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Fassin, Y’sul et les jumeaux furent transportés dans un autre sas, puis dans une salle circulaire pressurisée légèrement chauffée. Les sacs s’affaissèrent. On les déposa dans des sortes de fauteuils, où on les attacha avec des entraves massives et brillantes. On ouvrit les sacs juste assez pour leur permettre de voir, d’entendre et de parler. Les soldats vérifièrent leurs entraves une dernière fois, puis s’en furent.

Fassin jeta un regard circulaire sur la salle. Y’sul et les capitaines voyageurs semblaient toujours inconscients. Les collerettes sensitives du premier voletaient mollement dans l’apesanteur, tout comme la combinaison scintillante des derniers. La chambre en forme d’ovoïde aplati ne contenait rien, à part une atmosphère de géante gazeuse parfaitement respirable pour les Habitants. Seule son odeur n’était pas tout à fait authentique. Toutes les surfaces émettaient une lumière diffuse et faible. Un semblant de gravité, équivalent à un quart de g, se mit progressivement en place.

Une porte apparut, s’ouvrit comme un diaphragme et se referma derrière un trio de Voehns – les deux soldats de tout à l’heure, plus un officier vêtu uniquement d’un haut d’uniforme orné de diverses décorations et armé d’un pistolet rangé dans son holster. Le visage en forme de museau et les yeux gros comme des poings protégés par des paupières multiples se braquèrent successivement sur les trois prisonniers. L’officier arqua son corps allongé, puis souleva ses dix épines dorsales dans un mouvement apparemment sensuel. L’épiderme protecteur qui les recouvrait scintilla à la façon d’un miroir brisé en mille morceaux.

Fassin lutta de toutes ses forces pour ne pas sombrer à nouveau dans l’inconscience et se rappela le feuilleton dont il ne manquait jamais un épisode lorsqu’il était enfant – Commando voehn. Il tenta de se remémorer ce qu’il savait de leurs uniformes et insignes. Celui qui portait toutes ces décorations était commandant principal. Un officier aux talents multiples. Le plus haut gradé du vaisseau, certainement. Trop gradé, d’ailleurs, pour un appareil de cette taille. À moins qu’il s’agisse d’une mission spéciale. (Oh-oh !…)

L’un des deux soldats agita un appareil dans leur direction et lut les résultats sur un moniteur miniature. Il ne s’attarda pas trop sur les données transmises par Fassin et Y’sul, mais passa plus de temps sur le cas de Quercer & Janath. Il modifia quelques réglages, passa une nouvelle fois l’appareil au-dessus du corps des jumeaux, puis montra le moniteur à son supérieur, qui lut les données en hochant légèrement la tête. Il éteignit la machine, avança vers les prisonniers et parla dans une de ses décorations.

Les attaches qui entravaient le gazonef et les deux Habitants se défirent et furent escamotées dans le sol. L’officier retira un gant et passa une main parcheminée sur la coque de l’appareil de Fassin, sur la carapace d’Y’sul et sur la membrane luisante qui recouvrait le corps de Quercer & Janath. Il chercha et trouva rapidement un moyen d’ouvrir la combinaison, qu’il souleva au-dessus des jumeaux. Le commandant principal se pencha sur le carré d’épiderme émetteur de l’Habitant et le renifla pendant quelques secondes.

Il regarda Fassin.

— Vous êtes déjà réveillé ? dit-il d’une voix calme, profonde et gargouillante. Répondez !

— Je suis réveillé.

Fassin essaya de bouger son bras manipulateur gauche. Des icônes d’alerte apparurent dans son champ de vision. Il bougea le droit et changea de position. Le sac le gênait un peu, mais il était tout de même relativement libre de ses mouvements. D’autant que le matériau dont était fait ce brancard-prison semblait facile à déchirer.

Le Voehn prit quelque chose dans la poche de son uniforme et l’agita devant Y’sul, qui sursauta, s’agita un instant, les membres ramollis, les collerettes sensitives raidies.

— Warrgh ! fit-il.

Le commandant s’apprêtait à faire la même chose à Quercer & Janath, qui s’empressèrent de dire :

— Nous sommes déjà réveillés, mais merci quand même.

Le Voehn plissa les yeux, regarda longuement les jumeaux, puis recula pour examiner ses trois prisonniers. Les deux gardes en armure se placèrent de part et d’autre de l’endroit où était apparue la porte.

Le commandant se pencha légèrement en arrière, s’appuya sur ses pattes de derrière et sur sa queue, et croisa les bras.

— Allons droit au but ! Je suis le commandant Iniacah des forces spéciales de la Grande Flotte. Vous êtes à bord de mon ultravaisseau Protreptic. Vous êtes mes prisonniers. Nous savons pourquoi vous êtes ici, car nous attendions votre venue. En ce moment même, nous sommes en train de passer votre vaisseau au peigne fin pour y trouver d’éventuelles données cachées, mais nous avons peu d’espoir. Toutefois, nous avons carte blanche, ce qui signifie que nous pouvons faire ce que bon nous semble de vous. Évidemment, cette latitude ne sera pas mise à profit si vous acceptez de coopérer et de répondre honnêtement à nos questions. Bon !… Vous êtes les Habitants connus sous les noms d’Y’sul et de Quercer & Janath, et vous, vous êtes l’humain Fassin Taak, n’est-ce pas ?

Y’sul grogna.

— Salut, répondirent les capitaines voyageurs.

— C’est exact, dit Fassin.

Du coin de l’œil, il voyait Y’sul bouger, s’agiter comme s’il voulait sortir de sa prison. Oh ! non, ne fais pas cela, pensa-t-il. Il s’apprêtait justement à le dire lorsque…

— Putain, mais pour qui vous vous prenez, bande de merdeux ? beugla l’Habitant en se libérant du sac et en flottant au-dessus de son fauteuil.

Les deux gardes n’esquissèrent pas le moindre mouvement.

Le commandant, les bras toujours croisés, laissa l’Habitant venir tout près de lui, le dominer du haut de sa position.

— Qui êtes-vous pour attaquer notre vaisseau et nous prendre en otages ? Vous ne savez pas à qui vous avez affaire, ma parole !

— Retournez à votre place, dit l’officier sans hausser le ton.

— Oui, c’est probablement une bonne id…, commencèrent les jumeaux.

— Retournez donc sur votre putain de planète ! rugit Y’sul en tendant un membre articulé et en poussant le Voehn.

Le commandant sembla disparaître, devenir flou, comme si, depuis le début, il n’avait été qu’un hologramme, qui se dissolvait à présent en des millions de pixels, se transformait en un nuage gris parsemé d’éclats arc-en-ciel. Y’sul eut un frisson, puis fut projeté violemment contre la paroi, au-dessus de son fauteuil et de son brancard-prison abandonné. Il resta là un instant, avant de pivoter en arrière et de retomber mollement sur le sol, où il roula longuement sur le flanc comme une pièce jetée sur une table.

Le Voehn réapparut là où il était quelques instants plus tôt, imperturbable.

— Vous avez donc pris le parti de ne pas coopérer, dit-il d’une voix douce.

— Aïe ! se contenta de rétorquer Y’sul.

Il avait deux entailles à la carapace, une sur le bord de chaque disque. Il avait également une meurtrissure, peut être une fracture au moyeu. Il s’agissait de blessures graves, l’équivalent pour un humain d’un ou deux membres cassés et d’un traumatisme crânien. Fassin n’avait pas eu le temps de voir comment le Voehn avait frappé l’Habitant. Il aurait bien aimé pouvoir se repasser la scène au ralenti, mais les systèmes de son gazonef ne répondaient plus et n’avaient rien enregistré. Et merde, pensa-t-il. On va tous crever, et je suis le seul susceptible d’être torturé en bonne et due forme. Il imaginait qu’on pelait son appareil, qu’on l’arrachait à sa protection comme un vulgaire escargot…