais dix bons mètres au-dessus de sa tête. Toujours rien ?

— Non, toujours rien.

L’Habitant brandit un panier rempli de choses luisantes et ondulantes.

— Regardez ce que j’ai attrapé ! dit-il en soulevant le fruit de sa chasse devant ses organes sensoriels pour l’observer. Je crois que je vais ramener cela dans le vaisseau.

Il passa au-dessus de Fassin en faisant tomber quelques coquillages et en l’aspergeant d’eau, puis se dirigea vers l’appareil qui reposait sur la bande de végétation située entre la côte et la montagne, à quelques centaines de mètres de là. La navette longue de cinquante mètres était en réalité le nez du Velpin, resté en orbite avec Quercer & Janath à son bord.

Fassin suivit l’Habitant du regard, puis se retourna vers l’océan. Il était là pour rencontrer un Sceuri, une connaissance de Leisicrofe qui, d’après ce qu’on leur avait dit, était reparti une dizaine d’années plus tôt.

Ils n’avaient encore vu aucun Sceuri. Le Velpin avait été rapidement repéré par la régulation du trafic orbital, puis pris pour cible par plusieurs unités militaires automatisées ; aussi avaient-ils été forcés de révéler partiellement la raison de leur présence.

— On cherche un vieux schnoque appelé Leisicrofe, avaient dit Quercer & Janath.

On leur avait répondu de se positionner en orbite et d’y rester. Depuis, les lasers de visée ne les avaient pas lâchés d’une semelle. Ce qui avait éveillé la méfiance des autochtones, c’était leur vaisseau capable d’évoluer dans des trous de ver. Alors qu’ils n’étaient pas apparus par le portail local…

— Les Sceuris, avaient expliqué les jumeaux à leurs passagers, sont très suspicieux.

— Paranoïaques, même.

Pendant trois jours, ils avaient regardé la planète tourner sous leur navire. De l’avis d’Y’sul, les tempêtes de ce monde semblaient incroyablement plates et ennuyeuses, tandis que Fassin était littéralement fasciné par les villes en forme de flocons de neige bâties sur l’eau comme sur la terre ferme. Quercer & Janath, quant à eux, avaient passé leur temps à inventorier le matériel embarqué et à jouer bruyamment à des sortes de jeux de cartes. Après avoir satisfait la curiosité de la régulation du trafic orbital – officiellement, ils étaient venus de Nhouaste, la plus grande des quatre géantes gazeuses du système –, ils avaient reçu un signal. Un savant nommé Aumapile d’Aumapile avait eu l’honneur d’accueillir Leisicrofe lors de sa dernière visite, et serait très flatté de les héberger.

Plus le temps passait, plus ils se rapprochaient de cet Habitant errant et des informations capitales qu’il transportait. À condition, bien sûr, qu’il soit en vie, qu’il possède toujours ces informations, que celles-ci soient bien ce qu’elles étaient censées être, que Valseir leur ait dit la vérité, qu’elles ne soient pas obsolètes, inutiles, que le réseau de trous de ver ne soit pas uniquement accessible aux Habitants, que ces derniers soient disposés à le partager, que les données aient un rapport avec la fameuse Liste.

Fassin était donc à la recherche du code d’accès d’un réseau qu’il avait déjà utilisé deux fois. Il avait traversé deux trous de ver, parcouru la moitié de la galaxie et, pourtant, il était toujours aussi loin d’avoir la clé de ces passages secrets. On le trimbalait, inconscient, comme une jeune vierge sous l’emprise d’une drogue dans un roman gothique, mais on ne lui permettait pas de voir ce qu’il y avait derrière le rideau.

Il n’avait pas complètement abandonné l’idée de s’emparer des commandes du Velpin, même s’il reconnaissait que ses chances de succès étaient extrêmement minces. Par ailleurs, il y avait la question de l’accès aux trous de ver. Le mieux serait de trouver un moyen de rester éveillé pendant ces folles traversées, sauf que cela lui paraissait impossible.

Si seulement il pouvait remonter le temps, retourner sur Troisième Furie et demander à Apsile de lui fabriquer un système capable de rester éveillé tout en feignant d’être complètement déconnecté. Malheureusement, les machines à remonter le temps n’existaient pas – personne, pas même les Habitants, ne les avait encore inventées –, et Fassin n’avait pas les connaissances nécessaires, ni le temps, ni le matériel pour entreprendre seul ce genre de modification.

Peut-être aurait-il dû retourner dans la Mercatoria et agir comme l’aurait fait un véritable commandant de l’Ocula. Peut-être aurait-il dû transmettre un rapport à ses supérieurs et attendre de recevoir de nouveaux ordres. Le problème était que l’Ocula n’avait jamais rien représenté pour lui, et que les seules choses qui comptaient véritablement n’étaient plus.

Il aurait également pu essayer d’entrer en contact avec les Dissidents, mais à quoi bon, puisqu’il n’avait toujours pas la clé de la Liste des Habitants. Et puis, ceux-ci étaient peut-être mêlés au massacre de son Sept, et il n’était pas persuadé d’être si magnanime que cela.

Rentrer ? Pour quoi faire ? Soixante-dix jours standards s’étaient écoulés depuis qu’il avait pénétré l’atmosphère de Nasqueron. Plus d’un mois terrestre était passé depuis la bataille de la Tempête. Qui pouvait savoir combien de temps durerait encore sa traque, s’il parviendrait ou non à rattraper un jour le vieux Leisicrofe dans ses pérégrinations ? Peut-être rentrerait-il pour constater que tout était déjà terminé depuis longtemps, que le système avait été conquis ou dévasté comme Troisième Furie, que tout n’était plus que surfaces aplanies et ravagées par l’un ou l’autre des deux camps, qu’il se battait pour quelque chose qui n’existait plus.

Ce serait néanmoins l’information la plus importante jamais détenue par un être humain. Même si la clé de la Liste existait, le fait que les Habitants soient en mesure d’utiliser leurs trous de ver au nez et à la barbe du reste de la galaxie – et l’aient fait depuis toujours – le rendait sceptique sur son utilité réelle. Ce n’était, après tout, qu’une équation, de l’algèbre.

Et pourtant, malgré tout, il n’avait rien d’autre à faire que persister, continuer à chercher ce que tout le monde voulait trouver, espérer que cela serait utile d’une façon ou d’une autre.

Fassin inspira goulûment l’air salé.

Il ne doutait plus de la réalité de cet environnement, ne se disait plus qu’il pouvait s’agir d’une simulation absolue, à laquelle il n’y aurait pas de honte à succomber. Il n’y avait rien de comparable dans tout Ulubis, il n’avait encore jamais vu de côte rongée à ce point par les éléments. Et puis, les étoiles étaient complètement différentes.

Quelque chose attira son attention. À deux ou trois kilomètres de là, au milieu de l’océan, l’eau se soulevait pour former un large dôme peu élevé, s’écoulait sur la paroi d’un grand hémisphère aplati, sombre et zébré par l’écume, pareil à une explosion sous-marine qui ne transpercerait jamais la surface, mais qui continuerait d’enfler et de s’étendre, créant des vagues et des remous qui se rapprochaient de la falaise, tandis que l’apparition – une double soucoupe de deux kilomètres de large – sortait complètement de l’eau et se dirigeait lentement vers la côte en déversant sur la surface ombragée de l’océan un voile, une pluie ininterrompue.