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— Ma navette restera prête au cas où, dit Slovius. On ne sait jamais, le vol prévu pourrait être annulé ou le vaisseau de la Navigarchie vétuste. Veillez à ce que tout soit prêt, Majordome.

— Oui, monsieur, répondit Verpych en acquiesçant de la tête.

— Mon oncle, puis-je vous parler ? demanda Fassin à la fin de la réunion.

Il avait espéré intercepter Slovius avant l’arrivée des autres, mais celui-ci était déjà accompagné de Verpych. Le vieillard semblait plein d’entrain, triomphant, alors que le Majordome paraissait soucieux, voire inquiet.

Slovius congédia Verpych et Olmey. Bientôt, Fassin et lui se retrouvèrent seuls dans le bureau.

— Mon neveu ?

— Ce matin, mon oncle, lorsque vous m’avez demandé de vous parler de mes fouilles les plus récentes, tandis que nos hommes chargeaient lentement la projection…

— Tu veux savoir ce que je savais de cette projection ?

— Oui, mon oncle.

— J’avais été prévenu de son envoi par un court message crypté. Un message personnel envoyé par le Premier Ingénieur du vaisseau, un vieil ami, un Kuskunde – il y a de nombreux siècles de cela, j’ai étudié leurs particularités physiques et linguistiques à l’université. Cet ami ne m’a rien dit de très précis, mais j’en ai tout de même conclu que la venue de ce messager avait un rapport avec une de tes fouilles récentes.

— Je vois.

— La projection ne t’a rien révélé à ce sujet ?

— Non, mon oncle, répondit Fassin avant de s’interrompre quelques instants. Mon oncle, vous croyez que je vais avoir des ennuis ?

Slovius soupira.

— Je ne suis sûr de rien, mon cher neveu, mais je pense que tu n’es pas directement menacé. Néanmoins, je t’avouerai que j’ai l’étrange et désagréable sentiment qu’un mécanisme très important, très puissant et difficile à arrêter a été mis en branle. L’histoire nous apprend que, dans ces cas-là, il vaut mieux ne pas essayer d’entraver ses mouvements. Cette machinerie n’est pas forcément destinée à nous faire du mal, mais ses proportions sont telles que la vie d’une poignée d’individus ne représente pas grand-chose pour elle.

— Pas grand-chose ?

— Pas grand-chose. Dans le pire des cas, quelques vies humaines sacrifiées peuvent servir de lubrifiant à ce mécanisme compliqué. Mon explication te satisfait-elle ?

— Oui, mon oncle. Plus ou moins.

— Apparemment, nous sommes tous les deux dans le flou, dans les ténèbres, dit Slovius en consultant un petit anneau serti dans un moignon de doigt. Et, dans les ténèbres, il n’y a rien de mieux à faire que de dormir. Alors, je te suggère d’aller te coucher.

— Fassin Taak, l’interpella Verpych dès qu’il eut quitté le bureau de son oncle. Vous avez enfin réussi à m’impressionner. Il semblerait que nous soyons sur le point de vivre une époque excitante, et ce grâce à vous. En plus, vous êtes parvenu à attirer l’attention de personnages très haut placés. Félicitations.

* * *

Ils étaient assis sur des duvets à moitié gonflés, le dos collé à leur petit appareil.

— Il ne t’a jamais parlé de l’École de la Rigueur ? demanda Fassin.

Taince secoua la tête.

— Jamais.

Elle sortit une nouvelle fois son communicateur de l’armée, mais il n’y avait toujours pas de signal. Ils avaient déjà marché jusqu’à la coque extérieure pour essayer leurs téléphones, sans plus de résultats. Ils étaient restés quelques minutes dans la lumière changeante de l’aurore. Nasqueron figurait un dôme inversé dans le ciel. La géante gazeuse était sombre, quoique striée d’aurores boréales et déchirée par des orages électriques subits. Ils avaient ressenti une série de faibles tremblements de terre à travers leurs bottes. Toutefois, en dépit d’une activité tellurique et magnétique intense – ou peut-être à cause d’elle – leurs téléphones étaient demeurés silencieux.

Alors, ils avaient fait demi-tour. Pendant tout le trajet, Fassin avait craché son venin sur les Dissidents, qui persistaient à attaquer une planète paisible dont la principale activité était l’étude des Habitants. Sur la Garde, la Navigarchie, la Grande Flotte et ses escadrons, qui manquaient à leur devoir de protection. Taince avait tenté de lui expliquer que le transport de vaisseaux-aiguilles et de matériel par trous de ver était une affaire complexe, de lui faire admettre qu’il était extrêmement difficile de protéger en permanence tous les systèmes de la Mercatoria. De fait, même avec les artères et le voyage interstellaire instantané, c’était une équation quasi impossible à résoudre. Sans parler de son coût financier. Collectivement, les nombreuses factions ennemies ne représentaient pas un grand danger, mais elles œuvraient aux quatre coins de la galaxie et sur une échelle temporelle particulièrement longue. Le principal était que ’glantine et le système Ulubis dans leur ensemble fussent en sécurité. Un seul escadron était capable de venir à bout de n’importe quelle bande de Dissidents, alors inutile de parler de la force de frappe de la Grande Flotte.

Comme Fassin paraissait d’humeur à se plaindre, Taince s’était débrouillée pour aborder des sujets plus consensuels, tels que les manies de leurs camarades de classe, leurs défauts et excentricités. Avant longtemps, ils en étaient venus à évoquer le cas de Saluus.

— Disons qu’il m’a dit une fois qu’il souhaitait s’inscrire à cette fameuse École, mais depuis, je n’en ai plus entendu parler. Et puis, je n’ai pas envie de le harceler de questions, dit Taince.

— Oh…

Finalement, pensa Fassin, ces deux-là étaient peut-être bel et bien amoureux. L’école, les perspectives d’avenir étaient le genre de sujets dont on parlait sur un oreiller. Il observa furtivement la jeune femme. Quoique « amoureux » n’était pas forcément le terme le plus approprié pour décrire Sal et Taince, en admettant qu’ils sortent ensemble. Tous les deux se démarquaient des autres jeunes de leur âge, semblaient moins concernés par la frénésie des rendez-vous et des expérimentations sexuelles, comme s’ils étaient déjà passés par là ou que, du fait d’une prédisposition naturelle ou d’une détermination sans faille, ils étaient immunisés contre ces affres.

Taince intimidait la plupart des garçons de son âge, ainsi qu’une bonne partie des hommes plus âgés, mais elle s’en moquait. Fassin l’avait déjà vue éconduire avec une violence inouïe des garçons charmants et bien sous tous rapports, pour choisir ensuite de passer la nuit avec un type bien charpenté mais manquant cruellement de conversation. À l’université, il avait connu au moins trois filles éperdument amoureuses de Taince, qui, malheureusement pour elles, n’était guère intéressée par les femmes.

La position de Saluus était encore plus solide à la base. Il était beau – mais tout le monde pouvait l’être –, bien dans son corps, plein d’assurance, charmant et drôle. Et riche, bien sûr ! Une fortune à hériter signifiait automatiquement une place plus importante dans la société hautement hiérarchisée de la Mercatoria. Il était bien évidemment possible de progresser au mérite, mais au bout du compte, le système de promotion sociale, bien qu’antérieur à la métacivilisation, était subordonné à cette dernière. Comme les autres garçons de sa génération – et même tous les étudiants de leur université –, Fassin avait été obligé de se faire à l’idée que, tant que Sal serait dans les parages, il ne pourrait prétendre qu’à la médaille d’argent.