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Un clic, et les ténèbres furent remplacées par la lumière. Saluus était de retour dans le monde réel, dans un corps physique. Un plafond argenté et brillant, strié de centaines de lignes lumineuses. Il ne reconnaissait pas cet endroit, mais en tout cas, l’éclairage était excessif.

Il était étendu sur un lit. Malgré la gravité équivalente à un demi-g tout au plus, il ne pouvait pas bouger. Peut-être était-il entravé d’une manière ou d’une autre. Quoi qu’il en fût, il était incapable de lever les bras ou les jambes. Une personne vêtue comme un médecin ou un infirmier venait de lui retirer une sorte de casque. Il cligna des yeux, se lécha les lèvres. Il pouvait bouger légèrement les muscles de son visage et le cou, mais pas plus. Il croyait sentir le reste de son corps, sans toutefois en être sûr. Peut-être ne lui restait-il que la tête.

Un homme grand, mince, à l’air étrange et aux yeux d’un rouge violent le regardait. Sa tenue élaborée ressemblait à un costume d’opéra. Oh ! et puis ses dents… Elles étaient taillées dans du verre ou dans un matériau encore plus transparent.

Saluus prit une ou deux inspirations. Le fait de pouvoir respirer normalement était formidable. Néanmoins, il était toujours terrifié. Il se racla la gorge.

— Quelqu’un va-t-il me dire ce qui se passe ?

Un mouvement à la périphérie de sa vision. Il était en mesure de tourner la tête – son cou frottait contre une sorte de col rigide – et de voir un autre lit. Quelqu’un aidait Liss à se lever. Elle basculait ses longues jambes par-dessus le rebord. Elle le regarda, se détendit le cou et les épaules, laissa ses longs cheveux noirs se déverser sur son dos. Elle portait une fine combinaison. Elle était pourtant nue lorsqu’ils s’étaient mis au lit.

— Salut, Sal, lança-t-elle. Bienvenue au sein de la flotte d’invasion des Affamés !

Le type bizarre aux yeux mauvais tendit le bras et lui offrit une main gantée pour l’aider à se tenir debout.

— Il semblerait bien que vous nous ayez amené une personnalité de valeur, jeune femme, dit-il d’une voix étrange à l’accent épais, profonde et abrasive à la fois. Nous vous en remercions.

Liss eut un sourire timide, se redressa et se passa la main dans les cheveux pour les démêler.

— Ce fut un véritable plaisir.

Saluus se rendit compte qu’il avait la bouche ouverte. Il la ferma brièvement pour déglutir.

— Liss ? s’entendit-il dire d’une voix faible de petit garçon.

— Désolée, répondit-elle en se tournant vers lui et en haussant les épaules. Enfin, pas vraiment…

* * *

— Ces lasers aux rayons gamma sont vraiment très, très bien ! Regarde !

— Un laser de plus, c’est tout. Les convolueurs magnétiques sont intrinsèquement beaucoup plus impressionnants.

Fassin n’écoutait que d’une oreille Quercer & Janath, qui discutaient des instruments, capteurs, commandes et armes du vaisseau voehn.

— Oui, oui, bien sûr, mais c’est une arme défensive ! Jette plutôt un œil à ces missiles faucheurs d’ondes de choc ! Et ça marche pour toutes les fréquences ! Merde, ça fout sur le cul, non ?

— Peut-être, mais tu as vu ce blindage tressé ? À peine un centimètre d’épaisseur, mais des dizaines de kilomètres de fibres, qui absorbent l’énergie et l’assimilent pour recharger les batteries principales. La grande classe, quoi…

Ils étaient sur le pont du vaisseau, une bulle allongée située au centre de l’appareil. Les dix fauteuils adaptés à la morphologie des Voehns formaient un V. Quercer & Janath avaient pris place dans le siège du commandant, face à un moniteur géant qui affichait une vue de l’espace environnant, au centre duquel tournoyait lentement le Velpin. Fassin et Y’sul flottaient au-dessus de deux fauteuils situés juste derrière celui des IA. Les sièges étaient trop petits pour l’humain et beaucoup trop petits pour les Habitants. Ils s’ouvraient comme des mains entrelacées et étaient supposés se refermer sur les Voehns pour les protéger. Les Habitants pouvaient à peu près s’y installer lorsqu’ils étaient complètement ouverts. Le pont lui-même était exigu, ce qui ne semblait aucunement déranger Quercer & Janath. Quant à Fassin, il trouvait que les fauteuils avaient des airs de cage à oiseaux, voire de cage thoracique, aussi avait-il l’impression de flotter à l’intérieur d’un squelette de dinosaure.

— On peut essayer les armes sur quelque chose ?

Y’sul marmonnait dans son coin et s’occupait de sa carapace endommagée, arrachait les bouts de ses disques qui pendillaient, ponçait sa cuirasse avec une lime de fortune.

— Pourquoi ne pas faire sauter le Velpin ?

— Il y a plein de gens à bord !

Il était persuadé de pouvoir trouver quelque chose. Il en était venu à croire qu’il y avait bel et bien quelque chose à découvrir.

— Il y a plein de Voehns à bord.

— Et alors, ce ne sont pas des gens, peut-être ? Et puis, c’est quand même notre ancien vaisseau.

Quelque chose d’autre que le cadavre d’un vieux poltron d’Habitant, honteux d’avoir regardé dans une petite boîte – et terrorisé par les conséquences potentielles de son acte – au point de préférer se tuer ; vaniteux au point d’enregistrer un film pour célébrer son narcissisme idiot.

À l’extérieur, le Velpin tournoyait sur lui-même, à la dérive. Leurs capitaines – Habitants, IA ou quelle que fût leur nature – avaient persuadé les Voehns d’abandonner leur navire en relançant le processus d’autodestruction et en laissant le compte à rebours s’égrener jusqu’au dernier moment. La plupart d’entre eux, certains que le vaisseau allait exploser, avaient préféré se réfugier à bord du Velpin. Ceux qui ne l’avaient pas fait – une douzaine d’individus – avaient été tués par Quercer & Janath.

— Tu es trop sentimental.

En fait, toute vantardise mise à part, ils – ces choses – en avaient massacré exactement onze.

— Je sais, je sais ! Demandons plutôt aux Ythyns si on ne pourrait pas détruire quelques-unes de leurs épaves. Il y en a des milliers tout autour du vaisseau sépulcral, alors une ou deux de moins… En plus, ces rayons s’atténuent aussitôt ; on pourrait presque les utiliser sans qu’ils remarquent quoi que ce soit.

Onze Voehns. En claquant des doigts. Onze combattants des forces spéciales lourdement armés et protégés. Sans avoir à déplorer la moindre blessure.

— Pas le temps. Messieurs Y’sul et Taak voudraient retourner dans le système Ulubis.

Il entendit son nom de famille. Oui, il s’agissait de ce Fassin Taak, de ce bon à rien envoyé en mission pour sauver le monde civilisé, de ce type parti poursuivre une quête et revenu avec des clopinettes.

— Si cela se trouve, les Voehns vont réussir à faire fonctionner le Velpin et vont vouloir s’en servir pour nous éperonner ou quelque chose comme ça. Je suis d’accord, il faut partir.

Retourner à Ulubis ? Pourquoi ? Il avait échoué. Des jours, des mois s’étaient écoulés depuis son départ. L’invasion avait probablement déjà eu lieu ou ne tarderait pas à se dérouler. Le temps de rentrer – les mains vides –, après quelques dizaines de jours passés à rallier le trou de ver du système Direaliete, et tout serait sans doute terminé. Il était un orphelin enfermé dans un appareil minuscule, sans aucun rôle à jouer ni rien à offrir.

Pourquoi ne pas rester auprès des Ythyns, pourquoi ne pas mourir et se laisser accrocher au mur à côté de l’autre imbécile ? Pourquoi ne pas disparaître quelque part, n’importe où, se perdre au milieu des étoiles, de nulle part, ou d’un endroit complètement différent, oublié, où personne ne le retrouverait jamais ? Pourquoi pas, en effet ?