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— Beaucoup de quoi mécontents ? demanda Mome.

— Beaucoup d’offs, répéta Thay.

— J’ai bien entendu le mot, dit Mome dans un soupir. C’est le sens qui m’a échappé. Ah oui ! reprit-il en claquant des doigts. « Off » signifie « officier », c’est cela ?

— Exact.

— J’en étais sûr. Tu peux continuer.

— Oui, cette méthode déplaît à beaucoup de nos offs. Mais c’est comme ça, ajouta-t-elle en hochant la tête. Les Dissidents nous attaquent pour que nous soyons constamment sur la défensive. Du moins, c’est ce que dit ma cousine Lain.

— Écoutez-moi cette bande de traîtres ! s’exclama Mome en se plaquant les mains sur les oreilles. Un jour, je vous le dis, on va tous se faire coffrer !

Ils rirent.

— Au moins, nous avons la liberté de dire ce genre de chose, remarqua Fassin.

Mome eut alors son célèbre rire creux.

Sur la place centrale, Fassin salua des gens, s’enivra de la solidarité ambiante, de la fête – beaucoup de costumes amusants, de mannequins empaillés et de ballons (avec banderoles et slogans, haut-parleurs hurlants et narconfettis) – mais persista à se sentir étrangement à l’écart. Il regardait au-dessus et autour de lui, ignorant les gens – pour la plupart, des humains – et le cercle de bâtiments hémisphériques et brillants.

L’Hab était une ville géante et verdoyante construite dans un tube tournoyant, avec de petites collines, de nombreux lacs, des avenues qui s’entrecroisaient au pied d’immeubles modestes dotés de jardins suspendus, des rivières serpentines, des tours effilées et droites, des résidences qui montaient très haut et suivaient la courbe de l’astéroïde jusqu’au sommet, où elles rejoignaient d’autres bâtiments, dont la base se trouvait du côté opposé. Des grappes de nids – entourés de miroirs et sillonnés par des métros à friction, dont les tunnels figuraient les lianes d’une jungle artificielle – étaient concentrées le long de l’axe. En contrebas flottaient des bulles dirigeables semblables à des nuages transparents.

Alors, Fassin entendit une sorte de cri à la limite de la foule, près du palais du Diégésien, où étaient concentrés la plupart des manifestants. Il avait bien remarqué une odeur étrange, mais ce n’était probablement qu’une drogue disséminée par les ballons qui croisaient au-dessus de leurs têtes, une drogue contre laquelle son système nerveux était immunisé. Puis il comprit qu’il ne s’agissait pas de cela. Les ballons avaient tous disparu, et le tube solaire était en train de s’éteindre, ce qui, normalement, n’arrivait jamais. Il entendit beaucoup de bruits bizarres, dont certains auraient pu être des cris. La température paraissait avoir chuté brutalement, ce qui était également très étrange. Les gens le cognaient, lui donnaient des coups d’épaule en courant, lui tombaient dessus, et il comprit qu’il était Fassin ?, comprit qu’il était Fassin et qu’il était étendu sur le sol, qu’il était Fassin et qu’on le cognait de plus belle, que lui, Fassin, essayait de se relever, car il était Fassin, oui, qu’il était à genoux, qu’il tentait de se mettre debout tant bien que mal – il titubait, se sentait bizarre, se demandait pourquoi ces gens étaient tous allongés par terre tout autour de lui. Alors, on le bouscula, et il se retrouva au sol. Le coupable était un homme en armure gris acier armé d’une grande matraque, un homme sans visage, au-dessus duquel voletaient deux drones, un homme qui vaporisait un gaz tout en produisant un bruit terriblement aigu, un bruit auquel il – Fassin ! – aurait voulu échapper. Mais il avait mal au nez, aux yeux, partout, et ne savait pas quoi faire. Il était Fasssin, il était là, et le grand type armé de sa matraque longue comme une lance approchait. Il se relevait et se disait bêtement qu’il – Fassssin ? – pourrait lui demander ce qui arrivait à Faaaassssiiinnn ? lorsque l’homme brandit son arme et le frappa au visage, lui cassant quelques dents et le projetant au sol.

— Fassin ?

Son nom finit par le sortir de son hébétude.

— De retour parmi nous ? Bien.

Il s’agissait d’un petit homme assis dans un énorme fauteuil, derrière un bureau métallique étroit. La pièce était trop sombre, même pour ses implants IR. Néanmoins, la manière dont la voix du petit homme résonnait laissait penser qu’il s’agissait d’une toute petite pièce. Fassin avait conscience que son visage, et en particulier sa bouche, le faisaient atrocement souffrir. Il voulut s’essuyer les lèvres. Il regarda en bas. Il ne pouvait pas bouger parce que ses avant-bras étaient – il chercha longuement le mot approprié – entravés ? Ses avant-bras étaient attachés à sa chaise. Qu’est-ce que cela voulait dire ? Il se mit à rire.

Quelqu’un lui tabassa le squelette. Tous les os de son corps résonnèrent à l’unisson, tandis que sa chair et ses organes lui donnaient l’impression de se trouver ailleurs. Un enfoiré, ou plutôt une belle bande d’enfoirés étaient en train de cogner ses os à coups de marteau. La douleur s’en fut presque aussi brusquement qu’elle était apparue, ne laissant derrière elle qu’un écho dans son système nerveux.

— Qu’est-ccce que ccc’est que ççça ? demanda-t-il au petit homme d’une voix positivement comique.

Il lui manquait des dents, et sa langue ressortait par les trous de sa bouche. Deux trous, un chicot branlant. Il tenta de se rappeler combien de temps il fallait à un adulte pour faire repousser ses dents. Le petit homme semblait du genre enjoué, avec sa bouille pouponne et grassouillette, et ses joues roses. Il avait les cheveux noirs coupés très court et portait un uniforme qui ne dit rien à Fassin.

— Ze rêve, ou vous êtes en train de me torturer ? demanda-t-il.

— Non, répondit l’homme d’un ton très raisonnable. J’essaie juste d’attirer votre attention.

Sa main se déplaça sur son bureau. Les os de Fassin s’entrechoquèrent littéralement. Ayant fait cette expérience deux fois, ses nerfs décidèrent que ce n’était vraiment pas drôle, et la douleur mit bien plus longtemps à se résorber.

— D’accord ! D’accord ! s’entendit-il dire. Z’ai pizé, z’ai pizé ! Putain, j’ai pigé ! répéta-t-il en adaptant sa prononciation à sa nouvelle denture.

— Ne jurez pas, dit le petit homme en lui refaisant mal.

— D’accord ! cria-t-il.

Sa tête pendait mollement. De la morve coulait de son nez ; de la salive et du sang, de sa bouche.

— Je vous prie de ne pas jurer, répéta l’homme. Un langage ordurier est le signe d’un esprit malsain.

— Pu… Dites-moi ce que vous voulez de moi.

Était-ce la réalité ? Ou bien était-il dans une étrange simulation depuis sa conversation avec K, un peu plus tôt dans la journée ? Voilà ce qui arrivait lorsqu’on se procurait des programmes de RV trop bon marché et des copies illégales. À moins que tout fût vrai. En tout cas, il avait réellement mal. Il regarda ses jambes, les ourlets de son short couverts de sang, de mucus et de morve. Il distinguait les poils de ses cuisses. Certains étaient dressés ; d’autres, collés à sa peau. Il voyait même ses pores. Cela signifiait-il que tout était vrai ? Non, cela ne voulait rien dire. Les simulations ou autres RV dépendaient toutes du fait que l’esprit ne pouvait se concentrer que sur une chose à la fois. Le reste n’était qu’illusion. La vue, le plus complexe des sens humains, faisait cela depuis des millions d’années. On pensait avoir une vision en couleurs et en détail, mais c’était en partie faux. Seule une petite partie de notre champ de vision bénéficiait d’une image en couleurs naturelles. Le reste n’était que du noir et blanc un peu flou.