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Le colonel Hatherence se pencha vers Fassin.

— Cette histoire de réputation, c’est vraiment ce qui compte lorsqu’ils doivent prendre une décision ?

— J’en ai bien peur.

— C’est donc vrai ! Moi qui croyais que c’était une blague…

— Faire la différence entre le sérieux et le futile n’est pas le fort des Habitants.

Y’sul recula, mais ne parvint pas à refermer la fenêtre. Ses vannes bourdonnèrent faiblement lorsqu’il se rapprocha d’eux.

— Confiez-moi ce message, dit-il. Je me chargerai de l’expédier.

— Via un émetteur-récepteur éloigné ? demanda Fassin.

— Bien sûr !

— Très bien. Contactez le Sept Bantrabal, dites-leur que je vais bien et demandez-leur comment cela se passe de leur côté. Je suppose qu’ils sont déjà au courant pour Troisième Furie. Demandez-leur aussi s’ils ont des nouvelles du Maître Technicien Apsile et ce que sont devenus les navires qui étaient censés nous protéger.

— Hum-hum ! fit discrètement Hatherence pour attirer leur attention. Est-ce réellement une bonne idée ? demanda-t-elle.

— Vous pensez peut-être qu’il serait plus sage de me faire passer pour mort ?

— Oui.

— J’y ai pensé. Toutefois, j’aimerais rassurer certaines personnes.

Il repensa à cet éclair de lumière qu’il avait vu sur ’glantine tandis que le bombardement de Troisième Furie débutait.

— Et puis, reprit-il, j’ai besoin de savoir si mes amis et ma famille vont bien.

— C’est compréhensible, dit le colonel. Néanmoins, il serait peut-être préférable que je contacte mes supérieurs d’abord. Nous pourrions demander à Y’sul de me laisser utiliser son relais. Si je parvenais à établir une connexion avec un des vaisseaux de guerre qui, je suppose, croisent toujours quelque part autour de cette planète, vous seriez en mesure d’envoyer un message à votre Sept d’une façon plus sécurisée. Cela ne prendrait pas très longtemps.

Pendant que Hatherence parlait, Y’sul s’était laissé flotter jusqu’à son scaphandre pour regarder par le hublot pourtant parfaitement opaque et, par ailleurs, blindé. Il n’était qu’à un petit centimètre d’elle et la dominait de toute sa taille. Le colonel ne bougea pas. Y’sul déplia un bras articulé pareil à une patte d’araignée de mer et tapota le scaphandre, plutôt délicatement il est vrai.

— Pourriez-vous éviter de faire cela ? dit-elle d’un ton glacial.

— Pourquoi ne sortez-vous jamais de cette chose ? demanda Y’sul.

— Parce que je suis habituée à des températures plus basses, à des pressions et à un mélange gazeux différents, Habitant Y’sul.

— Je vois, dit celui-ci en reculant. Votre accent et votre grammaire sont étranges. Cet humain parle mieux que vous. Que m’avez-vous demandé ?

— Je vous ai gentiment demandé d’éviter d’entrer en contact physique avec mon scaphandre.

— Non, avant cela.

— Avant cela, j’ai proposé d’envoyer un message à mes supérieurs.

— Vos supérieurs ? Vous voulez dire des militaires ?

— Oui.

Y’sul se tourna vers Fassin.

— Cela m’a l’air plus intéressant que votre plan, Fassin.

— Y’sul, au moins deux cents hommes sont morts hier. J’aimerais simplement…

— Oui, oui, oui, mais…

— En fin de compte, s’il ne reste plus de satellite en état de fonctionner, je serai peut-être obligée de contacter ’glantine directement, dit Hatherence lorsqu’une grande porte s’ouvrit, laissant apparaître les roues d’un Habitant en habit cérémoniel.

— Je peux vous recevoir, dit l’Administrateur.

* * *

Le bureau de l’Administrateur était énorme, de la taille d’un stade. Tout autour étaient alignées des tables individuelles dotées d’holoprojecteurs. Fassin en compta au moins une centaine, dont quelques-unes seulement occupées par des Habitants affairés, jeunes pour la plupart. Il n’y avait pas de fenêtres, mais le plafond était constitué de panneaux de diamant, que l’on avait d’ailleurs escamotés. Au-dessus de leurs têtes, le ciel de Nasqueron s’assombrissait rapidement. Des lampes flottantes ballottaient un peu partout, dispensant une douce lumière jaune. Ils suivirent l’Administrateur jusqu’à la zone d’audience légèrement enfoncée dans le sol, au centre de la salle géante.

— Vous êtes enceinte ! s’exclama Y’sul. C’est formidable !

— C’est ce qu’on n’arrête pas de me dire, dit l’Administrateur, amer.

Les Habitants étaient mâles pendant plus de quatre-vingt-dix pour cent de leur existence et ne changeaient de sexe que pour donner la vie. Devenir femelle pour donner naissance à un petit Habitant était considéré comme un devoir social, une obligation qui conférait un grand prestige à ceux qui s’en acquittaient. Être enceinte était excellent pour votre réputation. C’était quelque chose d’émouvant, sauf peut-être pour les éléments les plus misanthropes de la société (statistiquement, environ quarante-trois pour cent de la population). Néanmoins, cela demeurait une épreuve, et très peu d’Habitants allaient au bout de l’expérience sans passer leur temps à se plaindre.

— J’ai moi-même eu envie de devenir femelle plusieurs fois, dit Y’sul.

— Ce n’est pas aussi formidable qu’on veut bien le dire, rétorqua l’Administrateur. Le pire, c’est que je viens de recevoir une invitation pour participer à la prochaine guerre, et que je suis contraint – enfin contrainte – de la décliner – question de morale. Installez-vous, je vous prie.

Ils flottèrent jusqu’à une série de creux, dans lesquels ils se laissèrent doucement tomber.

— J’espère bien y aller, à cette guerre ! dit joyeusement Y’sul. Ou au moins la voir de près. Je reviens tout juste de chez mon tailleur, à qui j’ai demandé de me confectionner un costume de guerre à la dernière mode.

— Oh ! vraiment ? fit l’Administrateur. Comment s’appelle votre tailleur ? Le mien vient de partir pour le front.

— Ne me dites pas que c’est Fuerliote ? s’exclama Y’sul.

— Mais si, justement !

— C’était mon tailleur aussi !

— C’est le meilleur.

— Absolument.

— Mais j’ai dû aller chez Deystelmin.

— Est-il compétent ?

— Eh bieeennnnn, commença Y’sul en agitant son double disque. Je l’espère en tout cas. Il m’a donné l’impression de prendre mes mesures correctement. Toutefois, je me demande si le résultat sera suffisamment flatteur à mon goût. Mais, bon, c’est le genre de question qu’on est amené à se poser.

— Je suis bien d’accord. Et l’autre qui s’est engagé comme officier sur un cuirassé !

— Même pas ! Comme simple matelot !

— Non ?

— Si !

— Pas terrible, pour quelqu’un de si distingué !

— Je sais, mais c’est très malin. S’engager en tant que matelot avant la campagne de recrutement peut s’avérer payant. C’est le fameux principe de l’uniforme fumant.

— Ah ! Bien sûr !

Fassin fit un peu de bruit en se raclant la gorge, mais ne parvint pas à attirer leur attention.

— Le principe de l’uniforme fumant ? lui envoya discrètement le colonel.

— Oui, c’est comme les chaussures des soldats morts, expliqua Fassin. Les promotions internes n’interviennent qu’une fois les hostilités commencées. Avec un peu de chance, le cuirassé du tailleur subira des dommages importants et perdra quelques-uns de ses officiers, permettant au simple matelot d’être promu officier à son tour. S’il a vraiment beaucoup de chance, il peut même devenir amiral.