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— À ta place, je ne parlerais pas de cette racaille avec autant d’enthousiasme. Après tout, ils ont privé notre espèce de son droit d’aînesse.

— Ne t’emballe pas, Fim, intervint oncle Slovius. Tu sais, reprit-il en se retournant vers Fimender et en regardant du coin de l’œil le serviteur qui faisait comme si de rien n’était, si tes paroles étaient mal interprétées, tu pourrais être considéré comme l’allié des IA clandestines. Hum ?

Il sourit au grand-oncle, qui reprit sa place entre ses deux amis et prit un verre dans le panier à pique-nique.

— Ce serait un honneur, dit-il dans sa barbe.

Oncle Slovius se retourna vers Fassin.

— Les Voehns sont venus sur Terre il y a très, très longtemps, Fass. Avant que les humains construisent leurs premiers vaisseaux spatiaux, avant même qu’ils apprennent à naviguer sur les océans.

— C’était quand ?

— Il y a environ huit mille ans.

— En 4051 avant JC, répondit grand-oncle Fimender d’une voix à peine assez forte pour être entendue.

D’ailleurs, oncle Slovius parut ne rien entendre. Peut-être oncle Slovius et grand-oncle Fimender n’étaient-ils pas d’accord ? Fassin n’en était pas sûr. Quoi qu’il en soit, il rangea 4051 avant JC dans la case des dates importantes à retenir.

— Ils ont donc rencontré les humains sur Terre, reprit Slovius, et ils en ont pris quelques-uns dans leur vaisseau pour les emmener sur d’autres étoiles et planètes.

— Ils les ont kidnappés, oui ! rétorqua Fimender. Ils ont pris des échantillons, voilà !

On aurait dit qu’il se parlait à lui-même. De toute façon, Fassin ne comprenait rien à ce charabia. Les deux vieilles dames, elles, riaient.

— En fait, reprit oncle Slovius avec un sourire en coin, personne ne peut dire si ces humains ont été kidnappés ou non. Les peuples d’Égypte, de Mésopotamie et de Chine étaient trop primitifs pour comprendre ce qui leur arrivait. Ils ont probablement pris les Voehns pour des dieux et sont peut-être partis de bonne grâce. Et puis d’ailleurs, sont-ils réellement partis ? Les extraterrestres auraient très bien pu se contenter de cellules.

— Ou de bébés, de fœtus, de quelques milliers d’ovules fécondés, extirpés de force, continua grand-oncle Fimender. Merci, chère amie, je vous revaudrai ça ! Oups ! Bon ! allez, j’arrête…

— Il est fort possible que les Voehns aient emmené des humains vivants sur d’autres planètes, très loin de la Terre. Là, ces gens ont vécu en compagnie d’autres espèces qui, grâce à la Culmina, les ont aidés à devenir rapidement civilisés et à inventer toutes ces choses que les humains restés sur Terre ont aussi inventées. Mais, pendant tout ce temps, ces gens qui vivaient loin de chez eux savaient qu’ils appartenaient à une communauté galactique plus vaste. Compris ? lui demanda-t-il en levant le sourcil.

Fass hocha vigoureusement la tête. Il savait ce qu’était la communauté galactique : tout le monde.

— Donc les gens de la Terre ont continué de se développer et d’inventer des choses, dont les trous de ver et les portails…

— Le Vengeur traverse souvent des trous de ver et des portails, lui dit-il.

— Bien sûr. Donc, quand l’humanité a commencé à voyager dans l’espace et à rencontrer d’autres espèces intelligentes, avec lesquelles elle a pu former un vaste réseau de trous de ver, elle s’est rendu compte que les extraterrestres connaissaient déjà les humains. Parce que les Voehns en avaient laissé sur de nombreuses planètes.

— L’Autre humanité, les aHumains, dit Fimender d’une voix amusée depuis la banquette arrière, comme s’il s’apprêtait à éclater de rire.

Oncle Slovius se tourna vers lui et le regarda longuement.

— Les termes importent assez peu, reprit-il, d’autant qu’ils peuvent parfois sembler bizarres.

— Oh, les termes ont été soigneusement choisis pour qu’on reste à notre place, pour qu’on n’oublie jamais ce qu’on leur doit, commenta grand-oncle Fimender.

— La Culmina nous a dit qu’elle avait chargé des gens de surveiller la Terre après le retour des Voehns chez eux. Histoire qu’il ne lui arrive rien de fâcheux, comme par exemple être heurtée par un gros rocher.

Grand-oncle Fimender eut un rire cassant, pareil à un toussotement.

— Facile à dire.

Fass se retourna vers son grand-oncle. Il voulait que Fimender se taise pour pouvoir écouter tranquillement ce qu’oncle Slovius avait à dire, mais en même temps, le premier semblait commenter ce que racontait le second – même s’il ne comprenait pas tout ce qui se disait. C’était un peu comme s’ils étaient à la fois en accord et en désaccord. Fimender lui fit un clin d’œil et désigna Slovius du menton.

— Écoute, écoute, chuchota-t-il.

— Les humains de la Terre ont donc fini par voler dans l’espace et par découvrir qu’il y avait des êtres intelligents partout. Des êtres comme nous, par exemple ! ajouta-t-il avec un sourire franc.

— Et les humains de l’espace étaient beaucoup plus nombreux que ceux qui se prenaient pour les seuls humains de l’univers, dit grand-oncle Fimender d’un ton moqueur.

Oncle Slovius soupira et se contenta de regarder droit devant lui.

La navette volait au-dessus de montagnes enneigées. Plus loin s’étendait une sorte de désert circulaire. Oncle Slovius ne paraissait plus avoir envie de parler, aussi Fassin changea-t-il de position et se retourna-t-il vers son grand-oncle.

— Ces soi-disant pHumains avaient une technologie plus avancée. En revanche, c’était une bande de trouillards, une espèce de serviteurs. Comme les autres, d’ailleurs. On était loin des rêves de grandeur et d’expansion sauvage. Depuis l’aube de l’humanité, on n’a cessé de se poser la même question : « Où sont les autres ? – Partout, mon capitaine ! » Dans cette grande partie de poker galactique, la mise minimum était un trou de ver, aussi avons-nous dû retrousser nos manches et nous mettre au travail. Cela nous a permis de découvrir que « partout » signifiait vraiment « partout », et que tout ce qu’on voyait – et même ce qu’on ne voyait pas – appartenait déjà à un trou du cul. Chaque caillou, chaque planète, lune ou étoile, chaque comète, nuage de poussière ou naine, et même le vide intersidéral était la demeure d’un couillon. Tu atterris sur un tas de cendres oublié des dieux, tu sors ta pelle pour creuser, bâtir quelque chose, exploiter le terrain, et là, tu vois un extraterrestre à deux têtes pointer le bout de ses deux nez pour te dire d’aller te faire foutre. Le tout en brandissant un flingue. Ou mieux, en menaçant de te poursuivre en justice !

Il n’avait jamais entendu son grand-oncle parler autant. Difficile de dire s’il lui racontait tout cela à lui ou bien s’il s’adressait à oncle Slovius ou à ses deux copines. Son regard était rivé sur la tablette dépliée devant lui, ou peut-être sur le carafon et le verre qui étaient posés dessus. Il semblait triste. Les deux dames le caressèrent, et l’une d’elles lui passa la main dans les cheveux, qui, malgré leur noir intense, trahissaient son âge avancé.

— La Préparation, qu’ils ont appelé cela…, se dit-il à lui-même ou bien à la tablette. Un putain de kidnapping, oui ! On emmène des gens, on les séquestre. On nous laisse bâtir des rêves avant de tout nous retirer.

Il secoua la tête et but le contenu de son verre scintillant.

— La Préparation ? demanda Fass pour vérifier s’il avait bien compris.

— Hum ? Oui, la Préparation.

— C’est quelque chose qui dure depuis des temps immémoriaux, dit oncle Slovius d’une voix douce.

Fass se demanda à qui il s’adressait.