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Fassin leva les yeux vers les courbes gracieuses de son appareil. Comme il a l’air petit, se dit-il. C’est un endroit minuscule pour y passer des années… des décennies… des siècles… Ils atterrirent. Plus expérimenté, Apsile plia les genoux juste ce qu’il fallait. Fassin, lui, rebondit.

Le scaphandre géant dut pivoter pour passer par l’ouverture de la soute, avant de reprendre sa position normale avec force tournoiements d’hélices et sifflements d’air.

— Je dois dire que, personnellement, je préférerais pénétrer réellement cette atmosphère, je veux dire, pour de vrai. Sans simulation, cria le colonel.

— Oui, dit Fassin. Je suis du même avis.

— Eh bien, bonne chance dans vos négociations ! ajouta l’Oerileithe.

— Merci. J’ignore si cela suffira, mais j’aurai effectivement besoin de chance.

Quelques heures plus tard, il eut tout juste le temps de se dire que sa malchance venait de lui fournir l’occasion dont il rêvait. Avant de fuir pour sauver sa peau.

* * *

Les autres finirent par le persuader. Thay, Sonj et Mome partaient tous. Alors, pourquoi pas lui ? Était-il nerveux ? Ou un peu fainéant ?

Non, il n’était ni nerveux, ni fainéant – du moins, pas à ce point. Il voulait juste rester dans le nid pour attendre K qui, reliée à un traumalyser et un subsal, était sur le point de sortir de sa transe. Attachée avec douceur, elle flottait dans un courant d’air soufflé par son aérofauteuil, son corps mince et gracieux en position quasi fœtale, les bras ballants, les cheveux châtains noués à la pointe formant une sorte de capuchon de cobra autour de son visage, qu’ils couvraient et découvraient tour à tour. Le filet à RMN était comme une main munie d’une bonne vingtaine de doigts argentés, qui lui soutenaient l’arrière de la tête. Le tube transparent du subsal disparaissait dans un implant neural dissimulé derrière son oreille gauche. Les yeux de K bougeaient languissamment derrière ses paupières, et son visage figé souriait.

À ce stade-ci du processus, c’était un peu comme si elle remontait d’une longue plongée effectuée à des profondeurs abyssales, progressivement, en nageant sur des kilomètres vers la surface et la lumière. Il était possible de se mettre à l’eau pour rencontrer le plongeur sans se soumettre complètement, sans atteindre l’état de paralucidité induit par les substances chimiques et la machine à RMN. Cela revenait, en quelque sorte, à nager avec un tube respiratoire, pendant que l’autre, doté de branchies virtuelles, continuait son bonhomme de chemin vers la plage qu’était la réalité.

— Hé ! Fass ! lui envoya-t-elle lorsqu’il plongea pour la rejoindre en mettant autour de son cou un col à RMN et en devenant une partie intégrante de son expérience évanescente.

Elle était partie depuis un jour et demi. C’était très long.

— Tu es venu à ma rencontre ? Merci !

— Tu t’es bien amusée ?

— Plus encore que tu ne l’imagines. Devine où je suis allée ?

Il lui envoya l’équivalent d’un léger haussement d’épaules.

— J’ai effectué une fouille ! J’ai fait comme les Voyants, je suis allée sur Nasqueron ! Enfin non, ce n’était pas vraiment Nasq, mais une autre géante gazeuse appelée Furenasyle. C’est la planète qui a servi de modèle à la simulation. Tu as entendu parler de Furenasyle ?

— Ouais, c’est un centre d’étude célèbre. Donc tu as rêvé que tu étais là-bas ? Pour fouiller, comme les Voyants ?

— Exactement. Cela paraît tellement extraordinaire quand tu en parles, Fass. C’était génial ! La meilleure… Non, la deuxième meilleure expérience de ma vie !

K lui envoya un sourire complice et satisfait. Il voyait parfaitement ce qu’elle voulait dire. Ils avaient fait cette expérience ensemble. Une immersion commune dans ce qu’ils ressentaient l’un pour l’autre. Dans ce qu’ils étaient supposés ressentir l’un pour l’autre. De fait, c’était toujours délicat, car on pouvait toujours mentir, surtout si l’on choisissait le bon programme pour le traumalyser et qu’on l’accompagnait de substances chimiques adéquates. De cette façon, il était même possible de plonger dans la béatitude la plus profonde deux personnes qui se détestaient cordialement. Entre eux deux, cela s’était bien passé. Bien, mais pas au point de lui donner envie de recommencer. Il trouvait un peu suspect ce type d’expérience virtuelle, en particulier lorsqu’elle impliquait l’usage d’un subsal, qui se chargeait de synthétiser en temps réel les molécules nécessaires. C’était la réalité virtuelle – la RV – dans toute sa splendeur. Enfin, pour ceux qui se contentaient des produits légaux ou semi-légaux.

— Tu devrais essayer ! Vraiment ! Ce serait comme un entraînement pour toi, tu ne crois pas ?

— Oui, sans doute. Je ne sais pas encore si c’est à ça que je vais consacrer ma vie, mais tu sembles m’y encourager.

— Si la réalité ressemble à ce que j’ai vécu, fonce les yeux fermés !

Il n’en était pas sûr. Il était encore jeune et changeant. Devait-il devenir Voyant Lent comme tout le monde semblait le souhaiter, y compris les gens qui partageaient son nid sur l’Hab 4409 (l’« Hab de la joie ») ? Ou bien choisir une voie complètement différente ? Il ne savait toujours pas. Le fait que tout le monde s’attendît à ce qu’il devienne Voyant après sa jeunesse tumultueuse – réellement tumultueuse, ce qui ne pourrait pas durer éternellement – lui donnait envie de foncer dans une autre direction. Quoique, « foncer » était peut-être un terme légèrement excessif, force lui était de l’admettre. Disons que ces perspectives d’avenir ne l’emballaient guère. Oui, voilà, il n’était pas emballé. Alors, pourquoi ne pas partir et faire quelque chose de totalement différent, d’inattendu ? Il n’avait qu’à essayer diverses possibilités avant de faire un choix définitif.

— Écoute, je vais probablement aller à la manifestation avec les autres. Donc, à moins que tu aies besoin de moi…

— Non, non, ne t’inquiète pas. Vas-y. Je serais venue aussi, mais je dois d’abord sortir de là. La dernière fois que j’ai mariné là-dedans, je n’étais pas belle à voir. Bah !

— D’accord. À plus tard.

— À plus tard !

Il quitta le nid.

Le nid – une nacelle à faible gravité composée d’une quarantaine de sphères abritant une communauté humaine d’oisifs, de marginaux, d’accros aux simulations, de rebelles, de bosseurs et d’ivrognes – se trouvait près de l’axe de l’Habitat, du côté ouest – ou arbitrairement désigné comme tel –, pas très loin du tube lumineux. Officiellement, il appartenait à la mère d’un de ces pseudo-rebelles, mais, officieusement, il était la propriété de la République populaire immature de Machin-chose (des documents semi-officiels et des logiciels étaient là pour le prouver).

L’Hab 4409 faisait partie des centaines de milliers d’Habitats qui orbitaient autour de Sepekte. Il s’agissait d’un cylindre de cinquante kilomètres de long et dix de diamètre, dont la base était constituée d’un astéroïde remodelé. L’ensemble tournait sur lui-même de façon à créer une gravité naturelle équivalente à deux tiers de g sur la face interne de sa coque. Il tournoyait dans la lumière du soleil, tel un rouleau de jardin écrasant les photons. À chaque extrémité de la structure, des lentilles réfléchissantes de douze kilomètres de diamètre faisaient face à Ulubis, comme des fleurs incroyablement fines et fragiles. Des miroirs aiguillaient ensuite la lumière vers des panneaux en diamant, qui la laissaient pénétrer le long de l’axe, où un autre ensemble de miroirs, glissant d’une extrémité à l’autre de l’astéroïde, éclairaient sa surface interne en recréant l’illusion d’une journée planétaire. Parfois, la lumière n’atteignait jamais la surface, car une grappe de nids se dressait en travers de son chemin.