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— Et si je refuse ?

— Si vous ne signez pas cette déclaration ?

— Oui.

— Sérieusement ?

— Sérieusement.

— Votre cas ne sera plus de mon ressort. On vous mettra entre les mains de personnes qui prennent réellement plaisir à faire ce genre de chose…

Cette fois-ci, lorsque la main du petit homme se déplaça sur son bureau, Fassin hurla de douleur. Il se mordit la langue. Un goût de fer et un liquide chaud lui emplirent la bouche.

— Parce que moi, reprit l’homme d’un ton las, ce n’est pas trop mon truc.

À la fin, Fassin signa. Il savait qu’il en arriverait là.

Le petit tortionnaire eut l’air satisfait ; deux grosses geôlières entrèrent pour détacher Fassin et l’aider à se relever.

— Merci, monsieur Taak, dit l’homme en lui attrapant la main et en la secouant avant que les femmes n’aient eu le temps de l’emmener. Je déteste vraiment ces tracasseries, et je suis très heureux lorsque je tombe sur quelqu’un d’aussi coopératif et sensé que vous. Essayez de ne pas trop m’en vouloir. Bonne chance à vous.

On le doucha, le soigna et, après une visite médicale et un bol de soupe, on le laissa partir vêtu d’une combinaison aussi fine que du papier. Il regarda autour de lui comme on le poussait à l’extérieur – enfin, ce qui passait pour l’extérieur dans cet Habitat. Pendant tout ce temps, il avait été quelque part dans le palais du Diégésien.

* * *

De retour dans le nid. Bouleversement. L’endroit avait été visité, saccagé. Tout avait été brisé ou vaporisé de glue antiémeute puante et vomitive. Alors, ils allèrent dans un bar et évitèrent de parler de la manifestation et de ce qui avait suivi. Ils évoquèrent néanmoins des rumeurs de disparitions, d’assassinats.

K n’était pas là. Elle avait été passée à tabac lorsque les soldats avaient débarqué dans le nid. Après trois semaines passées dans un hôpital carcéral, elle avait fini par se tuer avec un morceau de verre.

Fassin n’apprit la vérité que des mois plus tard. On avait plongé K dans une simulation de cauchemar. Quelqu’un qui était venu avec les soldats – ou même peut-être l’un d’entre eux – l’avait découverte en train de flotter et avait modifié les réglages du traumalyser et du subsal pendant que ses camarades la tenaient et la rouaient de coups. Le type qui avait trafiqué le traumalyser devait avoir sur lui les puces nécessaires aux modifications qu’il avait apportées. Ensuite, ils l’avaient abandonnée, attachée et ensanglantée, à un cauchemar frénétique plein d’horreurs, de viols et de tortures.

Lorsque cette histoire fut dévoilée, ils vivaient chacun de leur côté et faisaient des boulots sérieux. Ils parlèrent de porter plainte, de lancer une enquête, d’organiser une manifestation.

Fassin retourna sur ’glantine, où il s’inscrivit au stage préparatoire qui devait lui permettre de devenir Voyant. Comme il lui restait du temps avant la rentrée, il refit un séjour dans son ancien Habitat, puis se rendit à Boogeytown sur Sepekte, où il s’adonna à la boisson, à la drogue, au sexe, tout en menant une enquête habile et discrète, et en traînant dans des endroits choisis afin de rencontrer certaines personnes. Apparemment, sans même s’en rendre compte, il passa avec succès plusieurs tests, jusqu’au soir où il fut présenté à une fille qui se faisait appeler Aun Liss.

* * *

— Fassin !

Son prénom le tira du sommeil. Troisième Furie. Sa cabine. La nuit noire. Un bruit métallique. Le moniteur indiquait quatre heures. Il était rouge et clignotait. Quelqu’un avait parlé ?

— Quoi ? demanda-t-il en défaisant ses sangles et en se redressant pour flotter vers le centre de la cabine.

— C’est Herv Apsile, dit une voix semblable à celle de ce dernier, mais tout excitée et inquiète. Nous avons un problème. Je crois qu’on nous attaque.

Merde. Fassin enfila des vêtements et demanda aux lumières de s’allumer.

— Ce putain de bruit métallique, c’était l’alarme.

— En effet.

— Vous appelez depuis le centre de commandement ?

— Oui.

— Qui sont-ils ?

Une lumière s’alluma au-dessus d’un placard, dont la porte s’escamota pour révéler une combinaison de survie.

— Aucune idée. Mais deux navires ont déjà été vaporisés. Mettez votre combinaison et…

Les lumières – toutes les lumières – clignotèrent, menacèrent de s’éteindre. Le moniteur, lui, ne se ralluma pas. Un tremblement secoua la cabine. Dans la salle de bain, quelque chose se brisa avec un craquement sec.

— Vous avez senti ? Vous êtes toujours là ? demanda Apsile.

— Oui et oui, répondit Fassin en examinant la combinaison.

— Apprêtez-vous et laissez-vous glisser par le conduit d’urgence jusqu’à l’abri du complexe. Vous m’avez entendu ? Fass ?

— Oui, je suis là, finit par répondre ce dernier en se préparant. Herv, c’est ce que vous allez faire ?

— C’est ce que nous sommes supposés faire tous les deux.

Une autre secousse ébranla toute la cabine. Même l’air tremblotait comme de la gelée.

L’alarme se tut, mais d’une manière étrangement inquiétante.

Un éclair traversa le moniteur, qui couina. Fassin sortit la combinaison de son placard.

— Où en est le hangar principal ? demanda-t-il.

— Il est intact. J’ignore ce qui nous tombe dessus, mais cela semble venir de derrière, dans le sens de rotation de Nasq.

— En s’enfonçant dans le complexe, on se rapprocherait des points d’impact, donc.

Était-ce un courant d’air ? Il entendait un genre de sifflement. Il fixa le col de la combinaison autour de son cou et laissa le casque se déployer. Un voile lui couvrit alors l’ouïe et la vue, jusqu’à ce que le casque, jugeant que la situation n’était pas encore dangereuse, se dote d’ouvertures pour lui permettre de respirer, de voir et d’entendre à l’extérieur. Enfin, la partie avant du dispositif s’affina et devint parfaitement transparente.

— Pour l’instant, oui, confirma Apsile. Si la trajectoire des projectiles reste constante, nous ne serons directement menacés que dans deux heures.

Fassin enfila la combinaison, la laissa se connecter au col, s’ajuster aux proportions de son corps en se distendant et en se contractant. Elle était vraiment très confortable.

— C’est ce que vous voulez faire, Herv ? Vous terrer avec les autres comme des souris dans un trou en espérant que le chat ne viendra pas vous chercher ?

— J’exécute les ordres.

— Je sais. Personnellement, j’ai d’autres projets.

Il y eut une pause. Une autre secousse ébranla violemment la cabine. La porte principale s’ouvrit toute seule vers l’intérieur, révélant une volée de marches. La pause se prolongea.

— Herv ? appela-t-il en jetant un regard circulaire sur la cabine, histoire de voir s’il n’oubliait rien. Herv ?

— Rendez-vous là-bas.

Une lumière blanc-bleu intense se découpa sur la toile de fond de Nasqueron, illumina le hangar aux parois luisantes, accentua ses contours et ses angles aigus et projeta des ombres longues et noires alentour. Fassin sursauta. La lumière faiblit rapidement, tournant au jaune, puis à l’orange. On aurait dit un minuscule soleil en train de mourir entre la géante gazeuse et sa lune.