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— Pensez-vous que cette fouille – ces fouilles, cette mission – sera un succès ? demanda-t-il.

— Non, Voyant en chef.

— Moi non plus. Pourtant, nous devons faire tout notre possible, même si les chances de succès sont minces et que l’échec est presque assuré. Nous devons donner le meilleur de nous-mêmes, éviter d’offenser ceux d’en haut et de ternir la réputation des Voyants Lents, tout faire pour ne pas compromettre notre avenir. Tout cela est à notre portée, vous serez d’accord avec moi ?

— Jusque-là, oui.

— Si vous êtes intimement persuadé qu’il est de votre devoir de vous rendre sur Nasqueron, je ne vous en empêcherai pas. Mais je ne vous soutiendrai pas non plus, car je persiste à croire que cela n’en vaut pas la peine. Dans d’autres circonstances, je vous aurais simplement ordonné de mettre en pratique ce qu’exigent les autorités de notre corporation. Toutefois, votre mission vous a été confiée par des gens très haut placés – extrêmement haut placés, même –, ce qui change tout. Essayez quand même de travailler à distance. Vous serez peut-être surpris. Faites-vous une opinion. Je ne tenterai pas de vous faire changer d’avis. Ainsi vous serez entièrement responsable de ce qu’il adviendra.

Le vieil homme lui fit un clin d’œil et se retourna pour parler au capitaine du croiseur.

Fassin aurait donc le soutien passif de Ganscerel. Mais, dans ce cas, pourquoi était-il incapable de se réjouir ?

Le Pyralis transperça l’ombre magnétique protectrice de Troisième Furie, petite sphère de roche et de métal de vingt kilomètres de diamètre, qui orbitait cent vingt mille kilomètres au-dessus de la couche nuageuse blafarde de Nasqueron. La géante gazeuse emplissait littéralement le ciel. Sa masse arrondie était comme un mur infranchissable, et ses ceintures et zones dépressionnaires composées de nuages tournoyants, entremêlés, semblaient prisonnières d’une couche de glace parfaitement transparente.

Troisième Furie n’avait pas vraiment d’atmosphère, et sa gravité était infinitésimale. Le croiseur aurait presque pu s’arrimer directement à la base des Voyants, sur la face de la lune constamment tournée vers Nasqueron. Toutefois, le transfert se fit à bord d’un petit transport de troupes. Le Pyralis attendrait à quelques kilomètres de là, dans l’espace, tel un nouveau satellite. Son escorte constituée de deux croiseurs légers et de quatre destroyers prit position quelques dizaines de kilomètres plus loin. Leurs orbites se croisaient, dessinaient des motifs géométriques complexes. Lorsque les vaisseaux passaient devant le visage illuminé de la géante, on distinguait à peine leurs silhouettes graciles.

Troisième Furie avait été bâtie, ou plutôt développée, des milliards d’années plus tôt à partir d’un rocher qui était là. Elle était l’œuvre de l’une des toutes premières espèces à avoir voulu rendre hommage à la cour des Habitants de Nasqueron. Les Habitants étaient la plus répandue des espèces vivant sur des planètes. Ils étaient présents sur presque toutes les géantes gazeuses de la galaxie – et Dieu savait qu’elles étaient nombreuses. Cependant, sur les quatre-vingt-dix millions de planètes colonisées par les Habitants, il n’en était que huit dont la population était disposée à accueillir les petits curieux qui se demandaient pourquoi ce peuple si sage ne s’intéressait pas du tout à ce qui se passait dans le reste de la galaxie civilisée.

Enfin « pas du tout » n’était pas l’expression appropriée, car les Habitants abhorraient les extrêmes. Ils ne vivaient donc pas complètement à l’écart de la société galactique. Ils recherchaient, rassemblaient et stockaient d’énormes quantités d’informations. Pourtant, il ne semblait y avoir aucune logique dans ce travail colossal, cette accumulation de données totalement désordonnées. Ils étaient d’ailleurs incapables de le justifier ou de l’expliquer, et ne comprenaient pas qu’on leur posât ce genre de question.

Depuis la nuit des temps – si l’on en croyait les archives de toutes les espèces qui peuplaient la galaxie –, il y avait toujours eu des Habitants pour accepter de nouer le contact avec l’extérieur, pour faire commerce d’informations. Mais ces êtres étaient volubiles, capricieux et excentriques, aussi était-il difficile de compter sur eux à chaque moment. Depuis la fin de l’Âge de la Première Diaspora, depuis que l’univers et la galaxie avaient deux milliards et demi d’années, les Habitants avaient toujours constitué un sujet d’étude pour de nombreux chercheurs. Néanmoins, il n’y avait jamais eu plus de dix centres de recherche à la fois.

Pour eux, les interlocuteurs acceptables allaient et venaient.

Les Habitants étaient une espèce Lente, à savoir une espèce capable de maintenir son niveau de civilisation élevé pendant au moins des millions d’années. Ceux qu’ils acceptaient chez eux, à qui ils étaient disposés à parler et avec lesquels ils échangeaient des informations étaient le plus souvent des Rapides, des êtres issus de civilisations mineures, destinées à disparaître après quelques dizaines de milliers d’années d’existence – dans le meilleur des cas. Les Habitants toléraient également certains individus issus d’autres espèces Lentes, mais c’était beaucoup plus rare. Il se disait que, malgré leur patience légendaire – on ne pouvait pas coloniser la galaxie en voyageant à un pour cent de la vitesse de la lumière (sans compter les pauses) sans être extrêmement patient –, ils savaient montrer des signes de lassitude lorsqu’ils accueillaient des visiteurs. Aussi en sélectionnant principalement des interlocuteurs Rapides étaient-ils assurés de les voir très vite partir. Dans l’esprit d’un Habitant, un visiteur légèrement ennuyeux pouvait rapidement – enfin, de leur point de vue – être perçu comme une véritable nuisance.

Depuis mille six cents ans environ – soit le temps d’un demi-clignement d’œil –, les humains étaient acceptés chez les Habitants de Nasqueron, dans le système Ulubis. Leur présence était tolérée, leur compagnie supportée, leur sécurité presque toujours garantie. En revanche, leurs questions et leurs recherches menées dans des banques de données au classement en apparence aléatoire n’étaient pas toujours prises au sérieux et faisaient parfois l’objet de moqueries. Parfois même, les Habitants prenaient un malin plaisir à mettre des bâtons dans les roues des chercheurs.

Le fait que ces petits jeux, ces cachotteries, ces menues entraves fussent perçus de façon si disproportionnée par les humains concernés – qui voyaient en eux des obstacles quasi impossibles à franchir, des problèmes d’une complexité décourageante – montrait qu’il existait un abîme entre une civilisation qui connaissait l’univers par cœur depuis toujours, et une autre qui ne le parcourait que depuis deux mille ans.

L’on avait certes essayé d’autres approches.

Soudoyer des créatures que le concept de monnaie amusait à peine avait de quoi décourager le plus entreprenant et talentueux des arbitragistes. Les Habitants avaient créé un système dans lequel le pouvoir était plus ou moins distribué au hasard, et où l’autorité et l’influence venaient automatiquement avec l’âge. Un système difficile à corrompre, en somme.

De temps à autre, il arrivait qu’une espèce tentât de prendre par la force et les armes ce que les chercheurs obtenaient après un travail acharné et respectueux. Mais la force – cela avait été démontré de nombreuses fois – ne fonctionnait pas avec les Habitants. Ils ne ressentaient aucune douleur, n’étaient pas particulièrement attachés à la vie (la leur, comme celle des autres) et semblaient partager l’idée selon laquelle, en cas d’agression extérieure, il fallait résister jusqu’à son dernier souffle, jusqu’au dernier individu, sans fléchir. Ce principe était ancré en eux au niveau cellulaire.