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— Le vaisseau de tête est touché, ajouta une autre voix, celle qui surveillait en permanence la position de la flotte.

— Contact perdu avec le vaisseau de tête, annonça une troisième voix.

— Vaisseau de tête détruit ! s’exclamèrent en chœur les communications et la surveillance de la flotte.

Taince fut immédiatement mise au courant. Une infime part d’elle-même, terrorisée, eut le temps de se dire : Non ! Pas pendant mon tour de garde ! En plein pendant la sieste de l’amiral, quand elle était seule aux commandes. Comme l’écho de sa première pensée finissait de mourir dans sa tête, elle mit ses sens en éveil et commença à juger, à réfléchir, se préparant à donner des ordres. Elle voletait entre la vue réelle montrée par les scanners longue distance, où les étoiles blanc-bleu formaient un cercle dense à l’avant, pour se déverser en une marée floue et rouge à l’arrière – le reste du paysage se résumant à un océan noir –, et l’abstraction sombre de l’espace tactique, sphère quadrillée dans laquelle les vaisseaux étaient représentés par des pointes de flèche légèrement stylisées et de différentes couleurs, derrière lesquelles s’étiraient des colliers de points qui figuraient leur trajectoire ainsi que des suites de lettres et de chiffres verts précisant leur position.

Le plan de déploiement prévu à l’avance ne fonctionnerait pas. Le second navire de tête était en train de prendre position au sein de la flotte, et le plan numéro un risquerait de provoquer des collisions multiples. Et puis, c’était une manœuvre trop lente.

Très bien. Le temps était venu pour elle de justifier sa solde et de communiquer. Elle envoya :

— À tous les vaisseaux : plan de dispersion numéro cinq. BC-trois, plus deux points vers l’intérieur, oblique gauche delta à cinq. Ensuite, on reprend notre position initiale.

Les accusés de réception affluèrent ; le premier, de son homme de barre, le dernier, du croiseur Jingal, pour confirmer la modification de sa trajectoire nécessaire à la manœuvre de leur D-7. Le destroyer sept, Culverin, s’était replié juste avant, après avoir échangé sa place avec le Petronel. Taince était vaguement consciente que son corps ressentait un mouvement brusque, subissait un changement de direction, si brutal que même le gel qui l’enveloppait était incapable de le masquer complètement. Autour d’eux, les navires se dispersaient comme des éclats embrasés.

— Tension de la coque, quatre-vingt-cinq, lui dit l’officier chargé de l’intégrité du vaisseau et du contrôle des dommages subis.

— Toutes les unités réagissent. Plan cinq appliqué.

— D-sept : merci beaucoup, on rejoint la formation.

— C-trois : contact simple, cinq, nord-est-bas.

Le croiseur Mitrailleuse et le destroyer Cartouche repérèrent des vaisseaux ennemis. Taince n’eut même pas besoin de consulter l’espace tactique virtuel pour en conclure qu’ils étaient assaillis des deux côtés.

— Ils nous ont encadrés.

— C’est une fourche. On s’est bien fait avoir.

Les deux dernières voix étaient celles de ses collègues officiers tactiques.

— À vous entendre, on se croirait en pleine partie de bataille navale. (Cette fois-ci, il s’agissait de l’amiral Kisipt. Il s’était donc réveillé, mais il préférait laisser Taince mener la partie pour le moment.)

— C-un : contact hostile, confirmé. PTF.

— D-trois : contact hostile confirmé. PTF.

Le Mitrailleuse et le Cartouche demandèrent la permission de tirer.

— Autorisez l’ouverture du feu / Autorisez l’ouverture du feu, dirent de conserve les deux autres tacticiens.

— Oui, je suis d’accord, annonça l’amiral Kisipt. Vice-amiral ?

Le vice-amiral Taince Yarabokin était du même avis.

— C-un, D-trois, feu à volonté.

— C-un : nous ouvrons le feu.

— D-trois : nous ouvrons le feu.

Dans l’espace tactique virtuel, les rayons écarlates jaillirent des deux petits vaisseaux. Il y avait également de minuscules points vert citron dotés de barres de statut propres : des missiles fonçant vers les navires ennemis.

— Impacts multiples sur les débris du D-un, annoncèrent les senseurs LD.

— On continue de se disperser ?

— Oui, confirma Taince.

Une multitude de points scintillaient juste devant eux, là où l’épave tourbillonnante et tournoyante du Petronel continuait d’être prise pour cible par l’ennemi. Les restes du vaisseau approchaient à grande vitesse de la flotte en train de se déployer. La jeune femme lança le compte à rebours avant l’impact avec le champ de débris. Soixante-seize secondes. Elle fit basculer l’affichage en mode sensations cutanées pour ne pas avoir constamment le regard rivé dessus.

Les lasers du Mitrailleuse et du Cartouche n’avaient rien donné. Leurs missiles étaient toujours en route. Jusque-là, aucun signe de réplique.

Et si on s’était planté ? pensa Taince. S’ils avaient prévu notre réaction et notre manœuvre si maligne ? Du fond de sa nacelle, elle haussa légèrement les épaules sans même s’en rendre compte. Eh bien, tant pis. On va tous mourir, mais ce devrait être rapide.

— On continue la procédure de dispersion ?

— Oui, confirma-t-elle à nouveau en attendant, en évaluant leurs chances, en se demandant si leur plan allait fonctionner.

L’espace tactique virtuel affichait toujours les données recueillies par le Petronel. Obsolètes depuis longtemps, elles figuraient un nuage jaune en train de se dissiper rapidement. Les deux contacts établis par le Mitrailleuse et le Cartouche, et, depuis, repérés par d’autres navires de la flotte, étaient représentés par des points rouges clignotants, qui se rapprochaient lentement mais sûrement. Les restes du Petronel étaient un chaos de pointillés violets situés droit devant et venant à leur rencontre en se dispersant.

Tout va bien, se dit Taince. On peut réussir.

Ils avaient répété tout cela, s’étaient entraînés dans un environnement virtuel, s’étaient préparés à cette éventualité, à réagir promptement à ce type d’embuscade.

Ils savaient que les Dissidents avaient anticipé l’envoi d’une flotte de Zenerre vers Ulubis. La route la plus rapide était la ligne droite, et il eût été stupide de s’en écarter. Le tracé n’était certes pas aussi droit qu’un laser, car la trajectoire s’incurvait presque imperceptiblement pour suivre le mouvement des deux systèmes et de cette zone de la galaxie autour du cœur de cette dernière situé à cinquante mille années-lumière de là.

La flotte avait donc emprunté cette route, prenant le risque de tomber dans une embuscade ou – plus effrayant encore – de rencontrer un champ de mines. (Les mines… Tout ce dont vous aviez besoin, c’était de quelques tonnes de roche concassée. Prenez un petit astéroïde, réduisez-le en graviers de la taille de grains de riz et éparpillez ces derniers sur la route empruntée par les vaisseaux ennemis. Si ceux-ci volaient suffisamment vite, les dégâts pouvaient être considérables. Tout près de la vitesse de la lumière, les explosifs devenaient superflus.) C’était cela ou bien faire un détour et accepter d’arriver plus tard.

Fallait-il rester groupés (ce qui était évident et sensé) ou bien se disperser, chaque appareil prenant une trajectoire propre avant de reconstituer la flotte juste avant d’arriver à Ulubis (ce qui était risqué, mais également déstabilisant pour l’ennemi) ? Finalement, l’amiral avait choisi une trajectoire quelque peu incurvée parmi un ensemble de propositions faites par les stratèges et leurs sous-IA, et la flotte était restée groupée.