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— Prends tout de même garde à toi. Au revoir, Fassin.

— Je serai prudent. Au revoir.

Il déposa un baiser léger sur la joue de la fillette encore endormie, en essayant de ne pas la réveiller, puis suivit l’officier de la Navigarchie jusqu’à la plate-forme, qui s’enfonça dans le vaisseau.

— Nous aurons à supporter environ 5,2 g terrestres pendant la plus grande partie du trajet, dit Dicogra, comme Fassin plaçait ses bagages dans un renfoncement muni de sangles. Cela vous convient-il ? D’après votre profil physio, il ne devrait pas y avoir de problème, mais nous devons vérifier.

Fassin la regarda longuement.

— Jusqu’à Pirrintipiti ? demanda-t-il.

Les navettes locales accéléraient beaucoup moins que cela, et pourtant, elles mettaient moins d’une heure pour faire le voyage. Son planning était-il si serré que cela ?

— Non, jusqu’à Borquille City, répondit l’officier. Nous allons directement là-bas.

— Oh ! fit Fassin, surpris. Non, 5,2 g, cela ira.

La gravité de ’glantine atteignait à peine un dixième de ce chiffre, mais il était habitué à beaucoup plus. Il voulut lui faire remarquer que son travail le conduisait parfois à passer une année entière dans un champ de gravité équivalant à 6 g terrestres, mais cela se passait dans un gazonef et un bain de gel protecteur ; cela ne comptait donc pas vraiment.

Le lieutenant Dicogra sourit, fronça le nez et dit :

— Parfait. Ce rapport physio dit que vous êtes un homme solide, mais bon, nous allons devoir supporter cette accélération pendant presque vingt heures, avec juste quelques moments d’apesanteur à mi-parcours. Vous voulez que je vous montre les toilettes ?

— Non, merci.

Elle désigna son entrejambe protégé par une coque. C’était la seule partie de son corps à ne pas être couverte par sa combinaison épaisse d’un centimètre.

— Besoin d’un accessoire ? demanda-t-elle en souriant.

— Non, merci.

— Des médicaments pour dormir ?

— Pas nécessaire.

Le commandant de bord était une Whule, une sorte de croisement entre une chauve-souris grise géante et une mante religieuse titanesque. Elle salua laconiquement Fassin via un écran, avant que le jeune homme ne fût installé vers le milieu de l’appareil dans une sorte de boule montée sur cardans et équipée de trois couches étroites et légèrement inclinées. À côté de lui était déjà couché un matelot whule à l’apparence fragile, et dont l’odeur, pour un nez humain, s’apparentait à celle de l’amande. Le matelot se releva dans un bruissement d’ailes membraneuses pour permettre au lieutenant de s’installer dans la dernière couche. La jeune femme se contenta de jeter son béret dans un placard et d’ajuster son uniforme sous elle. Elle était prête pour une journée de vol.

Le vaisseau s’éleva d’abord lentement, et Fassin regarda sur un moniteur accroché à la paroi incurvée l’aire de stationnement circulaire qui rapetissait. Trois minuscules silhouettes suivaient du regard l’appareil de la Navigarchie. Il crut voir Zab lui faire au revoir de la main, puis il y eut les nuages. Alors, le vaisseau s’inclina et accéléra vers l’espace. Dans leur boule, les couches restèrent dans leur position initiale.

* * *

Étaient-ce des cris ? Il cligna des yeux. Les poils de son cou étaient dressés, et il avait la bouche sèche. Le noir. Il était toujours dans cette ruine mystérieuse, le dos collé à la paroi familière de la petite navette faiblement éclairée. Taince était partie voir si son communicateur fonctionnait. Merde, il s’agissait bel et bien de cris. Ils venaient de derrière. Avait-il entendu des mots ? Il se releva difficilement et jeta un regard alentour. On n’y voyait pas grand-chose, à part les contours vagues de ce paysage désolé, détruit et déformé qu’était l’intérieur de l’épave. Des ponts et des parois gauchies. Des morceaux d’un matériau inconnu suspendus au plafond invisible. Les cris venaient des profondeurs du vaisseau, de la direction prise par Saluus et Ilen. Il resta là à scruter les ténèbres, à retenir sa respiration pour entendre mieux. Le silence, puis une voix, peut-être Sal criant un mot incompréhensible. Au secours ? Taince ? Fass ?

Que dois-je faire ? Les rejoindre au plus vite pour les aider ? Attendre Taince ? Chercher une torche, une arme, s’il y en a une ?

Un cliquetis, derrière lui, le fit se retourner.

Taince venait de sauter d’un mur tordu, chiffonné.

— Tu vas bien ?

— Oui, mais…

— Viens avec moi. Reste quelques pas en arrière. Préviens si tu n’arrives pas à suivre.

Elle le dépassa en trottant, son arme à la main, bien en évidence. Plus tard, il se rappellerait que son visage arborait une sorte de sourire sinistre.

Ils s’enfoncèrent en courant dans les profondeurs de l’appareil. Sous leurs pieds, le sol était de plus en plus déformé. Bientôt, ils furent obligés de sauter par-dessus des arêtes, de se laisser glisser par une ouverture faite dans le plancher, avant de reprendre leur course sur une surface légèrement molle, comme si la tôle était recouverte de caoutchouc, passant par-dessus d’énormes câbles tendus de façon aléatoire en travers de leur chemin. Fassin suivit Taince comme il le put, sans lâcher des yeux les patchs lumineux de son treillis. Elle courait et sautait avec beaucoup plus de fluidité que lui, bien qu’elle eût une arme à la main. Le sol s’éleva brusquement avant de redescendre.

— Taince ! Fassin ! cria Sal, quelque part, devant.

— Mon amour ! répondit Taince en accélérant de plus belle.

Fassin se baissa juste à temps. Ses cheveux frôlèrent un pli de matériau noir comme de l’encre. Ils ralentirent. Taince progressa à tâtons, se glissa de côté dans une fente étroite.

Fassin l’imita, mais le contact froid du matériau lui donna la chair de poule.

De la lumière devant. La vision vague d’un plancher déformé et d’un plafond constitué d’un écheveau chaotique de poutrelles et de tubes. Des stalactites et des stalagmites, une explosion rouge, telle une énorme fleur inversée, une substance mystérieuse. Et là, accroupi sur une saillie étroite, près d’un trou vaguement triangulaire de deux mètres de côté, Sal, éclairé par ses patchs lumineux.

Il leva les yeux.

— Len ! cria-t-il. Elle est tombée !

— Sal ! appela Taince, circonspecte. Ce plancher est-il assez solide pour supporter notre poids ?

Le jeune homme avait l’air perdu, effrayé.

— Je crois, répondit-il.

Taince testa la résistance du sol avec le pied puis, satisfaite, s’agenouilla à un des sommets du triangle béant. Elle fit signe à Fassin de rester à l’écart, se coucha sur le ventre, passa la tête dans le trou, marmonna quelque chose à propos des bords consolidés et signifia à Fassin de se tenir à l’opposé de Saluus, là où il y avait davantage de place. Le jeune homme s’allongea à son tour et regarda.

Le triangle s’ouvrait sur un vaste espace caverneux, au fond duquel seuls quelques éclats de sol inégal étaient visibles. De sol, il n’était en fait pas question, puisque les arêtes multiples appartenaient à un ensemble d’hélices de ventilateurs. La tête de Fassin se mit à tournoyer, comme les dimensions de la partie jusque-là invisible du vaisseau lui apparaissaient. Puis il se souvint que leur navette avait dû prendre de l’altitude avant de s’engouffrer dans cette brèche. À combien de mètres du sol se trouvaient-ils ? Une centaine ? Un peu moins ? Sans compter qu’ils n’avaient fait que monter depuis qu’ils s’étaient éloignés de leur appareil.

Ilen se trouvait six mètres en dessous, sur deux poutrelles épaisses comme le bras et incurvées comme des défenses, qui jaillissaient de la paroi en apparence intacte. Elle était allongée sur le ventre. Sa tête, un bras et une jambe pendaient dans le vide. Collés à ses manches, des patchs lumineux dispensaient un faible éclairage bleu-vert. Les bouts brisés des poutrelles n’étaient qu’à quelques centimètres de son corps. D’autres chicots identiques jaillissaient de la paroi à intervalles réguliers, tous les huit ou neuf mètres, semblables à des doigts osseux et crochus. Sous Ilen, il y avait bien cinquante ou soixante mètres de vide jusqu’aux pales acérées des ventilateurs.