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Inesiji avait assisté à la scène du sommet du palais, caché derrière le poste de contrôle d’un canon à impulsions, dissimulé par un filet de camouflage, à plusieurs centaines de mètres du nuage de débris. Les humains et les Whules qui étaient là-haut avec lui – ses camarades – gisaient autour des trois pieds de l’arme. Les envahisseurs avaient attaqué avec des canons à neutrons, des rayons, des bombes, exterminant presque tout ce qui vivait dans le voisinage. Les Jajuejeins étaient moins faciles à tuer. Enfin, cela prenait un peu plus de temps. Inesiji souffrait et sentait son corps qui s’ankylosait, mais il tiendrait comme cela pendant plusieurs jours.

Les Affamés voulaient s’emparer du palais intact, d’où les armes utilisées. Pour cela, pour accomplir cet acte hautement symbolique, ils ne pourraient faire autrement que d’envoyer des soldats au sol, où ils seraient plus vulnérables, où il serait peut-être possible de leur infliger quelques pertes. Question d’honneur.

Lorsque les premières plates-formes automatisées étaient apparues en bourdonnant, le lieutenant les avait ignorées. Un drone l’avait survolé en hésitant, puis s’en était allé. Ses sens n’étaient pas calibrés pour détecter un Jajuejein. Inesiji tint bon, resta parfaitement immobile, même lorsque les premières navettes atterrirent sur la place jonchée de gravats et de cadavres. Quatre, cinq, six machines se posèrent et vomirent des soldats lourdement armés et protégés. Certains étaient même enserrés dans un énorme exosquelette.

Lorsqu’un appareil plus grand et à l’allure plus majestueuse fit son apparition derrière la première vague d’engins, Inesiji monta la puissance de son canon au maximum, débrancha les tampons de sécurité, appuya sur la détente et déversa son feu sur la navette de commandement puis sur les transports de troupes plus petits, avant d’enclencher le bouton de tir automatique et de s’enfuir dans une longue galerie incurvée avec une simple arme de poing. Quelques secondes plus tard, l’ennemi riposta, découpa un trou de vingt mètres de diamètre dans la bâtisse sphérique. Il voyait le trou de là où il était, en bas, parmi les débris de la grande colonne atmosphérique, qui avait cessé de fumer depuis peu. Les heures passèrent. Il tua une dizaine de soldats, détruisit deux navettes, tirant puis se hâtant de changer de position. Leur problème, c’était qu’ils étaient persuadés d’être à la recherche d’un humain. Un Jajuejein sans uniforme ou autres vêtements qui se fondait au milieu des gravats ne correspondait pas à l’image qu’ils se faisaient d’un soldat. De fait, il ressemblait à un bouquet de brindilles métalliques, à un rouleau de câble électrique emmêlé. Un commando avait perdu la vie en foulant ces câbles pour récupérer une arme qui paraissait abandonnée au milieu des débris. Comme un être vivant, l’arme s’était animée, élevée dans les airs pour lui tirer en pleine tête.

Inesiji allait de plus en plus mal. Les effets des radiations commençaient à se faire cruellement sentir. Il s’ankylosait pour de bon. La nuit était en train de tomber, et il ne pensait pas revoir la lumière du jour. De la fumée s’élevait au-dessus de la ville. Il y avait des éclairs dans le ciel et au niveau du sol. Des coups de feu et des explosions retentissaient à intervalles réguliers, mais sonnaient creux, car la ville était déserte, vide.

Il entendit les pas lourds d’un exosquelette juste au-dessus du bord du cratère dans lequel il était étendu. Le soldat se rapprochait toujours plus.

Il se retourna une dernière fois vers le trou pratiqué dans la paroi du palais sphérique inondé d’une lumière rosâtre. Il se hissa légèrement pour voir où était cet exosquelette et mourut, découpé en morceaux par un feu nourri de lasers provenant d’une plate-forme située cent mètres au-dessus de lui.

* * *

L’énorme vaisseau scintillant habillé d’or et de platine faisait un demi-kilomètre de diamètre. C’était une version mobile et légèrement plus petite du palais du Hierchon. Il s’enfonça lentement dans les couches nuageuses supérieures comme une graine géante et brillante. Les minuscules flèches aiguës qui formaient son escorte tournoyaient autour de lui, s’éloignaient et se rapprochaient comme une nuée d’insectes.

Un engin semblable à un cuirassé argenté émergea des couches atmosphériques inférieures à un kilomètre de là, puis stabilisa son altitude. Lentement, le vaisseau géant ralentit sa descente et s’arrêta au niveau du cuirassé, qui demanda à l’intrus de s’identifier.

L’équipage du navire nasquéronien entendit une voix puissante et manifestement synthétisée répondre :

— Je suis le Hierchon Ormilla, dirigeant de la Mercatoria d’Ulubis et chef du Gouvernement mercatorial en exil. Ceci est mon vaisseau, le chaland Creumel. Ma famille, mon équipe et moi cherchons asile.

— Bienvenue sur Nasqueron, Hierchon Ormilla.

* * *

— Comment te traitent-ils, Sal ?

Liss était venue rendre visite à Saluus dans sa cellule profondément enfouie dans les entrailles du Luseferous VII. Une membrane transparente, fine et extrêmement solide, accrochée à l’encadrement de la porte, la précéda dans la petite pièce. Assis à un bureau moulé dans la paroi, Sal était occupé à lire sur un moniteur.

— Ils me traitent assez bien, répondit-il.

À cause de la membrane, sa voix était comme étouffée, étrangement lointaine. Il se leva.

— Et toi ?

— Moi ? Je suis une héroïne, Sal. Qu’est-ce que tu regardes ? demanda-t-elle en désignant le moniteur du menton.

— Je lis l’histoire glorieuse du Culte des Affamés et de leur illustre leader, l’Archimandrite Luseferous.

— Ah !…

— Liss, dis-moi que tout n’était pas prévu depuis le départ.

— Tout n’était pas prévu, Saluus.

— Tu t’appelles réellement Liss ?

— Quelle importance ?

— Ce n’était pas planifié, n’est-ce pas ? Je veux dire, mon enlèvement ?

— Bien sûr que non, dit Liss en s’affalant sur une chaise moulée, près de la porte. L’inspiration m’est venue comme cela, sur le moment.

Sal lui laissa le temps de développer, mais elle n’ajouta rien de plus. Elle se contenta de le regarder sans rien dire.

— Je t’ai donné l’idée moi-même, pas vrai ? reprit Sal. Je t’ai dit que Thovin m’avait accusé à mots couverts de me préparer à fuir.

— Pendant longtemps, je me suis demandé comment t’utiliser. Et puis, finalement, j’ai pris une décision de dernière minute. Nous étions là, le vaisseau était prêt, je savais que tu étais capable de le piloter, que ce n’était pas très difficile, expliqua-t-elle en haussant les épaules. Ils auraient fini par le réquisitionner et par l’équiper d’une tête nucléaire pour en faire un missile.

— Tu n’as vraiment rien trouvé de mieux, comme idée ?

— Nous aurions peut-être pu en faire davantage, mais j’en doute. Je savais que ta disparition serait déstabilisante, que la rumeur de ta trahison se propagerait vite et que le moral de la population en souffrirait grandement. Voilà, j’ai réussi mon coup.

— C’était très opportuniste de ta part.