La discussion se poursuivit, mais il ne l’écouta que d’une oreille, car il était trop occupé avec son écran. S’il avait eu la permission d’emmener des jouets, il aurait très certainement pris Robopot’, mais ces satanés adultes le forçaient à se servir d’un moniteur. Alors, il regardait des lettres, des nombres, des choses diverses (oncle Slovius et grand-oncle Fimender papotaient toujours).
Il ne voulait pas parler tout haut ; il voulait tapoter sur l’écran comme le faisaient les adultes. Il essaya quelques touches. Rapidement, il fit apparaître de petits livres, à côté desquels on pouvait voir un garçon et une oreille. Le garçon était un peu débraillé. Il tenait un bol de drogue et sa tête était entourée de minuscules satellites tournoyants et autres choses volantes. Voyons, voyons…
— Préparation, dit-il en appuyant sur la touche Texte.
L’écran afficha :
PRÉPARATION. Procédé très ancien mis récemment en pratique par la Culmina et consistant à prélever des individus d’espèces précivilisées (habituellement sous forme embryonnaire ou clonoclastique) pour les assujettir / les réduire en esclavage / en faire des mercenaires / les éduquer. Lorsque leur espèce d’origine atteint le stade galactique et qu’elle rencontre dans l’espace des congénères au moins aussi civilisés / technologiquement avancés (et souvent plus nombreux), elle est supposée se sentir redevable envers ses mentors (lesquels affirment souvent l’avoir protégée contre d’éventuelles comètes ou autres fléaux venus de l’espace). Cette pratique a déjà été bannie par le passé (voir lois pangalactiques et Conseil galactique) mais tend à réapparaître lorsque la civilisation recule. La Préparation est parfois appelée Élévation ou Éducation agressive. Voir aussi : pHumains et aHumains (premiers et autres humains).
Et ce n’était que le début. Il se gratta la tête. Trop de mots compliqués. En plus, c’était une version édulcorée, pour les enfants. Il aurait peut-être dû chercher un site pour les plus petits.
Ils atterrissaient. Waouh ! Il n’avait même pas remarqué qu’ils étaient si près du sol. Le désert était couvert de navettes de tailles diverses. Mais il y en avait aussi des tas dans le ciel. Beaucoup de gens aussi.
Ils descendirent de l’appareil et marchèrent sur le sable. De nombreuses personnes choisirent de rester à bord de leur navette. Bientôt, il se retrouva sur les épaules d’oncle Slovius.
Au loin au centre d’un grand cercle s’élevait une haute tour au sommet de laquelle se trouvait une sorte de grosse goutte métallique. C’était la vilaine machine que la Cessoria avait retrouvée au fond d’une grotte, dans la montagne. (La Cessoria et les Purificateurs chassaient les mauvaises machines. Il avait essayé de regarder La Patrouille des Purificateurs plusieurs fois, mais il y avait trop de longs discours et d’embrassades.)
On laissa la vilaine machine au sommet de la tour faire une dernière déclaration mais, une fois de plus, il y avait trop de mots longs et compliqués. Il commençait à s’ennuyer et en plus, il avait chaud. Pas de jouets ! Oncle Slovius lui demanda et de se calmer et de se taire une fois, deux fois. Il tenta d’attirer son attention en l’étranglant avec ses cuisses et ses genoux, en vain. Maman et papa parlaient toujours à voix basse en roulant les yeux et en secouant la tête. Comme d’habitude. Grand-oncle Fimender et ses deux amies étaient restés dans l’appareil.
Alors, des Purificateurs assis dans une navette – des humains et un Whule pareil à une grande chauve-souris grise – dirent des choses, et la mauvaise machine fut enfin tuée. Mais cela ne fut pas très amusant. La boule devint toute rouge et commença à fumer. Puis il y eut un éclair – un petit éclair de rien du tout –, un « boum », et des morceaux de la chose tombèrent. Quelques personnes applaudirent, mais la plupart restèrent calmes. Le bruit de l’explosion se répercuta sur les montagnes environnantes.
Ils remontèrent à bord de la navette. Grand-oncle Fimender avait les yeux tout rouges. Il dit qu’à son humble avis nous venions d’assister à un crime terrible.
— Ah, jeune Taak. Quelle est donc cette histoire de fouille rendue impossible par l’éloignement ?
Braam Ganscerel, Voyant en chef du Sept Tonderon et, de ce fait, le plus important de tous les Voyants du système – et, accessoirement futur paterfamilias par alliance de Fassin –, était grand, mince et coiffé d’une crinière blanche. Il faisait plus jeune que son âge et portait ses mille sept cents ans à merveille. Son visage était anguleux, taillé au couteau ; il avait un grand nez, le teint pâle, cireux, transparent, les mains et les doigts longs, en apparence fragiles. Il avait l’habitude de se tenir bien droit, de marcher la tête haute et le torse bombé, car il refusait depuis longtemps de plier sous le poids de son grand âge et devant la perspective de sa fin. Son attitude le forçait néanmoins à pencher la tête en arrière, ne lui laissant d’autre choix que de regarder ses interlocuteurs de haut, le long de son nez splendide et monumental. Il s’appuyait sur deux longs bâtons noirs et luisants, comme s’il revenait tout juste d’une station de ski à la mode.
Avec ses longs cheveux blancs noués en chignon, sa peau diaphane et sa tenue de Voyant simple et élégante – bandes molletières noires, culottes et longue veste –, il paraissait frêle, distingué à l’extrême et à peine moins autoritaire qu’une divinité suprême, aux yeux de Fassin.
Il fit son entrée dans le mess des officiers du croiseur Pyralis dans un vacarme de coups de bâtons et de talons, suivi par une colonne de douze Voyants subordonnés – il y avait un nombre égal d’hommes et de femmes, mais tous étaient aussi déférents –, dont un Paggs Yurnvic souriant et dégingandé. Fassin avait participé à la formation de ce dernier qui, ayant passé moins de temps que lui auprès des Habitants, était maintenant son aîné, aussi bien en temps absolu qu’en apparence.
— Voyant en chef, dit Fassin en se levant et en s’inclinant à la limite de la courbette.
Le croiseur volait vers Troisième Furie, une lune située en orbite basse au-dessus de Nasqueron, d’où ils conduiraient leurs recherches – soit à distance, soit, si Fassin parvenait à se faire entendre, en combinant simulation et présence sur le terrain.
Braam Ganscerel avait beaucoup insisté sur le fait que son âge et son état physique ne lui permettaient pas de supporter des accélérations violentes – malgré les nacelles, gels protecteurs et autres combinaisons anti-g –, aussi le navire volait-il tranquillement à un g standard, ce qui équivalait à deux fois la gravité de ’glantine et un peu moins d’une fois celle de Sepekte. Même à cette vitesse plus que modeste, Ganscerel était forcé de s’aider de bâtons pour marcher – du moins était-ce ce qu’il répétait à tout le monde. Néanmoins, les circonstances étaient tellement graves qu’il pouvait bien faire ce petit effort. Fassin trouvait que ces bâtons lui donnaient des airs de Whule un peu guindé.
— Alors ? demanda le vieillard en s’arrêtant devant Fassin. Comment se fait-il que vous refusiez d’effectuer ces recherches à distance ? Où est le problème, Fassin ?
— Le problème, monsieur, c’est que j’ai peur.
— Peur ? fit Ganscerel en penchant la tête encore plus en arrière et en la laissant dans cette position.
— Peur que vous pointiez du doigt mon incompétence, que vous mettiez en doute mes capacités de Voyant Lent.
Braam Ganscerel ferma à moitié une paupière et considéra longuement Fassin.
— Vous vous moquez de moi, Fassin.
— Je suis bien meilleur sur le terrain, rétorqua celui-ci en souriant. Vous le savez.