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— J’ai juste fait mon boulot, Sal. J’ai fouillé, parlé, pris ce que les Habitants ont bien voulu me donner. Et je puis t’affirmer que mes trouvailles, pour la plupart, n’étaient pas destinées à changer la face du monde ; elles ne méritaient pas qu’on déclenche une guerre pour elles. Je me suis contenté d’avancer à mon rythme, de vivre ma vie normalement, ajouta-t-il en regardant Saluus Kehar dans les yeux. Sans savoir à quoi tout cela allait me mener.

— On en est tous là, commenta Sal en hochant la tête.

— Je suis désolé, mais je ne peux pas t’en dire tellement plus.

Sal sourit et se perdit dans la contemplation du ressac artificiel, du pandémonium de vagues et des falaises abruptes, massives et brunes qui se découpaient sur la toile de fond floue du ciel azur.

— Ah ! ton ange gardien, dit-il.

La roue grise et dorée du scaphandre environnemental du colonel Hatherence apparut au-dessus des embruns et de l’eau bouillante.

Des pales qui tournoyaient de chaque côté de l’engin permettaient au colonel de survoler ce maelström en toute sécurité. Quoique massive, la combinaison semblait toute petite vue de là-haut.

— Elle te cause des problèmes ? demanda Sal.

— Non. Elle est bien. Je ne suis même pas obligé de l’appeler « madame » tout le temps. C’est tant mieux, car le protocole m’ennuie.

Toutefois, il avait hâte de ne plus l’avoir dans les pattes. Au pire, il devrait en être débarrassé une fois sur Nasqueron.

Fassin examina le colonel, qui avançait prudemment au-dessus de ce paysage liquide.

— Tu imagines aller à Boogeytown avec ce machin qui te suit partout ? demanda-t-il. Ne serait-ce que pour une seule nuit ?

Sal renifla bruyamment.

— Les bouges sont trop bas de plafond pour elle.

Fassin rit. C’est un peu comme une relation sexuelle, pensa-t-il. Ou plutôt comme le grand jeu de la séduction, comme ces danses nuptiales stupides ou ces dialogues de dupes à base de tu-veux-tu-veux-pas. Tenter Sal, le mener par le bout du nez…

Il se demanda s’il avait été suffisamment mystérieux. Pas trop, espérait-il. Car il avait besoin de ce type.

Le dîner eut lieu en compagnie de Sal, de sa femme, de leurs concubines et de quelques relations d’affaires, dont un Whule, un Jajuejein et un Quaup. L’on parla beaucoup des attaques récentes contre les bases reculées, de la loi martiale, des délais imposés aux communications, des restrictions dans les voyages, de ceux qui profiteraient de la situation (personne, parmi les convives, ne paraissait craindre de perdre autre chose que quelques menues libertés). Hatherence attendait dans un coin. Elle n’avait pas besoin de se restaurer – merci quand même – et paraissait heureuse, voire honorée d’être présente tandis qu’eux mangeaient, conversaient, tissaient des liens sociaux sans se soucier ni d’elle, ni de son travail (car le colonel avait grandement besoin de potasser sur Nasqueron et ses fameux Habitants).

Boissons, nourriture semi-narcotique, coupes de drogues. Une troupe d’acrobates animait la soirée depuis le balcon illuminé de la salle à manger.

— Non, je suis sérieux ! cria Sal à ses invités en faisant de grands gestes pour désigner les acrobates qui se balançaient sur des cordes et des trapèzes. S’ils tombent, ils meurent à coup sûr ! Il y a tellement d’air dans cette eau, qu’on ne flotte même pas. On coule directement, et en dessous, il y a de sacrées turbulences. Mais non, idiote ! dit-il à sa femme. Il n’y a pas assez d’air pour respirer !

Quelques invités partirent. Plus que des humains. Encore à boire. Puis la salle des trophées de Sal, des couloirs et des pièces trop petites pour le colonel – désolé ! – (pas grave, c’est l’heure de dormir !). La femme de Sal finit par aller se coucher. Presque plus personne. Et puis, enfin, juste Sal et lui, et les têtes empaillées, séchées, laquées et encadrées de bêtes chassées sur des dizaines de planètes.

— Tu as vu Taince ? Juste avant la destruction du portail ?

— On a dîné ensemble. Un ou deux jours avant. Dans l’Équatour, répondit Fassin en agitant la main dans la direction générale de Borquille.

Depuis la maison, on voyait les lumières de l’Équatour, un simple collier de perles rouges montant jusqu’au ciel. Celui-ci était d’ailleurs plus clair en altitude, car l’atmosphère plus fine permettait aux signaux écarlates de transpercer plus facilement la couche nuageuse.

— Elle allait bien ? demanda Sal, avant de rejeter la tête en arrière et d’éclater de rire. Comme si cela avait de l’importance. C’était il y a deux siècles.

— Oui, elle allait bien.

— Parfait.

Ils burent leur cognac. Encore un breuvage mis en bouteille sur Terre. Loin, très loin, il y avait très, très longtemps de cela.

Fassin fut pris de vertige. Il nageait.

— Et merde ! dit-il. Ça y est, je nage.

— Tu nages ?

— Ben oui, je nage. Tu sais, quand ton esprit se met à tanguer parce que tu te dis : « Eh ! je suis un être humain, et pourtant, je vis à vingt mille années-lumière de chez moi, au milieu d’extraterrestres étranges, d’armes improbables, dans un monde bizarre soumis aux remous de l’histoire et de la politique galactique ! » Voilà, c’est cela, c’est cette sensation.

— Et tu appelles ça comment, déjà ? Tu flottes ? Tu tangues ?

— Non, je nage ! cria Fassin, qui ne parvenait pas à croire que Sal n’avait jamais entendu parler de ce concept.

Il était persuadé que tout le monde connaissait cette expression. Certaines personnes – la plupart des gens, en fait – ne nageaient jamais, mais c’était tout de même une expérience bien connue. Pas seulement des humains, d’ailleurs. Les Habitants, eux, étaient immunisés contre cela. L’expression ne faisait même pas partie de leur vocabulaire.

— Jamais entendu parler, confessa Sal.

— C’est marrant. Je ne croyais pas que…

— Hé ! tu veux que je te montre quelque chose ?

— Je ne sais pas ce que c’est mais, putain, je veux voir ça tout de suite !

— Suis-moi.

— La dernière fois que…

— On a dit qu’on ne parlait plus de ça.

— Merde ! Ouais, c’est vrai. J’ai rien dit. Montre-moi ce que tu dois me montrer.

— Viens par ici.

— Putain, ouais, on y va.

Fassin suivit Sal jusqu’au bureau de ce dernier, enfoncé dans la paroi de la bâtisse. Le décor était à la hauteur de ce que Fassin aurait pu imaginer s’il s’était donné la peine de réfléchir à la question. Beaucoup de bois, des lumières rasantes et tamisées, des trucs encadrés et un bureau démesuré. Dans un coin, des bouts de métal ou d’une quelconque matière brillante soudés ensemble de façon amusante. Des morceaux de vaisseaux spatiaux, supposa Fassin.

— Là.

— Où ? Qu’est-ce que je suis censé regarder ?

— Ça, répondit Sal en prenant une petite pièce de métal montée sur un socle en bois.

Fassin fit un très gros effort pour réprimer ses tremblements. Il était loin d’être aussi saoul qu’il tentait de le paraître.

— Ouais… C’est quoi ? surjoua-t-il, comme Sal ne semblait rien remarquer.

Saluus souleva l’étrange morceau de métal devant les yeux de Fassin.

— C’est le machin que j’ai pris dans cette saloperie d’épave, mec, dit-il en regardant l’objet fixement, avant de reprendre sa respiration, la lèvre tremblante. C’est le truc que…

Le salaud ne va pas tarder à craquer, pensa Fassin. Il lui posa la main sur l’épaule.