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— Que dit ce texte, exactement ? demanda Fassin.

— Il dit : « Je suis né sur une lune d’eau. D’aucuns, en particulier ses habitants, en parlaient comme d’une planète, mais ses dimensions – à peine deux cents kilomètres de diamètre – étaient davantage celles d’une lune. C’était un astre entièrement constitué d’eau ; c’est-à-dire qu’on n’y trouvait ni terre ferme, ni roche, ni noyau solide. Juste de l’eau liquide.

» Si elle avait été beaucoup plus grosse, ma lune natale aurait eu un noyau de glace, car l’eau, en principe incompressible, se change en glace lorsqu’elle est soumise à de fortes pressions. (Cela peut paraître bizarre à ceux qui vivent sur des planètes où la glace flotte, mais c’est pourtant vrai.) Comme elle n’était pas assez massive pour avoir un cœur de glace, il était possible – à condition d’être assez bien équipé pour résister à la pression – de s’enfoncer dans sa masse liquide pour atteindre son centre exact.

» Là, un phénomène étrange se produisait.

» Au cœur de ce globe constitué d’eau, il n’y avait plus de gravité. La pression était colossale, qui pesait de tous les côtés, mais le poids y était une notion inconnue (les planètes, lunes ou autres corps célestes, liquides ou non, attirent ce qui se trouve à leur surface ; mais dans leur cœur, les forces s’annulent). Eu égard au volume de cette goutte géante, la pression était proprement négligeable.

» Bien entendu, c’était »

» Voilà, le texte s’arrête là.

Fassin réfléchit longuement.

— Savez-vous d’où il vient ?

— Il était utilisé par une des IA pourchassées et anéanties par le commandant Iniacah. C’était une sorte de mantra destiné à effacer intégralement toute trace de sa mémoire. Nous avons découvert plus tard que l’anathématique en question était également à la recherche de l’Équation, ce qui a poussé notre commandant à s’intéresser de près à la question. C’est à lui que nous devons la traduction de ce mantra. Le texte était devenu une sorte de talisman pour lui. Toutefois, je pense qu’il le gardait aussi parce qu’il connaissait bien les IA. Il les savait suffisamment arrogantes pour lâcher sans le vouloir des informations fondamentales. Il s’imaginait donc que cette histoire pouvait contenir des données secrètes. Voilà pourquoi il souhaitait l’avoir constamment sous les yeux.

Dans son rêve, Fassin était avec Saluus Kehar sur un balcon surplombant une caldeira emplie de lave rouge et bouillonnante.

— Nous sommes supposés modifier un paquet d’appareils pour leur permettre d’évoluer au cœur d’une géante gazeuse et…

Il s’interrompit, se racla la gorge et agita la main.

— Merde ! reprit-il en prenant la forme d’un Habitant, sans toutefois grossir ni se départir de son visage humain.

Il s’éleva dans les airs et survola les vagues de lave.

— Des idioties, petit Fassin. J’ai confié l’original de la bête à un ami, à un confrère ami de Direaliete. Un ami, un confrère ami.

Fassin examina ses mains pour vérifier qu’il était toujours lui-même.

Lorsqu’il leva les yeux, Saluus n’était plus là, et la rivière dans laquelle il se tenait était flanquée de temples aux escaliers hauts comme les murs d’une prison.

— L’original de quoi ? s’entendit-il demander.

De l’autre côté du cours d’eau s’étirait une ville tout droit sortie de l’Âge du Grand Gâchis, avec ses immeubles de taille moyenne, sa fumée, ses trains électriques, ses routes à voies multiples encombrées de voitures et de camions. Ils durent hausser légèrement le ton pour se faire comprendre par-dessus le vacarme. Une odeur de brûlé, huileuse et sucrée, dérivait sur l’eau et venait dans leur direction.

Le singe roux se curait les dents à l’aide d’une épée géante.

— Une autre image ? dit l’homme.

Il était mince, presque maigre. Sa barbe était grisonnante.

— Voyons voir…

Sachant parfaitement ce qu’il faisait, Fassin lui montra une photo représentant un ciel jaune et des nuages bruns.

— Les couleurs ne sont manifestement pas authentiques, dit-il. Cela m’a sauté aux yeux.

— Oui, oui, il y a une image, je la vois.

— Je sais, mais…

— Des chiffres, un code.

À ce moment-là, l’épée géante du singe roux s’abattit sur le vieillard, le coupa en deux du cou à la taille. Le cadavre se répandit sur les marches, s’écoula jusqu’à la rivière, où il se dispersa sous la forme de minuscules créatures argentées.

Fassin leva les yeux vers le grand singe.

— Eh, ce n’était qu…

— Ne me prenez pas pour un imbécile ! siffla la créature en brandissant son énorme lame.

Fassin se réveilla en tremblant. Il était dans un cercueil – il venait de se cogner la tête contre son couvercle. Il voulut cligner des yeux, mais n’y parvint pas. Quelque chose les enveloppait, enveloppait son corps tout entier, emplissait son nez, sa bouche, son anus…

Du gel protecteur, du fluide respiratoire, le gazonef. Putain, mais calme-toi, se dit-il. Tu n’es quand même pas un débutant.

Le Protreptic, l’ancien vaisseau des Voehns en route pour Nasqueron, Ulubis, via le système Direaliete, sous le commandement des IA jumelles Quercer & Janath, pirates et spécialistes du combat rapproché contre les Voehns…

Ils continuaient de décélérer lentement et se dirigeaient toujours vers le système et son trou de ver caché.

Les détails du rêve étaient en train de lui échapper, tels des poissons qui s’éloignaient en ondulant. Et pourtant, il avait le sentiment d’avoir compris quelque chose. Mais quoi ?

C’était déstabilisant.

Quelque chose à propos de Saluus. Hatherence était-elle là aussi ? C’était bien la maison de Sal, sauf qu’elle était perchée sur un volcan. Et puis, il y avait eu l’environnement virtuel dans lequel il avait rencontré le vaisseau, qui avait examiné…

Recouvert de gel protecteur, enveloppé, entouré, trempé dedans, Fassin écarquilla les yeux et sentit ses poils se dresser sur sa peau. Son cœur se mit à battre de façon erratique dans sa poitrine.

* * *

Il pouvait le faire lui-même. Il n’avait qu’à attendre d’être rentré sur Nasqueron. Là, il n’aurait qu’à trouver quelqu’un – Valseir serait très certainement en mesure de le renseigner, mais il aurait beaucoup de mal à lui mettre la main dessus – et poser la question. Il devait absolument savoir.

Il avait confié l’image à la mémoire de son gazonef. Couché dans son petit appareil, enduit de gel protecteur, il sélectionna une icône et vit la photo apparaître et flotter devant lui. Ce ciel bleu et ces nuages blancs lui semblaient étranges, dérangeants, improbables et familiers à la fois, puisqu’ils le rendaient nostalgique et lui donnaient le mal du pays.

Il agrandit l’image au maximum au point de rendre apparents ses pixels, de la transformer en tableau abstrait. Il la scanna au cas où elle dissimulerait un motif secret, ne trouva rien, puis la passa au crible de différents programmes utilisés par le bio-ordinateur de son gazonef pour déceler des algorithmes dans des paquets de données aléatoires. La résolution de l’image était-elle suffisamment bonne ? Les données secrètes, si elles existaient, étaient-elles supposées être décodées de quelque manière que ce soit ?

Il aurait voulu pouvoir examiner l’original rangé dans un compartiment à l’extérieur du gazonef, mais ce serait impossible tant qu’il serait soumis à une pareille pression. Et puis, Quercer & Janath n’auraient pas manqué de remarquer son manège. Car les réponses à leurs interrogations pouvaient fort bien se trouver dans cette petite et anodine image. Peut-être. Depuis le début.