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Le compartiment dédié aux passagers était en grande partie occupé par le scaphandre du Sceuri appelé Aumapile d’Aumapile, un grand losange noir couvert de pointillés blancs, qui lui donnaient des airs de fenêtre ouverte sur l’espace. Fassin se réveillait lentement. Comme d’habitude, il se sentait sale et avait mal partout. À cause de cette chose énorme, il ne pouvait voir ni Y’sul ni l’écran serti dans la paroi.

— Ah ! s’exclama la créature dans le container noir. C’est donc cela l’inconscience ? C’est très désagréable. Fondamentalement désagréable.

Fassin était heureux que l’autre fût du même avis que lui. Il commença à vérifier les systèmes de son gazonef et les remit progressivement en route. Le bras manipulateur gauche était un peu rouillé, et les mécanismes d’autoréparation avaient atteint leurs limites. Il continuerait de fonctionner ainsi, de façon saccadée, pendant quelques mois standards, avant de s’arrêter définitivement. Il devait sans doute s’estimer heureux que son appareil ait tenu aussi longtemps après tout ce qu’il lui avait fait subir depuis son départ de Troisième Furie.

— Et pourtant, c’est intéressant ! ajouta le Sceuri d’une voix puissante, qui résonna dans l’espace confiné – de fait, l’Aumapile d’Aumapile parlait encore plus fort qu’Y’sul. Hum…, fit-il. Oui, intéressant, très intéressant, même. Vous êtes réveillés, ou je suis le premier ? Ha-ha !

— Soit je suis réveillé, soit je suis en train de faire un cauchemar particulièrement bruyant, s’irrita Y’sul de l’autre côté du scaphandre.

— Pareil, lança Fassin.

— Super ! Alors, on est arrivé ?

Oui, ils étaient arrivés.

Et ils ne l’étaient pas.

Lorsque l’écran s’éclaircit enfin, ils constatèrent qu’ils étaient dans les couches moyennes d’une géante gazeuse. Le Velpin avait battu ses records de vitesse, puisque ce trajet-là n’avait duré que deux jours. Ce qui signifiait également qu’ils avaient très rapidement sombré dans l’inconscience.

D’après leurs pilotes, ils étaient dans le quartier de Rovruetz, dans la région de Direaliete, sur Nhouaste, la seule géante gazeuse du système.

L’Aumapile d’Aumapile était ravi. Exactement comme il se l’était imaginé ! Il entra joyeusement dans le sas du vaisseau, puis jaillit dans ce paysage de Nuages Racines à l’horizon transpercé de rais de lumière. Il tournoya dans tous les sens à la façon d’une centrifugeuse, tant il était heureux. Ils passèrent une journée entière sans rencontrer le moindre Habitant du cru, à explorer les vestiges laissés par les Travailleurs, vestiges qui ressemblaient étonnamment à une cité-globe abandonnée sise au sommet d’une bande-turbine d’un millier de kilomètres de diamètre. Tout cela était très impressionnant, mais, réalisèrent Fassin et Y’sul, n’avait rien à voir avec ce qu’ils étaient supposés trouver.

— Ce n’est pas Rovruetz, Direaliete, pas vrai ? demanda Fassin aux jumeaux peu de temps après leur arrivée, tandis que l’Aumapile d’Aumapile fonçait dans les ruines de la cité, calibrait ses instruments et enregistrait tout ce qu’il voyait.

— Évidemment.

— Direaliete est de l’autre côté de la galaxie.

— Il faut des jours et des jours pour y aller.

— C’est un système ? demanda Fassin.

— Un système, en effet.

— Je n’ai trouvé aucune donnée à son sujet…

— C’est normal. Direaliete est son nom dans la Vieille Langue.

— Enfin, une variante de son nom.

— Donc, reprit l’humain, c’est juste une farce.

— Correct.

— Notre ami a ce qu’il voulait, et nous aussi. Deux sur deux. Une de nos missions les plus facilement accomplies.

— Peut-être, intervint Fassin, mais en attendant, nous perdons du temps.

— Le temps se perd tout seul, de toute façon.

— Qui sommes-nous pour nous mettre en travers de sa route ?

Après avoir proposé au Sceuri de le laisser ici, puis de venir le chercher plus tard – le bougre n’était toutefois pas si bête –, après lui avoir dit qu’ils devaient vraiment y aller – impossible, il y avait encore tant de choses à voir –, Quercer & Janath avaient décidé de l’abandonner. Ils attendirent qu’il se fût enfoncé dans les profondeurs de la cité, revinrent à bord de leur vaisseau, dirent à Fassin et Y’sul que l’Aumapile d’Aumapile avait finalement changé d’avis, qu’il arrivait, enfermèrent les passagers dans leur compartiment, bouclèrent les sas externes, les prévinrent que la suite du voyage risquait d’être un peu mouvementée et s’en furent.

— Qu’est-ce que c’est que ces conneries ? envoya Fassin à Y’sul avant que les jumeaux aient eu le temps d’éteindre les systèmes de son appareil. Et le Sceuri ?

L’Habitant semblait être au courant de quelque chose.

— Excellente blague, non ? répondit-il en riant.

Fassin passa par le moniteur du compartiment pour s’adresser aux pilotes.

— Vous avez dit à l’Aumapile que vous vous apprêtiez à partir ?

— Oui.

Fassin attendit. Comme les jumeaux persistaient dans leur silence, il envoya :

— Et alors ?

— Il ne nous a pas crus.

— Il a rigolé.

— Donc vous avez décidé d’abandonner, sur la géante gazeuse de son système, cet idiot naïf, fabuleusement riche et aux amitiés nombreuses dans le monde politique ?

— Cela résume assez bien la situation.

— On ne peut pas dire qu’on ne l’a pas prévenu.

— Vous savez, les conditions de passage…

— Vous ne pensez pas qu’il pourrait devenir la proie des chasseurs, qu’il pourrait mourir, tout simplement ? demanda Fassin. À moins qu’il trouve un moyen de rentrer chez lui et qu’il lui prenne l’envie de se venger.

— C’est une possibilité, en effet.

— Et après ?

— Eh bien, il en voudra sans doute beaucoup aux Habitants, ce qui serait dommage pour vos congénères de Nhouaste.

— Ah ! vous marquez un point.

— Oui, cela pourrait causer quelques frictions.

— Sans parler des effets désastreux sur notre prestige !

— Nous aurions peut-être dû prévenir quelqu’un qu’on laissait cette espèce de machin à aileron tout mou derrière nous.

— Oui, oui, nous aurions dû. Mais, j’y pense ! Nous pouvons leur envoyer un signal !

— Alors, vous êtes content maintenant ?

Fassin n’eut pas le temps de répondre.

— Bon ! plus de temps à perdre en bavardages. Éteignez votre machine, les spirales vont bientôt commencer.

* * *

L’Archimandrite Luseferous passa ses forces en revue. Une partie de son armée se trouvait ici, à l’intérieur de la coque arrondie de son navire principal, Luseferous VII. Il s’agissait de ses troupes terrestres et spatiales d’élite. Tout le monde au garde-à-vous, devant des navettes d’attaque surarmées, capables d’évoluer dans tous les types d’environnement. Les vaisseaux de guerre, navires de soutien, transports de troupes, navettes, bombardiers, drones de poursuite, lance-missiles, machines de surveillance et d’observation et autres appareils variés qui s’étiraient devant lui à l’infini n’étaient qu’une projection. Mais ils existaient, et leur image lui parvenait en temps réel, car ils étaient tous à quelques secondes-lumière du cœur d’acier de sa flotte, matérialisé par ce vaisseau, Luseferous VII.