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— Non, répondit Fassin, pas du tout.

— Ah ! Bien. Ces deux derniers siècles et demi, reprit l’homme, nous étions principalement occupés à chercher des informations concernant la Liste des Habitants.

Le singe aux membres démesurés éclata de rire, mais le vieillard fit comme si de rien n’était.

— Nous avons passé énormément de temps autour du système Zateki à étudier la théorie du Second Vaisseau. Diverses missions secondaires ou tertiaires ont résulté d’informations glanées à cette occasion. Toutefois, aucune ne nous a permis de découvrir quoi que ce soit au sujet de la Liste, du Second Vaisseau ou de cette prétendue Équation. Tout juste nous ont-elles amenés à poursuivre et détruire deux IA. Il y a cinq mois de cela, nous avons quitté Rijom pour le système Direaliete, d’où nous avons entrepris d’intercepter le vaisseau sépulcral. On ne m’a pas expliqué les raisons de cette manœuvre. Seul le commandant Iniacah était au courant, et ses ordres lui sont parvenus sans passer par mes systèmes.

— Avez-vous trouvé quelque chose de nouveau à propos de la Liste et de l’Équation ? demanda Fassin.

— Je pense que la seule chose que nous ayons réellement découverte – je veux dire, sans ajouter une rumeur de plus à la marée d’inepties qui existe déjà à ce sujet –, c’est que les portails dorment, cachés, dans les ceintures de Kuiper ou les nuages d’Oort des systèmes concernés, en attente d’un signal radio – ou autre – codé. Ce serait effectivement la réelle nature de l’Équation : un signal, accompagné d’une fréquence et du médium capable de la capter. C’était logique, puisque les points de Lagrange et autres endroits proches des planètes susceptibles d’abriter un portail étaient faciles à explorer, à passer au peigne fin. Mais dites-moi, commença le vieillard en se tournant vers Fassin, le sourcil haussé, vous ne seriez pas un de ces aventuriers obsédés par la Liste, par hasard ?

— Je l’étais, admit Fassin.

— Ah ! s’exclama le vieil homme, l’air satisfait. Et vous n’êtes pas mort ?

— Non, je ne suis pas mort, même si, pour le moment, j’ai renoncé à chercher.

— Et vous, que faisiez-vous à bord du Rovruetz ?

— J’avais un indice, une piste. Du moins était-ce ce que je croyais. Malheureusement, la créature qui était supposée me révéler la vérité s’est donné la mort après avoir détruit les preuves.

— Pas de chance.

— Effectivement.

Le vieillard leva les yeux vers le ciel bleu bronze immaculé. Fassin suivit son regard, et, pendant ce temps, l’homme disparut.

Il y avait un truc. Enfermé dans son gazonef, plaqué dans le fond de son siège par l’accélération, les yeux rivés sur un moniteur constellé de parasites – vue ennuyeuse s’il en était –, Fassin était conscient que quelque chose lui échappait.

Quelque chose le narguait, le taquinait, le chatouillait, lui apparaissait à moitié lorsqu’il était distrait ou rêveur, mais se faufilait entre ses doigts pour s’échapper lorsqu’il essayait de s’en saisir.

Il ne dormait pas beaucoup – deux ou trois heures par jour, tout au plus –, mais lorsqu’il s’assoupissait, il rêvait tout le temps, un peu comme si son subconscient palliait le manque de sommeil en comblant son cerveau de songes et d’images à la moindre occasion. Par exemple, il se vit debout dans un ruisseau, au milieu d’un grand jardin, près d’une grande maison qu’il ne voyait pas. Il avait le pantalon retroussé et tentait d’attraper des poissons à main nue. Ces poissons étaient ses rêves, bien qu’il fût également conscient du caractère onirique de la situation elle-même. Lorsqu’il essayait d’en attraper – sous la forme de minuscules créatures allongées, semblables à des gouttes de mercure rassemblées autour de ses jambes –, ils disparaissaient d’un seul coup. Soudain, il se redressa et constata que le ruisseau coulait au milieu d’un vaste amphithéâtre empli de gens qui le dévisageaient.

Au point de transition, lorsque le Protreptic cessa d’accélérer, fit un demi-tonneau et pointa le nez dans la direction de son point d’arrivée pour commencer à décélérer, Quercer & Janath prirent le temps de vérifier qu’Y’sul se remettait convenablement de ses blessures.

Fassin en profita pour explorer davantage le vaisseau des Voehns, guidant son petit gazonef dans les tubes d’accès étroits, fouillant les quartiers de l’équipage, les salles de stockage et autres hangars. Les caméras de surveillance du navire ne le lâchaient pas d’une semelle. Quercer & Janath avaient toujours la possibilité de l’avoir à l’œil tout en faisant autre chose.

Il trouva ce qu’il supposa être les appartements du commandant, à savoir un ensemble de deux cabines situé juste derrière le pont. C’était en tout cas l’espace privatif le plus vaste de tout le navire. On y trouvait une version un peu plus confortable du fauteuil présent partout ailleurs, des genres de tapisseries sur les parois et des motifs imitant un tapis au sol. Il s’agissait soit d’une projection, soit d’un film extrêmement fin – Fassin n’en était pas certain. Il n’y avait pas non plus de décorations, juste des hologrammes. Il avait entendu dire que la plupart des vaisseaux de guerre étaient ainsi faits. Cela présentait le double avantage de ne pas peser lourd et de ne pouvoir ni s’envoler, ni se décrocher lors des manœuvres délicates.

Il flotta devant un tapis orné d’un texte manuscrit plein de minuscules caractères entremêlés. Il chercha dans la mémoire de son appareil, mais ne trouva aucune trace du langage employé. Il se demanda ce que le texte pouvait bien raconter. Il enregistra l’image. Quercer & Janath l’effaceraient probablement lorsqu’ils traverseraient le portail, mais ce n’était pas grave.

Quand il rencontra à nouveau le vaisseau, la rive opposée était dominée par un mur massif et noir, très haut et interminable, surmonté par des créneaux et des tourelles de canon. Du quart supérieur de l’ouvrage jaillissaient également une multitude d’armes, disposées à intervalles irréguliers, qui lui donnaient des airs d’antique navire de guerre. Sauf qu’il n’y avait jamais eu de bateau si long, dont les extrémités se perdaient à l’horizon. Les canons n’étaient pas statiques. Au contraire, ils bougeaient en rythme, dessinaient des vagues, donnaient au mur des airs de trirème mal conçue, aux rames inefficaces, ou de mille-pattes titanesque renversé sur le dos.

Le singe était assis à proximité, comme à son habitude. Il avait un bouclier, cette fois, tout neuf et poli. Il l’examinait sous toutes les coutures, frottait des taches imaginaires. Parfois, il le soulevait pour capter la lumière du soleil, ou encore pour se regarder dedans.

— Un texte ? demanda le vieillard. Sur le sol ? Non, je suis désolé, je n’ai aucun souvenir de ce détail. Si le vaisseau existait toujours, si j’étais toujours en mesure d’y accéder…

Il paraissait triste. Fassin regarda le singe du coin de l’œil, mais celui-ci leva les yeux au ciel et se mit à siffler tant bien que mal.

— Je pourrais peut-être vous faire parvenir une image, proposa Fassin.

— Vous en avez une ? Vous êtes monté à bord du vaisseau ? demanda l’homme, surpris.

Fassin remonta l’escalier qui conduisait au monde réel, fit plusieurs aller et retour, et fut bientôt en mesure de montrer à l’homme l’image qu’il avait prise. Le singe roux la fit apparaître sur son bouclier retourné.

— Ah ! ça ? fit le vieillard en caressant sa barbe grise. Cela appartenait au commandant. Il l’avait déjà à l’époque lointaine où il dirigeait un navire plus petit. C’est la traduction en langue sacrée d’un récit relatant la fin d’une abomination, d’une IA, il me semble.