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Oui, cela n’était pas impossible. Le vieux Slovius avait toujours été à la recherche du petit plus qui aurait pu leur donner un avantage définitif sur les autres Septs. C’était la raison pour laquelle Bantrabal était parvenu à se hisser au-dessus de ses concurrents au fil des années. C’était plausible. C’était effectivement le genre de chose que le Sept pourrait faire sous l’impulsion de Slovius. Le vieillard faisait peu de cas de la Mercatoria.

— Comment sais-tu tout cela ? lui demanda-t-il.

Elle secoua vigoureusement la tête.

— Il y a des espions, partout, Fass, finit-elle par dire, presque avec regret. Nous avons beaucoup d’amis.

— Je n’en doute pas.

La croyait-il ? Jusqu’à preuve du contraire, oui.

Les Dissidents savaient pour la Liste, pour l’Équation. Apparemment, ils étaient au courant depuis bien plus longtemps que lui. Comme à peu près tout le monde, en fait. Lui n’avait compris la nature de ce qu’il avait découvert lors de cette fouille passée que lorsque la projection de l’amiral Quile s’était adressée à l’ensemble de l’assemblée réunie dans le palais du Hierchon. À ce moment-là, les Dissidents avaient déjà envoyé une flotte dans le système Zateki, croyant – tout comme les Jelticks qui, les premiers, avaient déchiffré le contenu de sa découverte – que l’Équation s’y trouvait, avec le Second Vaisseau. Là-bas, ils avaient été accueillis par des Voehns peu commodes. En fait, la moitié de cette putain de galaxie s’était donné rendez-vous autour de Zateki pour chercher un navire qui n’était plus là-bas depuis longtemps. S’il y avait jamais été. Tout le monde savait, sauf lui.

— Si vous me l’aviez demandé, je me serais mis en quête de cette saloperie d’Équation il y a des siècles de cela. Si seulement vous m’en aviez parlé…

Elle le regarda longuement. Sur son visage, il lut de la tristesse, de la pitié, du regret ou peut-être du désespoir ? Il n’en était pas trop sûr.

— Alors ? envoya-t-il.

— Tu veux la vérité ?

— Rien que la vérité.

— Fassin…, commença-t-elle en secouant de nouveau la tête. Nous ne te faisions pas confiance.

Il la fixa sans rien dire.

Fassin lui dit ce qu’il avait découvert, ce qu’il pensait avoir compris. Elle ne le crut pas.

— Tu viens avec nous ?

— Pourquoi ? Je peux ?

— Bien sûr. Si tu le souhaites.

Il réfléchit quelques secondes.

— D’accord…, envoya-t-il. Mais je dois voir encore une personne.

* * *

Lorsque le visiteur arriva, Setstyin était en train de prendre un bain. Pas désagréable, cette nouvelle mode. Son serviteur lui annonça que le Voyant Fassin Taak souhaitait le voir. Setstyin fut surpris et ravi. Il avait hâte de lui parler, et c’était un sentiment délicieux.

— Dites au Voyant Taak que je serai très heureux de le recevoir, et demandez-lui de m’attendre dans la bibliothèque supérieure. Faites votre possible pour lui être agréable. Je serai à lui dans dix minutes.

— Fassin ! Comme c’est bon de vous revoir enfin ! Si vous saviez ! Nous pensions… Nous croyions réellement que le pire vous était arrivé. Où étiez-vous donc passé ?

Fassin ne savait pas trop quoi répondre.

— Si je vous le disais, vous ne me croiriez pas.

Le gazonef flottait au milieu de la bibliothèque. L’espace circulaire était encombré de piles de cristal. La lumière venait du plafond transparent et d’une large porte qui donnait sur un balcon dépourvu de balustrade.

La maison de Setstyin se situait dans la ville d’Aowne, à mi-hauteur, dans la zone équatoriale. De gros nuages orange foncé et jaunes défilaient devant l’ouverture.

— Vraiment ? demanda l’Habitant. Essayez quand même. Si je puis faire quelque chose pour vous, surtout, n’hésitez pas. Venez, asseyons-nous.

Ils s’installèrent dans deux fauteuils enfoncés dans le sol, séparés par une table basse, tout près d’un bureau massif et impressionnant.

— Eh bien, disons que j’ai une très longue histoire à vous raconter.

— Ce sont celles que je préfère ! s’exclama Setstyin en arrangeant autour de lui les volants de sa robe ample.

Fassin se tut un long moment, comme pour rassembler ses souvenirs. Il avait l’air moins enthousiaste, plus lent que lors de leur dernière rencontre, pensa l’Habitant.

Fassin raconta au Suhrl une partie des aventures qu’il avait vécues depuis qu’ils s’étaient vus à bord du Protecteur planétaire (Supposé) Isaut. Il lui en dit également un peu plus sur ses activités avant cette rencontre, s’excusant d’hésiter parfois, de ne plus se rappeler les détails ; il avait traversé beaucoup d’épreuves dernièrement, et certains souvenirs avaient du mal à remonter à la surface. Il ne lui dit pas précisément quel était l’objet de sa quête, et ne fut pas en mesure de lui raconter l’attaque des Voehns, mais il lui livra autant de détails que possible.

— Je ne comprends pas, dit l’Habitant. Vous dites que vous… que vous êtes allé dans d’autres systèmes solaires ? De l’autre côté de la galaxie ? Je… Je ne…

— J’ai moi-même été pour le moins surpris. J’ai pratiqué toutes sortes de tests pour vérifier et je puis vous assurer que les jumeaux capitaines ne m’ont pas menti.

— On peut faire des choses incroyables en matière de réalité virtuelle, vous savez, fit remarquer Setstyin, un peu gêné.

— Je sais. Toutefois, ce que j’ai vécu était soit la réalité, soit une expérience infiniment plus réaliste que n’importe quelle RV.

L’Habitant ne dit rien pendant quelques secondes.

— Comment dire – surtout ne le prenez pas mal –, vous semblez avoir beaucoup souffert, Fass, reprit-il en examinant les diverses cicatrices et égratignures accumulées par le gazonef ces derniers mois.

Le bras manipulateur gauche pendillait mollement, légèrement tordu, le long de son flanc. Fassin avait presque honte de l’apparence de son appareil, comme s’il s’était présenté dans la bibliothèque d’un gentilhomme riche et raffiné vêtu de haillons crasseux.

— Oui, acquiesça-t-il. Je ne vous mentirai pas en disant que ma mémoire n’est plus ce qu’elle était. Celle du gazonef a souffert, elle aussi, et mon cerveau n’est plus aussi rapide qu’avant. Toutefois, dit-il en riant, je sais ce que j’ai vu, senti, entendu et goûté. D’une côte rocheuse, j’ai pu admirer un océan d’eau salée qui déferlait et déferlait encore. J’ai vu tout cela, Setstyin. J’y étais.

L’Habitant agita ses organes sensoriels et eut un rapide mouvement de va-et-vient vertical, équivalent nasquéronien du soupir.

— Je suis certain que vous croyez réellement avoir vécu cette expérience, Fassin. Par ailleurs, j’aurais spontanément envie de vous croire. Néanmoins, nombreux seraient ceux à ne pas se montrer aussi indulgents que moi. Il serait donc préférable de ne pas trop ébruiter cette affaire pour l’instant.

— Vous devez avoir raison.

— Et… Je veux dire… Si ce réseau de trous de ver secrets existe, pourquoi vous l’avoir montré à vous, pourquoi vous avoir conduit de l’autre côté de la galaxie ou n’importe où en dehors de notre système ?

— Afin de démontrer la réalité de ce mythe. Certaines personnes, certains Habitants pensent que l’époque est venue de faire évoluer cette société. Ils ne savent pas forcément tout, mais ils souhaitent que la réalité soit enfin révélée à tous. Personne ne veut prendre la responsabilité de tout dire à un non-Habitant, alors on a fait en sorte de pousser un péquenaud dans la bonne direction. Et ce péquenaud, eh bien, c’est moi. Le péquenaud numéro un.