Fassin envoya un message à Bantrabal pour dire qu’il était bien arrivé, puis fit ce qu’on lui avait demandé.
La salle d’audience circulaire était étincelante et chaude. Les murs d’or blanc scintillaient sous un plafond représentant une galaxie constellée de minuscules lumières. Le lieutenant Inesiji l’accompagna jusqu’à une des nombreuses plates-formes serties dans la salle en forme de bol. Le sol se souleva lentement et prit la forme d’un fauteuil humain. Il prit place – il était un peu raide et engoncé dans ses vêtements de cérémonie –, et le lieutenant lui dit dans une sorte de chuchotement humide :
— S’il vous plaît, restez là pour le moment.
L’officier s’inclina, se transforma en une sorte de roue de charrette et roula jusqu’à la sortie située en contre-haut.
Fassin regarda autour de lui. La salle paraissait pouvoir contenir un millier de personnes, mais ils étaient environ deux douzaines à attendre tout autour de l’espace conique, comme si on avait choisi de les éloigner le plus possible les uns des autres. Les humains – vêtus comme lui de tenues encombrantes aux couleurs éclatantes – étaient majoritaires, mais il vit un autre Jajuejein – endormi ou au repos, il avait pris la forme d’une sphère ornée de rubans iridescents –, deux Whules assis, pareils à des tentes anguleuses couvertes de fleurs argentées, aux yeux posés sur lui, deux Quaups semblables à des ellipses rouges de deux mètres de long – dont un tourné dans sa direction et l’autre dressé à la verticale. Fassin avait bien du mal à interpréter le langage corporel de ces créatures, car ses vastes connaissances en matière d’extraterrestres concernaient surtout les Habitants. Trois grosses combinaisons environnementales contenant des êtres aquatiques complétaient le contingent des créatures non humaines : deux d’entre elles ressemblant à des Quaups bleu-vert abritaient probablement des Kuskundes. La troisième était un losange noir mat de la taille d’un petit bus, qui irradiait de la chaleur. Probablement un symbio-essaim ifrahile.
Au centre de la salle, en son point le plus profond, juste devant un ensemble de plates-formes hautes et larges qui brisaient la symétrie de l’endroit, trônait un appareil à l’allure incongrue, aux allures d’antique marmite en fer : une sorte d’urne au ventre noir de deux mètres de diamètre, couronnée d’un dôme et juchée sur trois pieds courtauds à même le sol en or massif luisant comme du beurre. Sa surface était striée d’ailettes, mais, à part cela, elle avait un aspect quasi préhistorique. Fassin n’avait jamais rien vu de pareil. Il frissonna, malgré la chaleur de la salle.
Le Quaup qui donnait l’impression de dormir se redressa subitement en faisant onduler sa cape et se retourna vers son congénère, situé à trente mètres de là, qui pivota pour lui faire face. Des symboles clignotèrent sur le visage en forme de nacelle des créatures, qui entreprirent de se rapprocher l’une de l’autre tout en conversant. Mais la discussion fit long feu quand un petit drone descendit du plafond en voletant et, avec force couinements et gazouillements, leur signifia de retourner à leur place. Les Quaups répondirent au robot en émettant des claquements et des sifflements, mais obtempérèrent.
Ils eurent à peine le temps de retourner à leur fauteuil. Un groupe de six techniciens jajuejeins à l’air maladroit dans leur habit formel faits de rubans iridescents qui entravaient leurs mouvements entra par une porte latérale, en poussant de grandes palettes chargées d’équipements sophistiqués qu’ils disposèrent autour de la marmite. Les rubans qui leur ceignaient le corps trahissaient leur appartenance à la Prévôté, réalisa soudain Fassin, qui se demanda alors si, en tant que commandant de l’Ocula, il avait un quelconque pouvoir sur eux. Un autre groupe – des prêtres humains de la Cessoria, d’après leurs atours, même s’il était difficile d’affirmer qu’ils étaient des Purificateurs – arriva de la direction opposée. Les prêtres s’arrêtèrent derrière les techniciens, qui ne les regardèrent même pas et continuèrent de préparer leurs mystérieuses machines.
Enfin, un impressionnant groupe de quatre humains et autant de Whules, des soldats en armure de force miroitante, équipés de toute une variété d’armes lourdes, fit son apparition. Dans la salle, l’ambiance changea aussitôt. L’étonnement céda bientôt la place à l’appréhension, à l’inquiétude, voire même à la peur, et ce chez toutes les espèces présentes. Les deux Quaups échangèrent de grands signaux faciaux, l’Ifrahile se hissa sur sa plate-forme en sifflant, tandis que les Whules, incrédules, se regardèrent en surveillant du coin de l’œil leurs congénères en armure.
Qui avait fait venir ces soldats dans la salle d’audience ? Était-ce un piège ? Les personnalités convoquées avaient-elles offensé le Hierchon ? Allaient-ils tous être exécutés ?
Les soldats formèrent un cercle autour des techniciens et des prêtres, se tinrent au repos, leurs armes en veille. Comme ils tournaient le dos à l’assistance et faisaient face au grand chaudron de fer, tout le monde se détendit un peu.
Alors, une série de plates-formes situées derrière l’urne et les fonctionnaires s’éclaira, s’enfonça dans le sol avant de réapparaître quelques instants plus tard. Sauf que cette fois-ci, elles étaient pleines de gens. Il y avait un anneau externe d’humains en uniforme blanc d’officiel, un anneau interne de courtisans issus de diverses espèces vêtus de façon extravagante, un autre cercle composé de membres de l’Ascendance, de l’Omnocratie, de l’Administrate et de la Cessoria – Fassin put les identifier parce qu’il les avait déjà vus aux informations, mais aussi grâce aux quelques visites qu’il avait effectuées à la cour – entourait une personne située au centre : le Hierchon Ormilla lui-même, resplendissant dans son disque enveloppé de platine qui flottait juste au-dessus de la plate-forme la plus haute. Le visage de la créature sombre était visible derrière la vitre à facettes de sa combinaison, malgré les volutes de gaz rouge qui l’entouraient. De tous les micro-environnements présents dans la salle, celui du Hierchon, avec ses sept mètres de haut et ses trois mètres de large, était le plus imposant. Rapidement, il se couvrit de givre, comme l’humidité de la salle se condensait sur sa surface glaciale.
À l’arrivée du personnage et de sa suite, le fauteuil de Fassin se mit à vibrer, puis commença à disparaître dans le sol. Le jeune homme comprit le message, se leva et s’inclina. Les autres l’imitèrent dans leurs langages corporels respectifs. La combinaison environnementale géante s’affaissa lentement jusqu’à ce que sa base effleure la plate-forme. Alors, le fauteuil de Fassin reprit sa position initiale.
Le Hierchon Ormilla était un Oerileithe, un habitant des géantes gazeuses mais pas un Habitant, même si la forme de sa combinaison pouvait prêter à confusion. Ormilla dirigeait le système Ulubis depuis son investiture quelque six mille ans plus tôt. En ce temps-là, les humains, qui constituaient aujourd’hui la majorité de sa population, n’étaient même pas arrivés. On le considérait généralement comme un dirigeant compétent, quoique peu imaginatif, qui, dans le cadre strict de la Mercatoria, exerçait son pouvoir de façon prudente, sensée et, à l’occasion, sensible. À en croire les médias autorisés, depuis la destruction du portail, son attitude était caractérisée par une majesté indéniable, par un héroïsme exemplaire et par une solidarité touchante et sans limites à l’égard de ses concitoyens humains. Certains critiques et analystes – pour la plupart des humains, justement – étaient moins tendres et l’accusaient d’avoir un goût naturel pour l’autoritarisme et la répression paranoïaque, pratiques récemment laissées de côté sur le conseil de ses ministres au profit d’une attitude plus posée et compréhensive.