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Fassin les laissa s’amuser tout seuls et flotta jusqu’à la salle où avaient eu lieu leur interrogatoire et le combat subséquent. Il jeta un regard circulaire à la pièce, examina les fauteuils munis d’entraves, les cicatrices et les brûlures sur le sol, le plafond et les murs, mais fut incapable de se rappeler quoi que ce soit. Il se sentait frustré, déprimé, même. Il entreprit de faire demi-tour, de flotter jusqu’au pont. Toutefois, il s’arrêta en chemin, décidant de visiter les appartements du commandant.

Ceux-ci étaient meublés et décorés de façon spartiate. Fassin suspectait les visiteurs enthousiastes de Quaibrai d’avoir escamoté quelques souvenirs. Sur le mur, un carré plus sombre marquait l’emplacement d’un objet disparu. Le Protreptic fut légèrement secoué. Un cri lointain lui parvint depuis le pont, situé à deux portes ouvertes et un couloir de là. Fassin frissonna. Une sensation de déjà-vu le frappa, un sentiment étrange, l’impression d’être en train de nager.

Je suis né sur une lune d’eau, pensa-t-il, conscient de citer quelque chose ou quelqu’un, mais incapable de dire quoi ou qui.

Une nouvelle secousse ébranla le vaisseau. Des gloussements haut perchés résonnèrent sur le pont.

Zéro.

— Hé ! Fassin ! lui envoyèrent Quercer & Janath. Il y a un appel pour vous. On vous le transmet ?

— Qui est-ce ? demanda-t-il.

— Aucune idée.

— Une voix humaine et féminine. Attendez, nous allons nous renseigner.

Zéro, pensa Fassin. Zéro. Putain de réponse à la con.

— Elle dit s’appeler Aun Liss.

— Cela vous dit quelque chose ?

* * *

Le voltigeur Sheumerith, fine lame se découpant sur le ciel brun, n’abritait pas Valseir. Le Protreptic s’éloigna en frôlant de nouvelles Tiges Plongeantes et en promettant de revenir bientôt. Fassin pilota son gazonef entre des Habitants indifférents, suspendus sous le grand navire. Il cherchait un signe.

L’autre gazonef apparut enfin. Il était à deux mille mètres environ. Fassin fut repéré à son tour.

— Fassin ?

— Non, je suis une tête nucléaire. Et toi, qui es-tu ?

— Aun. Je vois que tu es armé.

Il avait pris une arme de poing dans un placard du vaisseau voehn, un arsenal épargné par les Habitants enthousiastes de Quaibrai. Quercer & Janath n’avaient rien trouvé à y redire. Au contraire, ils s’étaient même répandus en détails inutiles concernant les capacités et profils de toutes les armes disponibles, alors que lui cherchait juste quelque chose de robuste, simple et suffisamment puissant pour se défendre ou se tuer.

Au bout de son bras manipulateur valide, Fassin tenait un engin courtaud, une arme dissuasive baptisée BEF – basique et efficace – par les jumeaux.

Il se dirigea vers le gazonef en tenant ostensiblement l’arme chargée devant son bandeau de senseurs primaires.

— Oui, envoya-t-il. C’est un souvenir.

Il arriva à hauteur de l’autre machine. Celle-ci ressemblait beaucoup à la sienne, tout en étant en bien meilleur état, et était dressée à la verticale. Elle flottait dans une coupe protectrice formée par un hémisphère de diamant tracté par le voltigeur, tout près de l’extrémité de l’aile longue de dix kilomètres. Il nota avec circonspection – il ne parvint pas à s’en empêcher – que les places situées de part et d’autre du gazonef étaient occupées par deux Habitants de grande taille à l’air un peu trop jeune. En effet, seuls les plus âgés de leurs congénères songeaient habituellement à passer de longues périodes à méditer à très haute altitude. Les autres places les plus proches étaient inoccupées.

— Viens avec moi, lui envoya Aun en se collant à la paroi de diamant pour lui faire de la place.

Il se glissa derrière elle, quitta les courants hurlants pour cette bulle de gaz tranquille, où il eut un peu de mal à se stabiliser.

Ils se touchaient presque. La partie supérieure de la machine qui lui faisait face était en grande partie transparente et laissait apparaître une personne qui ressemblait effectivement beaucoup à Aun Liss. Elle était presque couchée dans son fauteuil d’accélération. Elle leva difficilement un bras pour lui faire signe. Sa grimace se mua bientôt en sourire lorsqu’elle posa les yeux sur lui. Fassin désopacifia ce qu’il pouvait de sa propre carapace, sachant néanmoins que le résultat ne serait pas parfait.

Il n’essaya pas de lui rendre son sourire.

— Tu crois que tu pourrais pointer ton machin dans une autre direction ? lui envoya-t-elle d’un air malicieux. Tiens, je crois bien que c’est la première fois que je te demande de…

— Non, répondit-il.

— … D’accord, envoya-t-elle, la mine assombrie. Contente de te revoir. Le voyage s’est bien passé ?

— Non. Ton engin est équipé de manipulateurs, je suppose. Tu sais t’en servir ?

— Oui. Je ne dirais pas que je suis une experte, mais…

Il se rapprocha davantage, ne s’arrêtant qu’à quelques centimètres du gazonef d’Aun.

— Parle-moi comme tu le faisais avant.

Elle fronça les sourcils, puis arbora un sourire incertain.

— Si tu veux, envoya-t-elle. Mais je risque d’avoir un peu de mal à…

Il la vit poser les yeux sur son avant-bras droit écrasé contre l’accoudoir de son fauteuil. Elle n’avait pas changé, et, pourtant, il n’était pas certain de la reconnaître. Elle avait les cheveux noirs, et non pas blonds, auburn ou blancs. Elle avait des bajoues à cause de la forte gravité et de sa position inconfortable. En fait, il était presque sûr qu’il s’agissait bien d’Aun. Toutefois, il était également prêt à la tuer si cela s’avérait nécessaire.

Le bras manipulateur se déplia lentement et maladroitement. Fassin écarta le sien pour lui faire de la place, tout en continuant de braquer l’arme sur elle. Les deux gros Habitants situés de part et d’autre n’avaient pas esquissé le moindre geste. Le bras toucha bientôt la carapace de son gazonef, et ses doigts se déplièrent doucement.

Elle ferma les yeux pour se concentrer. Les doigts mécaniques tapotèrent sur la peau abîmée et presque insensible du gazonef : … AL ( )… ALR ( ) ALRS ( ). Il la sentit s’énerver. Elle se concentra davantage, fronça les sourcils et lutta pour se faire obéir du bras manipulateur. Des larmes montèrent une nouvelle fois aux yeux de Fassin. Et pourtant, il se sentait toujours capable de la tuer ou de se tuer. De tuer n’importe qui.

… ALRS TJRS TARÉ ? parvint-elle à taper.

Elle ouvrit les yeux et eut un sourire satisfait, soulagé.

Il désactiva son arme.

Ils étaient tous les deux à l’abri de la bulle de diamant suspendue à l’aile fine du voltigeur.

— Non, nous n’y sommes pour rien. Nous ne sommes pas coupables. Les Affamés non plus, d’ailleurs, bien qu’ils soient les pires des assassins.

— Mais alors qui ?

— La Mercatoria, Fass. Ce sont eux qui ont tué les tiens.

— Quoi ? Mais pourquoi ?

— Parce qu’ils ont découvert que le Sept Bantrabal avait gardé cette chose qui t’avait briefé. Ils étaient supposés la jeter hors du substrat dès la fin de la communication, mais ils ne l’ont pas fait. Ce n’était pas vraiment une IA, comme celle envoyée au Hierchon, mais elle était tout de même suffisamment élaborée pour être modifiée et améliorée. Voilà pourquoi. Les attaques que nous menions en compagnie des Affamés leur ont servi de couverture. Et même si la vérité éclatait un jour, cela ne ferait que démontrer à quel point ils prennent au sérieux leur position anti-IA.