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— Arrête un peu, Taince, l’interrompit-il en prenant un air outré. Putain, merde, je veux dire…, bafouilla-t-il en désignant son sac à dos, exaspéré. C’est pas vrai ! Si je n’avais pas fait en sorte que la navette soit équipée correctement avant de partir, tu m’aurais sauté à la gorge ! Heureusement, j’avais pensé à tout.

Taince le regarda longuement, silencieuse, sans laisser transparaître la moindre émotion.

— Fais attention à toi, finit-elle par dire.

Sal se détendit et acquiesça de la tête.

— Toi aussi. À bientôt, ajouta-t-il en échangeant un regard avec le reste de la bande. Je ne vous oublierai jamais !

Il leur fit un signe de la main et commença à s’éloigner.

— Eh ! Attends une seconde, appela Ilen.

Sal se retourna. Ilen prit son sac dans la navette.

— Je viens avec toi.

Fassin écarquilla les yeux, horrifié.

— Quoi ? demanda-t-il d’une voix faible de petit garçon, que personne n’entendit. Heureusement, d’ailleurs. Taince, elle, ne dit rien. Sal souriait.

— Tu es sûre ?

— Si cela ne te dérange pas, répondit la jeune femme.

— Pas de problème, fit-il d’un ton posé.

— Tu es certain que cela ne te dérange pas ?

— Mais oui, je t’assure.

— De toute façon, c’est dangereux d’explorer des terrains incertains quand on est seul, pas vrai ? demanda Ilen en regardant Taince, qui hocha la tête. Bon, prenez soin de vous.

Ilen embrassa Fassin sur la joue, fit un clin d’œil à Taince et emboîta le pas de Sal. Ils leur firent signe une dernière fois et s’éloignèrent. Fassin regarda leurs empreintes de pas en mode infrarouge. Chaque foulée semblait effacer la précédente. Elles disparaissaient si vite…

— Je ne comprendrai jamais cette fille, commenta Taince d’une voix neutre en croisant le regard de Fassin. Je te suggère de piquer un somme, reprit-elle en désignant la navette du menton.

Elle serra son nez entre son pouce et son index, puis inspecta ses doigts.

— Je te réveillerai avant de retourner vers notre point d’entrée pour tenter de capter un signal.

* * *

Un bouton de senteur s’ouvrit dans la pièce sombre qui, quelques instants plus tard, s’emplit d’un parfum d’orchidia noctisia, une odeur de synthèse qu’il associerait toujours à la Maison d’Automne. Il y avait très peu de mouvements d’air dans la salle, aussi le bouton devait-il flotter tout près de lui. Il souleva légèrement la tête et avisa une forme minuscule, pareille à une fleur en tissu translucide, suspendue dans les airs entre le lit et la desserte qui venait de leur apporter leur souper. Il reposa sa tête sur l’épaule de Jaal.

— Mmm ? fit-elle, somnolente.

— Tu as rencontré des amis en ville ? demanda Fassin en enroulant une mèche de cheveux dorés autour de son doigt et en humant le parfum de sa nuque brune.

Elle remua les hanches d’une manière appétissante et se colla contre lui. Il s’était retiré d’elle depuis quelque temps déjà, mais le souvenir de ce contact délicieux ne s’était pas encore estompé.

— Ree, Grey et Sa, répondit-elle mollement. On a fait du shopping. Après, on a retrouvé Djen et Sohn. Et Dayd, Dayd Eslaus. Oh, et Yoaz. Tu te souviens de Yoaz Irmin ?

Il lui mordit le cou. Elle tressaillit et couina.

— C’était il y a très longtemps, dit-il.

Elle lui caressa le flanc et les fesses.

— Je suis sûre qu’elle se souvient très, très bien de toi.

— Tu m’étonnes !

Cela lui valut une petite tape. Elle refit son fameux mouvement de hanches et se colla davantage contre lui. Fassin se demanda s’ils auraient le temps de faire l’amour une dernière fois avant qu’il parte.

Elle se retourna pour lui faire face. Jaal Tonderon avait le visage rond, large et tout juste beau. Depuis deux mille ans, les aHumains avaient plus ou moins le visage qu’ils souhaitaient. L’on sortait de la cuve avec les traits avenants qu’on avait choisis ou bien avec une face naturellement jolie. Ceux qui se complaisaient dans la laideur étaient des rebelles qui souhaitaient faire passer un message.

En cet Âge où tout un chacun pouvait être magnifique et/ou ressembler à un personnage historique (des lois interdisaient de copier trop précisément les traits des personnes encore vivantes), les visages et les corps réellement intéressants étaient ceux qui naviguaient à la limite du quelconque, voire de la laideur, tout en restant attirants. Les gens parlaient de visages à la chair agréable mais à l’extérieur ordinaire, de personnes ressemblant à de magnifiques tableaux réalistes et à des images vidéo ratées, de faces qui ne révélaient leur beauté que lorsqu’elles étaient animées ou bien réveillées par un sourire.

Jaal était née avec un visage – elle le disait elle-même – au rabais : peu harmonieux, patchwork de morceaux incompatibles. Toutefois, ceux qui la rencontraient pour la première fois ne pouvaient s’empêcher de la trouver terriblement attirante, grâce à une alchimie mystérieuse, au mariage heureux de sa physionomie, de sa personnalité et de ses expressions. Fassin, pour sa part, pensait que le visage de Jaal méritait encore de vieillir, que la jeune femme deviendrait encore plus belle d’ici à quelques années. C’était une des raisons pour lesquelles il l’avait demandée en mariage.

Ce mariage serait un succès, Fassin en était persuadé. Il promettait de durer pendant de longues années. Épouser une femme issue de la même caste que lui – héritière d’un des Septs les plus importants – aurait forcément des conséquences politiques – positives, en l’occurrence –, aussi était-il prudent et indispensable de tenir compte de cette longévité probable à l’avance.

Évidemment, l’avenir commun du Voyant Lent Fassin et de Jaal serait absolument – et non pas relativement – plus long que celui de leurs contemporains. Radicalement différent, aussi. Dans le temps ralenti des longues fouilles, les Voyants vieillissaient très lentement, et les quatorze siècles d’oncle Slovius (qui, fort heureusement, n’avait pas encore trépassé), devraient être relativement faciles à dépasser. Les époux seraient forcés de planifier leurs vies lentes et normales respectives, afin de ne pas se désynchroniser, émotionnellement parlant. La vieille tutrice de Fassin, Tchayan Olmey, avait justement connu ce genre de déconvenue, perdant à jamais son amour de jeunesse.

— Quelque chose ne va pas ? lui demanda Jaal.

— C’est juste cette histoire d’entrevue, répondit-il en jetant un coup d’œil à l’antique horloge, de l’autre côté de la pièce.

— À qui dois-tu parler ?

— Aucune idée.

Il lui avait vaguement parlé de son rendez-vous lorsque sa navette suborb s’était posée dans la vallée, où se trouvait l’astroport de la Maison. Mais la jeune femme était tellement occupée à lui faire part des derniers potins de la capitale – en particulier le scandale de la relation entre tante Feem et un jeune homme du Sept Khustrial – qu’elle n’avait pas pensé à lui demander des détails. Ensuite, elle s’était douchée, ils avaient mangé et s’étaient occupés d’affaires plus urgentes.

— Tu ne sais pas ? demanda-t-elle en plissant le front et en se tournant complètement vers lui, plaquant un sein chocolat contre son torse brun.

Décidément, se dit-il pour la énième fois, cette aréole plus pâle que la mamelle qui l’entourait lui faisait vraiment de l’effet.

— Oh, Fass, commença Jaal, d’un ton ennuyé. Ne me dis pas que c’est une fille ! Une domestique ? Dire que nous ne sommes même pas mariés !