Выбрать главу

Fassin examina plus attentivement les invités et comprit que toute la bande était là. En plus du Hierchon et de ses deux adjoints principaux, étaient présents les Peregals Tlipeyn et Emoerte, le sous-maître Sorofieve – le membre le plus important des Propylées à avoir survécu à la destruction du portail –, l’officier le plus gradé de la Navigarchie, l’amiral Brimiaice, le général de la Garde Thovin, le Premier secrétaire de l’Administrate Heuypzlagger, le colonel Somjomion de la Prévôté – son supérieur direct, pensa Fassin – et enfin, l’ecclésiastique Voriel, de la Cessoria. L’élite du système, en somme.

Fassin regarda tour à tour l’espèce de marmite posée sur le sol doré et les soldats armés jusqu’aux dents, et se dit que c’était là une formidable occasion de décapiter les huiles du système.

— Ceci est une session extraordinaire de la cour mercatorienne d’Ulubis, présidée par le Hierchon Ormilla, annonça un officiel d’une voix tonitruante via les haut-parleurs de la salle. Le Hierchon Ormilla ! cria-t-il, comme s’il avait peur de ne pas s’être fait bien entendre.

L’homme parlait la version humaine de la langue Standard, le langage le plus usité dans la galaxie. Le Standard avait été choisi comme langue pangalactique huit milliards d’années auparavant. Les Habitants avaient énormément œuvré à son développement, tout en insistant sur le fait qu’ils n’en étaient pas les auteurs. Eux-mêmes parlaient un dialecte informel très ancien, une langue formelle plus ancienne encore, plus de nombreux autres langages datant d’époques diverses, qu’ils pratiquaient ou choisissaient d’oublier en fonction de leur humeur.

— Oh ! il y a eu un genre de compétition, lui avait expliqué un Habitant gardien/mentor nommé Y’sul, lors de sa toute première fouille. Choisir un langage universel n’a pas été facile. Je me rappelle une guerre provoquée par une dispute linguistique – entre une espèce Voyageuse et une autre Grumeleuse, il me semble. S’est ensuivie toute une série d’enquêtes, de missions, de sommets, de rapports, de conférences, de réunions.

» Le Standard que nous connaissons aujourd’hui fut choisi après des siècles de recherches, d’études et de disputes par un comité hétéroclite composé de représentants de milliers d’espèces, dont au moins deux se sont éteintes avant la fin des négociations. Bizarrement, ils ont fini par opter pour la langue la plus pratique, pour un vecteur de communication quasi parfait : flexible, descriptif, peu coloré (détail très important, quoi qu’il signifie), précis mais malléable, élégant et complet, tout en restant perméable aux apports étrangers. Une langue à la graphie en parfaite adéquation avec sa prononciation, une langue facile à transcrire dans toutes les formes d’écriture sans perte de sens.

» Cette langue n’appartenait à personne, car les espèces qui l’avaient créée n’existaient plus et n’avaient laissé ni héritiers, ni traces de leur passage dans la galaxie. Plus étonnant encore, la conférence qui décida de sa généralisation se déroula sans encombre, et le mégacomité accepta à l’unanimité toutes les recommandations proposées. Dès lors, le Standard se développa et se propagea très rapidement. En quelques générations seulement, il devint la première et unique langue véritablement universelle, ce qui facilita énormément la coopération entre espèces.

» Il serait certes naïf de penser que tout le monde l’adore. Certains des nôtres, en particulier, continuent de s’opposer farouchement à son usage, et des groupes ou organisations de tailles diverses proposent régulièrement des langues censées être plus pratiques et plus universelles encore. Certains Habitants persistent à considérer le Standard comme une abomination imposée par des espèces étrangères, comme le symbole de notre soumission à la mode galactique.

» Ces gens-là parlent ostensiblement notre ancienne langue formelle. Sauf lorsqu’ils utilisent une langue de leur création, en général parfaitement incompréhensible.

Lors de cette première mission, Fassin avait été accompagné par son oncle Slovius, qui effectuait alors sa dernière fouille.

— Comme c’est typique, avait-il observé plus tard. Seuls les Habitants sont capables de discuter le résultat d’un match qui a eu lieu il y a huit milliards d’années.

Fassin sourit en se remémorant cette conversation et jeta un regard circulaire sur l’auditorium géant, où les mots de l’officiel résonnaient avant de mourir sur les métaux et les étoffes précieuses. Tout était très impressionnant, mais d’une façon quelque peu exagérée et presque vulgaire. Il se demanda combien de discours et de cérémonies pompeuses il devrait encore supporter avant que quelque chose de véritablement intéressant ne soit dit. Il compta rapidement les personnes présentes. Il y en avait au moins deux fois plus que ce que la projection lui avait annoncé.

Un écran tactile monté sur une tige apparut devant lui et s’alluma. Il pouvait prendre des notes, faire des recherches, mais n’avait accès à aucun enregistrement audio ou vidéo. Fassin appuya sur un symbole pour confirmer sa présence. Autour de la salle circulaire, les autres en faisaient autant sur des moniteurs adaptés à leur morphologie.

— Vous êtes ici pour assister à la transmission d’un signal depuis l’Est-taun Zhiffir, dit calmement la voix profonde et synthétique d’Ormilla. Le message, nous a-t-on dit, sera délivré par une Intelligence Artificielle, qui sera détruite dès la fin de cette audience, ajouta-t-il avant de faire une pause pour laisser à tout le monde le temps d’assimiler cette information étonnante. Votre conscience et votre devoir vous dicteront ce que vous devrez faire par la suite, reprit-il. Sachez cependant que la manière dont ce message vous aura été transmis devra rester secrète. Tout manquement à cette règle sera puni de mort. Commençons…

Une IA ? Une machine consciente ? Une abomination ? Fassin n’en croyait pas ses oreilles. L’histoire de la Mercatoria était marquée par la persécution implacable et la destruction systématique des IA. Depuis toujours, semblait-il, on avait lutté avec zèle et détermination pour les empêcher d’exister. C’était d’ailleurs la raison d’être des Purificateurs. Ils étaient des chasseurs d’IA, des persécuteurs fanatiques et sans remords. Ils faisaient leur possible pour empêcher toute recherche sur le sujet des machines intelligentes, et pourtant, ils étaient là, à regarder calmement l’étrange marmite et les techniciens qui l’entouraient.

Une image semi-transparente se forma dans les airs, juste au-dessus de l’objet mystérieux, au centre exact de la salle. L’hologramme représentait un humain mâle vêtu d’un uniforme d’amiral de la Grande Flotte. Fassin ignorait qu’un de ses congénères s’était élevé à un rang si impressionnant. L’amiral était un homme d’âge mûr bien bâti, au visage strié de rides profondes. Il était chauve, bien sûr, et son crâne orné de tatouages. Il portait – à en croire l’hologramme – une combinaison de combat très perfectionnée, dont le casque était escamoté et replié autour de son cou et de ses épaules. Divers insignes accrochés à l’armure confirmaient l’importance du personnage.

— Merci beaucoup, Hierchon Ormilla, dit l’image.

Alors, l’homme parut se retourner vers Fassin. Le jeune homme sursauta, avant de comprendre que toutes les personnes présentes dans la salle devaient avoir eu la même impression. Du moins l’espérait-il.

— Je représente l’amiral Quile, de la Grande Flotte, commandant du troisième escadron de la flotte de combat qui escorte l’Est-taun Zhiffir dans son voyage pour Ulubis, sous le commandement de l’amiral Kisipt, dit la projection d’une voix calme et posée.

Flotte de combat ? pensa Fassin. On ne faisait jamais escorter un vaisseau remorqueur par une flotte de combat. Habituellement, quelques vaisseaux de la Garde ou deux engins de la Navigarchie accompagnés d’un navire de la Grande Flotte – pour les cérémonies – suffisaient. Il n’était pas expert militaire, mais même lui était au courant. Il suffisait pour cela de regarder les informations. Il examina les militaires disposés en cercle sur la plate-forme. Oui, eux aussi semblaient surpris.