Выбрать главу

Le Hierchon Ormilla était en exil sur Nasqueron. Le nouveau patron, le type qui se faisait appeler l’Archimandrite Luseferous, voulait qu’il se rende. Le Hierchon refusait de coopérer. Luseferous ne voulait pas se mettre les Habitants à dos, ce qui l’empêchait d’attaquer Nasqueron – apparemment, et aussi surprenant que cela puisse paraître, les Habitants, excentriques, chaotiques, erratiques et technologiquement incultes, étaient en mesure de se défendre. La situation était donc bloquée. Luseferous ne pouvait pas entrer, et Ormilla refusait de sortir.

L’Archimandrite avait donc menacé de détruire une ville ou un Habitat par jour si le Hierchon persistait à ne pas coopérer avec les forces occupantes. Ensuite, le rythme passerait à une colonie toutes les heures.

Selon une rumeur persistante, Afynseise, une petite ville côtière de Poroforo, sur Sepekte, avait été balayée la veille. Cependant, l’Habitat était complètement isolé depuis déjà trois jours, et il n’y avait aucun moyen de la vérifier.

L’Hab 4409 comptait environ quatre-vingt mille habitants, ce qui en faisait une colonie de taille relativement modeste. Il était néanmoins second sur la liste des centres de population otages, et l’ultimatum expirait dans deux minutes seulement. Après un communiqué laconique et plein de défi envoyé dans l’après-midi, Ormilla avait observé un silence radio total. Un navire de guerre ennemi stationnait dans les parages depuis deux jours, date à laquelle l’Archimandrite avait lancé son ultimatum. Depuis, rien ni personne n’avait été autorisé à quitter ou à approcher la colonie. Quelques appareils avaient tenté leur chance et avaient été détruits. D’aucuns avaient demandé l’autorisation d’évacuer les enfants, les malades, les représentants de l’autorité prêts à collaborer. En vain. Il avait même été annoncé que les combinaisons spatiales et autres petits appareils individuels qui pourraient survivre à la destruction de l’astéroïde seraient systématiquement pris pour cibles.

Personne ne doutait de la détermination de l’Archimandrite ; peu nombreux étaient ceux qui croyaient encore que le Hierchon se soumettrait si facilement.

Thay lâcha les mains qu’elle était en train de serrer – fleur aux pétales jeunes mais déjà flétris – et se courba tant bien que mal pour retirer ses chaussures, qu’elle envoya au loin, avant de joindre à nouveau ses mains à celles de ces gens. L’herbe était agréablement humide sous ses pieds.

De nombreuses personnes chantaient, pour la plupart calmement et à voix basse.

Beaucoup de chansons différentes.

Certains pleuraient, sanglotaient, geignaient ou criaient. Mais ceux-là étaient loin d’elle.

Il en était même un pour compter à rebours les secondes qui les séparaient de minuit.

Minuit sonna enfin. Un énorme puits de lumière aveuglante transperça le centre de l’Hab, à cinquante mètres à peine de l’endroit où se tenait Thay, qui dut lâcher les mains de ses compagnons pour se protéger les yeux, comme eux tous. Une rafale brûlante la fit tomber par terre, rouler sur le sol en même temps que des centaines d’autres personnes. Le faisceau se divisa alors en deux et entreprit de découper l’Habitat dans le sens de la longueur, faisant exploser immeubles et nids d’habitation. Les deux moitiés de ce monde artificiel se séparèrent doucement du fait de la pression de l’air, comme l’atmosphère contenue à l’intérieur s’échappait dans le vide en tourbillonnant, en emportant dans son sillage débris et êtres humains, en écartant toujours plus les deux moitiés.

Thay Hohuel fut soulevée par une tornade au-dessus du gazon, qui lui-même commençait à se décoller et à se gondoler ; elle s’envola vers la brèche toujours plus grande. Durant les quelques secondes que dura son vol, elle s’entendit hurler, comme l’air contenu dans ses poumons était siphonné par le vide et les ténèbres. Ce fut un hurlement haut perché, puissant et sauvage, bien plus impressionnant que ce qu’elle aurait pu produire par la seule force de ses muscles. Un horrible chœur de douleur, de choc et de peur jaillit de sa bouche et de celle de ses compagnons d’infortune. Ils mouraient tous ensemble. Leurs hurlements ne se turent que lorsque le vide eut fini d’aspirer l’air de ses oreilles.

Un vortex de cadavres s’éleva lentement de l’Habitat dévasté, tourbillonna, se tordit, se scinda bientôt en deux courants distincts en forme de virgules, comme s’il s’agissait d’une sorte de ballet galactique savamment chorégraphié.

Les forces occupantes se chargèrent d’envoyer les images du carnage aux quatre coins du système.

Le Hierchon se rendit le lendemain.

* * *

L’Archimandrite Luseferous se tenait dans le nez de son navire amiral Luseferous VII, face à la vue imposante de la planète Sepekte et de son halo poussiéreux d’Habitats, d’usines orbitales et autres satellites très rarement éclairés. La pointe de son navire, sphère de plus de cent mètres de diamètre à la transparence absolue, était entièrement constituée d’une fine pellicule de diamant soutenue par des étrésillons épais comme des doigts. L’Archimandrite aimait venir ici tout seul lorsqu’il était d’humeur contemplative. Dans ces moments-là, il sentait la coque massive du Luseferous VII dans son dos, ses kilomètres et ses mégatonnes, son labyrinthe de docks, de tunnels, de salles, de halls, de casernements, d’entrepôts, de tourelles et de silos. Il serait vraiment dommage de le détruire.

Les stratèges et les tacticiens n’aimaient guère ce que laissait deviner la signature des réacteurs de la Grande Flotte. Il semblait y avoir de nombreux vaisseaux de grande taille, dont les premiers pourraient très bien arriver d’ici à quelques semaines, et non pas plusieurs mois – voire une année –, comme ils l’avaient espéré. Le Luseferous VII, en dépit de sa magnificence, constituait une cible de choix difficile à manquer. La meilleure stratégie consistait à utiliser le colossal navire comme un appât, à faire croire à l’ennemi qu’ils étaient déterminés à le défendre jusqu’au dernier vaisseau, alors qu’en fait ils étaient parfaitement disposés à le sacrifier pour que leur piège fonctionne. Attirer un maximum de vaisseaux mercatoriaux et tout faire exploser, y compris le Luseferous VII, malheureusement.

L’amiral qui avait probablement été tiré à la courte paille pour présenter les grandes lignes de ce plan à l’Archimandrite s’était présenté à lui tout penaud, l’air malade. Il craignait probablement que le commandant en chef de la flotte n’entre dans une colère noire. Luseferous, toutefois, avait déjà eu vent de cette idée – grâce à Tuhler, une fois de plus – et en était venu à se dire qu’il vaudrait certainement mieux accomplir ce sacrifice plutôt que de mettre en péril toute la mission. Il avait donc hoché la tête et dit à l’officier que toutes les idées étaient les bienvenues. Celui-ci était reparti soulagé. Les autres, consternés, regrettaient à présent de n’y être pas allés eux-mêmes.

Ils essaieraient d’imaginer d’autres plans, moins radicaux, mais personne n’était très optimiste à ce sujet. Toujours faire ce que l’ennemi n’attend pas de vous. Tuer vos bébés. Ce genre de chose. C’était d’une logique implacable.

Et puis, il pourrait toujours faire construire un autre vaisseau amiral. Ce n’était qu’une machine, après tout. Seuls les résultats comptaient. Il n’était plus un enfant. Il n’était pas attaché à ce point au Luseferous VII.