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Elle souriait. Il lui rendit son sourire.

— C’est une corvée à laquelle je ne peux pas échapper. Désolé.

— Tu ne sais vraiment pas ?

Elle bougea la tête, et ses cheveux blonds se déversèrent sur son épaule. Leurs caresses étaient à la hauteur de leur beauté.

— Vraiment.

Jaal fixait sa bouche avec intensité.

— Vraiment ?

Il se passa la langue sur les dents.

— Eh bien, je sais que ce n’est pas une fille, répondit-il comme elle continuait de regarder sa bouche. Bon, qu’est-ce que tu as à me regarder comme cela ? J’ai quelque chose dans la bouche ?

Elle rapprocha lentement ses lèvres des siennes.

— Non. Pas encore.

— Vous êtes Fassin Taak, Voyant du Sept Bantrabal, vous vivez sur ’glantine, lune de la géante gazeuse Nasqueron dans le système Ulubis ?

— Oui, c’est bien moi.

— Vous êtes physiquement présent et non pas un genre de projection ou de représentation ?

— Exact.

— Vous êtes toujours un Voyant Lent actif, vous vivez dans les Maisons saisonnières du Sept Bantrabal et travaillez sur la lune satellite Troisième Furie ?

— Oui, oui et oui.

— Bien. Fassin Taak, tout ce qui sera dit entre vous et cette construction mentale devra rester strictement confidentiel. De ce dialogue, vous ne révélerez que le strict minimum, que le contenu absolument nécessaire à l’accomplissement de la tâche qui vous sera confiée, à la réalisation des projets qu’on vous demandera de mettre en œuvre. Est-ce que vous avez bien compris, et est-ce que vous êtes d’accord ?

Fassin prit le temps de réfléchir. Pendant un instant, alors que la projection s’était mise à parler, il s’était dit que la boule lumineuse ressemblait à un être plasmatique (qu’il n’avait d’ailleurs jamais vu qu’en photos), et ce moment de distraction, cette courte absence l’avait empêché de saisir l’intégralité de ce qui venait d’être dit.

— En fait, non. Je suis désolé, je n’essaie pas d’être…

— Répétons…

Fassin se trouvait dans la salle d’audience principale de la Maison d’Automne, au dernier étage. Il s’agissait d’une vaste chambre au toit transparent particulièrement impressionnant, qui offrait une vision panoramique sur la vallée. Pour cette occasion spéciale, elle ne contenait qu’une chaise pour lui et un cylindre métallique courtaud, au-dessus duquel flottait une sphère de gaz lumineux. Un câble épais courait du tube jusqu’au centre de la pièce, où il disparaissait dans le sol.

La sphère répéta ce qu’elle venait de dire. Elle parla plus lentement cette fois, mais sans irritation aucune ni mépris. Sa voix était neutre, non accentuée, sans être dénuée de personnalité. Un peu comme si on avait pris pour modèle la voix d’un individu, et qu’on en avait effacé presque tous les particularismes et expressions.

Fassin l’écouta parler et dit :

— D’accord, oui, je comprends et j’approuve.

— Bien. Cette construction mentale de niveau supérieur est une projection de l’Administrate de la Mercatoria, niveau sous-ministériel, autorisée par l’Ascendance, la Division Technique et le navire Est-taun Zhiffir transporteur de portail. Elle est habilitée à paraître intelligente sans l’être réellement. Est-ce que vous comprenez ?

Fassin réfléchit quelques instants et décida que, oui, il comprenait. À peu près.

— Ouais, répondit-il en se demandant si la projection serait en mesure de comprendre son langage familier.

Apparemment, elle l’était.

— Bien. Voyant Fassin Taak, je vous affecte officiellement à l’Ocula de la Prévôté. Vous porterez le titre honorifique de…

— Attendez une minute ! s’exclama Fassin en sautant presque de son fauteuil. Qu’est-ce que vous venez de dire ?

— Vous porterez le titre honorifique de…

— Non, avant. Je suis affecté à quoi ?

— À l’Ocula de la Prévôté. Vous porterez le titre honorifique de…

— La Prévôté ? dit Fassin en luttant pour contrôler sa voix. L’Ocula ?

— Correct.

La structure baroque des hautes sphères du pouvoir de cet Âge inspiré par la Culmina était intentionnellement labyrinthique. Elle tenait compte des aspirations et des limitations forcées d’au moins huit espèces majeures, d’un grand nombre de races Voyageuses et de diverses civilisations moins avancées (mais pas moins importantes) aux ambitions extrêmement variées. Son influence, dans la galaxie, était considérable. L’évocation de ses organisations et institutions inspirait le respect, voire la peur – du moins chez ceux qui en avaient déjà entendu parler.

La Prévôté en était certes l’exemple le moins extrême. Les gens la respectaient – bien que son rôle n’intéressât pas grand monde –, mais la craignaient fort peu. C’était un ordre, un corps paramilitaire de techniciens et de théoriciens chargés de ce qui, autrefois, s’appelait la Technologie de l’Information et de ce qui restait de la science des Intelligences Artificielles.

La Guerre des Machines avait balayé la vaste majorité des IA plus de sept millénaires auparavant, et la paix inspirée par la Culmina – une paix plus ou moins imposée par la force – avait été construite par un régime qui choisit d’interdire toute recherche sur la technologie des IA et encouragea ses citoyens à traquer et à détruire les rares vestiges éparpillés des anciennes Intelligences Artificielles. Organisée comme une armée et assise sur des dogmes religieux, la Prévôté avait la responsabilité de la gestion, de l’administration et de la maintenance des systèmes TI. Ceux-ci, de toute façon, étaient loin d’être suffisamment complexes pour pouvoir évoluer en IA – que ce soit par accident ou non –, mais demeuraient d’une aide précieuse.

L’ordre, bien plus craint, des Purificateurs de la Cessoria avait été constitué pour chasser et détruire aussi bien les IA que ceux qui essayaient d’en construire, qui protégeaient, abritaient ou aidaient de quelque manière que ce soit celles qui existaient encore. Mais cela n’avait pas empêché la création, au sein même de la Prévôté, d’une section secrète – l’Ocula –, dont les prérogatives, méthodes et principes recouvraient de manière significative ceux des Purificateurs, section que, pour une raison qui lui échappait totalement, Fassin était supposé intégrer.

— L’Ocula ? dit-il. Moi ? Vous en êtes sûr ?

— Absolument.

D’un point de vue technique, il n’avait pas le choix. Pour être autorisés à exercer leur profession, les Voyants avaient dû être officiellement reconnus comme faisant partie du Diversariat, organisation qui regroupait celles des corporations utiles à la Mercatoria qui n’entraient pas dans les subdivisions standards existantes. Les Voyants devaient donc se soumettre à la discipline et au contrôle de la Mercatoria et étaient forcés d’exécuter les ordres émis par les personnalités de rangs supérieurs.

Toutefois, cela n’arrivait pour ainsi dire jamais. Fassin en était persuadé : aucun membre de son Sept n’avait eu à exécuter un ordre venu d’en haut en temps de paix. En tout cas, pas dans les deux mille dernières années. Alors, pourquoi maintenant ? Pourquoi lui ?

— Puis-je continuer ? demanda la boule flottante. Ce briefing est de la plus haute importance.

— Oui, bien sûr. Mais j’aurais des questions à vous poser.

— Dans la mesure du possible et du prudent, il sera répondu à toutes vos questions.

Fassin s’interrogeait. Était-il vraiment forcé d’accepter ? Que risquait-il s’il désobéissait ? La rétrogradation ? Le bannissement ? La porte ? Être considéré comme un hors-la-loi ? La mort ?