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— C’est une menace pour le système tout entier, dit Sorofieve.

Sal réprima un soupir. Le sous-maître avait remplacé le Premier secrétaire Heuypzlagger deux jours plus tôt – en effet, celui-ci avait du mal à supporter la gravité élevée. Il s’adressait à un Habitant appelé Yawiyuen, qui était lui aussi un nouveau venu dans ces négociations. Cela faisait des semaines qu’on tournait en rond.

— Le Culte des Affamés fera peu de cas de la neutralité de votre planète, conclut Sorofieve.

— Qu’en savez-vous ? demanda Gruonoshe, un autre Habitant.

Ils étaient neuf en tout : deux négociateurs humains avec deux assistants chacun – Liss, qui affirmait supporter très bien la gravité de la géante gazeuse, était assise derrière Sal –, le Voyant en chef Meretiy du Sept Krine et deux Habitants vêtus de vêtements cérémoniels tout en rubans et en pierres précieuses.

— Quoi ? demanda Sorofieve.

— Qu’est-ce qui vous fait dire que le Culte des Affamés ne respectera pas la neutralité de notre planète ? répéta Gruonoshe d’un air innocent.

— Eh bien, ce sont des envahisseurs belliqueux. À vrai dire, sans exagérer aucunement, ce sont des barbares. Ils ne respectent rien.

— Cela ne signifie pas pour autant qu’ils nous chercheront querelle, remarqua Yawiyuen d’un ton raisonnable.

— Ils veulent prendre possession du système tout entier, reprit Sorofieve en se tournant vers Saluus pour demander de l’aide. Ce qui implique de soumettre également Nasqueron.

— Nous avons entendu parler du Culte des Affamés, leur expliqua Yawiyuen.

(— Je me demande bien comment ? envoya Liss à Saluus, via son implant auriculaire.)

— Il semblerait que ce soit un peuple hégémoniste, intéressé par les conquêtes d’environnements adaptés à leur biologie – ceux de leurs congénères, donc –, ce qui exclut d’office les géantes gazeuses.

— Erreur, intervint Saluus d’une voix amplifiée, douce et riche à la fois. Les Affamés vont nous attaquer dans l’unique but de s’emparer de Nasqueron, justement.

— Et pour quelle raison ? demanda Gruonoshe.

— Nous n’en sommes pas certains. Nous savons que ce qu’ils cherchent se trouve sur Nasqueron et nulle part ailleurs. Nous ignorons toutefois de quoi il s’agit. Néanmoins, nous sommes presque sûrs que c’est là la véritable raison de cette invasion.

— Presque sûrs ? demanda Gruonoshe.

— Nous avons intercepté des informations qui semblent le prouver.

— Quel genre d’informations ? intervint Yawiyuen.

— Il y a dix-huit ans de cela, nous avons trouvé le journal de bord du commandant suprême de la flotte d’invasion envoyée dans le système Ruanthril. Cette flotte a été détruite par les forces de la Mercatoria. Le commandant y expliquait qu’il ne comprenait pas pourquoi une flotte si importante devait être dépêchée dans le système Ulubis dans le simple objectif de rapporter des informations de Nasqueron.

— Vous dites que Nasqueron était mentionnée dans ce journal de bord ? demanda Gruonoshe.

— Effectivement.

Sal s’attendait à moitié à entendre une voix le féliciter dans l’oreille pour ce mensonge, puis il se souvint que Liss ignorait tout de la Liste et de l’équation mythique. Elle savait vaguement – comme tous ceux qui gravitaient autour des centres de pouvoir – que Fassin avait été envoyé sur Nasqueron pour retrouver quelque chose d’important, quelque chose qui avait un rapport avec la guerre future, mais c’était à peu près tout. Elle n’était pas présente lors du briefing effectué par la projection de l’amiral Quile, n’avait pas été mise au parfum – contrairement à Sal – et ne connaissait donc pas les détails de l’affaire.

— Dans ce cas, laissez le Culte des Affamés nous attaquer, et nous nous chargerons d’eux, déclara Yawiyuen de sa voix raisonnable.

C’était exactement le scénario que le Cabinet de guerre rêvait de voir se dérouler.

— On n’a qu’à dire « oui » tout de suite, envoya Liss.

— Peut-être pourrions-nous vous aider ? proposa alors Sorofieve.

— Oh ! non ! s’exclama Gruonoshe, comme si c’était une idée complètement absurde.

— Comme vient de l’expliquer le sous-maître Sorofieve, nous sommes persuadés que le Culte des Affamés a l’intention de s’emparer de l’intégralité du système, dit Saluus. Nous sommes tous menacés. Il serait donc logique d’unir nos forces.

— Une menace commune requiert une défense commune, ajouta Sorofieve.

— Ou peut-être un mouvement de tenaille ! suggéra Yawiyuen d’un ton enjoué.

Saluus eut à nouveau envie de soupirer. Ces deux Habitants étaient des négociateurs de premier rang, autorisés – après une sélection dont on ignorait le mécanisme – à parler pour toute la société de Nasqueron ; pourtant, ils se comportaient souvent comme des enfants.

— Eh bien, peut-être, dit-il. À condition que nous puissions coordonner nos mouvements.

— Évidemment, enchérit Sorofieve. Mais il faudrait que nous partagions nos technologies de défense.

— Oh ! fit Yawiyuen en se redressant légèrement. Excellente idée ! Que possédez-vous qui pourrait nous intéresser ? demanda-t-il d’un ton authentiquement enthousiaste.

— Notre force réside surtout dans notre connaissance de l’ennemi, dit Saluus. Nous connaissons leur mode de pensée. Après tout, ils sont humains. Malgré nos différences, nous réfléchissons à peu près de la même manière. Nous essaierons donc d’anticiper leurs mouvements, de penser plus vite qu’eux.

— Et nous ? demanda Yawiyuen en se laissant retomber dans son fauteuil.

— Notre force à nous, ce sont nos armes, je parie, dit Gruonoshe, d’une voix neutre.

— Nous avons certes découvert à nos dépens que vos capacités offensives sont beaucoup plus importantes que les nôtres, donc…

— Défensives, l’interrompit l’Habitant. Nos capacités défensives. Vous pouvez continuer…

Sal fit de son mieux pour hocher le casque d’un air naturel en dépit de la gravité importante.

— Oui, vos capacités défensives, reprit-il. Si nous échangions certaines de nos connaissances sur…

— Nous n’avons aucune intention de révéler quoi que ce soit sur notre technologie militaire, le coupa sèchement Gruonoshe.

— Nous pourrions vous dire le contraire, dit Yawiyuen. Nous pourrions même le penser – on ne sait jamais, si vous nous faisiez changer d’avis –, mais ceux qui contrôlent ces armes ne le permettraient pas.

— Peut-être pourrions-nous nous entretenir avec eux…, essaya Saluus.

Yawiyuen flotta au-dessus de son siège.

— Non.

— Pour quelle raison ? demanda Sorofieve.

— Ils ne parlent pas aux étrangers, dit l’Habitant sans prendre de gants.

— À vrai dire, ils nous adressent rarement la parole, précisa Gruonoshe.

— Comment pourrions-nous… ? commença Saluus.

— Nous ne sommes pas la Mercatoria, l’interrompit une nouvelle fois Gruonoshe.

Sal n’avait pas l’habitude d’être traité ainsi, et il commençait à ne pas apprécier.

— Non, continua l’Habitant, indigné. Nous ne sommes pas un de vos états mercenaires. Nous n’avons rien à voir avec vos forces armées sans cervelle.

— Il s’énerve, le bougre, entendit Sal dans son oreillette.

— Si je puis me permettre…, dit le Voyant en chef Meretiy.

Les Voyants avaient pour instruction de n’intervenir qu’en cas de souci de compréhension, de malentendu. Meretiy pensait que le moment était venu de calmer le jeu, mais il n’eut guère le loisir de continuer.