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— Une IA, monsieur Taak, répondit la créature en continuant d’examiner la paroi.

Quoi ? pensa-t-il.

— Deux IA, en fait.

Une IA ? Deux putains d’IA ? On est mort…

— Effectivement, deux IA.

— Cela nous permet de préserver notre santé mentale.

— Et plus encore.

— Parle pour toi.

— Hum, oui, tu as peut-être raison.

Y’sul grogna et fut secoué de tremblements spasmodiques. Sa collerette sensitive s’agita. Il regarda autour de lui.

— Merde, on est encore ici ? Putain ! s’exclama-t-il en apercevant les cadavres des Voehns. Vous les voyez aussi ? demanda-t-il en se retournant ostensiblement vers Fassin.

— Oh ! oui, répondit celui-ci. Donc, reprit-il en se retournant vers Quercer & Janath, vous êtes une IA ? Ou plutôt deux IA ?

Il sentit ses poils se dresser sous le gel protecteur. Il ne pouvait pas s’en empêcher. Il avait été élevé dans la croyance que les IA étaient les plus dangereux, les plus horribles, les plus terribles ennemis que l’humanité ait jamais eus. Une partie de lui-même, vulnérable et profondément enfouie, était persuadée que la promiscuité avec une chose si abjecte était forcément synonyme de mort atroce, de souffrances terribles.

— C’est exact, répondirent Quercer & Janath d’un air absent. Et nous venons tout juste de prendre les commandes de ce navire.

— En revanche, on ne peut pas sortir de cette saloperie de salle.

— Cabine. On ne peut pas sortir de cette saloperie de cabine.

— Peu importe.

— C’est ennuyeux. Son fonctionnement est purement…

— … mécanique. Oui, tu l’as déjà dit.

— Ah ! nous y voilà.

La créature donna un coup sur la paroi. Puis un autre. La porte apparut et s’ouvrit comme un iris sur un couloir court et une autre porte.

Quercer & Janath se retournèrent pour faire face à l’Habitant et à l’humain dans son gazonef.

— Messieurs, nous allons devoir vous laisser ici pendant quelque temps.

— Vous rigolez ? s’exclama Y’sul. Vous voulez jouer aux héros, c’est cela ? On vient avec vous. Enfin, sauf si on nous a tendu une embuscade derrière cette porte, évidemment.

Quercer & Janath flottèrent de haut en bas en riant.

— De l’autre côté de cette porte, il y a le vide, Y’sul.

— Et beaucoup de Voehns désorientés et très en colère.

L’Habitant blessé ne dit rien pendant quelques secondes.

— J’avais oublié, admit-il en haussant les roues. Bon ! d’accord, mais ne tardez pas trop.

* * *

Saluus Kehar se réveilla terrorisé et confus, persuadé de n’avoir pas eu un sommeil ordinaire. Il avait dormi, certes, mais il y avait autre chose. Quelque chose de plus sale et désordonné. Il avait mal à la tête, alors qu’il ne se rappelait pas avoir bu la veille. Il avait assisté à un dîner légèrement ennuyeux et déprimant avec les gens de l’ambassade, avait eu une discussion stérile avec le général Thovin et pris un peu de bon temps avec Liss. Puis il avait dormi. C’était tout, n’est-ce pas ? Il ne croyait pas avoir bu des quantités astronomiques d’alcool. Dans ce cas, pourquoi avait-il autant de mal à ouvrir les yeux ?

Car, oui, ses paupières lui paraissaient peser des tonnes. Il essaya encore et encore, en vain. Aucune lumière ne les traversait. Et puis, quelque chose clochait avec sa respiration. Il ne respirait pas ! Il tenta de remplir ses poumons d’air, mais n’y parvint pas. Il se mit à paniquer. Il voulut bouger son corps, porter ses mains à son visage, à ses yeux, vérifier qu’il n’y avait rien au-dessus de lui, mais c’était impossible – il était comme paralysé.

Son cœur battait la chamade dans sa poitrine. Une sensation terrible se tortillait dans ses entrailles, comme s’il était sur le point de se vider par tous les côtés.

— Monsieur Kehar ?

La voix n’entra pas par ses oreilles. Elle était virtuelle, transmise par la pensée. Il était donc dans une sorte d’environnement artificiel. Au moins cela expliquait-il un peu l’étrangeté de la situation. Il devait avoir été interné pour subir un rajeunissement. Il était donc inconscient, à l’abri d’une clinique qui lui appartenait probablement. Ils devaient juste s’être trompés dans la procédure de réveil, avaient sans doute mal lu son monitoring. Un soupçon d’analgésique, quelques stupéfiants, un peu d’antipanique… un cocktail relativement simple à préparer pour une clinique digne de ce nom. Et pourtant, ils avaient quand même commis une erreur. Il allait devoir sévir.

Sauf qu’il n’avait pas rendez-vous. Il avait même fait annuler un check-up à cause de l’état d’urgence. Non, il n’était pas supposé être hospitalisé.

Une attaque. Le vaisseau avait été attaqué pendant qu’il dormait. Il était dans un hôpital quelconque, dans une cuve. Merde, il devait avoir été grièvement blessé. Peut-être ne lui restait-il plus que la tête ou…

— Coucou, envoya-t-il.

Il lui était facile de penser/parler, car il avait l’impression d’être dans un jeu ou bien – encore une fois – à l’hôpital pour un traitement.

— Vous êtes Saluus Kehar ?

Pourquoi ? Ils n’en étaient pas sûrs ?

L’avait-on drogué, assommé de quelque manière que ce soit ?

Merde, avait-il été kidnappé ?

— Qui est là ? demanda-t-il.

— Confirmez votre identité.

— Vous êtes sourds, je viens de vous demander qui vous étiez.

Une vague de douleur déferla sur son corps, inonda ses orteils et remonta jusqu’au sommet de son crâne. Sa pureté était étonnante, son caractère absolu affreux. Elle s’évanouit aussi brusquement qu’elle était apparue, laissant dans son sillage une douleur sourde dans ses testicules et ses dents.

— Si vous refusez de coopérer, vous souffrirez davantage, dit la voix.

Il voulut ouvrir la bouche pour parler, mais n’y parvint pas.

— Mais pourquoi ? finit-il par envoyer. Qu’est-ce que je… ? Bon ! d’accord, je suis Saluus Kehar. Où suis-je ?

— Vous êtes un industriel ?

— Oui. Je suis propriétaire de Kehar Industry. Où est le problème ? Où suis-je ?

— Que faisiez-vous juste avant de reprendre connaissance ici ?

— Pardon ? Ce que je faisais ?

Il essaya de se rappeler. D’ailleurs, il avait déjà commencé à y penser. Liss. Il était à bord de son vaisseau, à bord de la Coque 8770, et il était sur le point de s’endormir. Alors, il se demanda ce qui était arrivé à Liss. Où pouvait-elle être ? Était-elle ici, quoi que ce « ici » voulût dire ? Était-elle morte ? Devait-il parler d’elle ou non ?

— Répondez !

— Je me suis couché pour dormir.

— Où ?

— À bord d’un vaisseau. Un navire baptisé Coque 8770.

— Où se trouvait-il ?

— En orbite autour de Nasq. Écoutez, vous pourriez quand même me dire où je suis, non ? Je suis parfaitement disposé à coopérer, à vous dire tout ce que vous voulez savoir, mais j’ai tout de même besoin de connaître un peu plus le contexte. Il faut que je sache où je suis.

— Vous étiez seul ?

— J’étais avec une amie, une collègue.

— Son nom ?

— Elle s’appelle Liss Alentiore. Est-elle ici ? Où est-elle ? Où suis-je ?

— Quel poste occupe-t-elle ?

— Quel… ? Elle est mon assistante, ma secrétaire.

Silence. Il attendit un peu, puis envoya :

— Il y a quelqu’un ?

Silence.